L’Angleterre, en exploitant ses bruines, ses landes, ses châteaux et leurs fantômes dans sa littérature, a créé le roman noir et les contes fantastiques. Mais l’humour, d’un poing vigoureux, renvoie les rêveurs dans le réel. Un dialogue se poursuit à travers les siècles entre les représentants des deux tendances.

Parmi les auteurs modernes de récits humoristiques, H. Munro est un des plus fins. Ce fils de fermier écossais, journaliste à Glasgow et qui est mort, en 1930, à quarante-trois ans, a mis, dans ses contes, un pittoresque dont sa vie fut exempte ; marié sans enfant, il ne manifestait de passion que pour les promenades à bicyclette. Peut-être est-ce au cours de l’une d’elles qu’il a conçu la nouvelle inattendue que nous vous présentons aujourd’hui.
 
 

 

C’était par un froid et pluvieux après-midi de la fin août, cette saison indéterminée où les perdreaux sont encore en sûreté à moins qu’ils ne soient en conserves, et où il n’y a rien à chasser, sauf si votre propriété est bornée au nord par le canal de Bristol, auquel cas vous avez le droit légal de galoper à la poursuite des gros cerfs roux. Mais le château de lady Blemley n’était pas borné au nord par le canal de Bristol, d’où l’afflux de ses invités cet après-midi autour de la table à thé. Néanmoins, en dépit de la fade banalité de la morte-saison, il n’y avait pas trace dans l’air de cette langueur énervée où se trahit la crainte qu’ont les gens de se voir infliger la musique d’une radio, alliée au désir à peine dissimulé de faire un bridge aux enchères. L’assemblée, bouche bée, fixait sans détour toute son attention sur la personnalité cependant simple et d’un intérêt médiocre de M. Cornelius Appin. De tous les invités de lady Blemley, c’était celui que précédait la réputation la plus vague. Quelqu’un en avait dit qu’il était assez remarquable, et son hôtesse l’avait invité dans le faible espoir qu’il consacrerait au divertissement général une partie au moins des talents qui l’avaient fait remarquer. Mais, jusqu’à ce jour et à cette heure, nul n’avait su démêler en quel domaine s’exerçaient ces talents, si tant est qu’ils existassent. Ce n’était ni un brillant causeur, ni un champion de croquet, ni un hypnotiseur émérite, ni un acteur mondain. Et son physique n’avait rien de ce qui incite les femmes à pardonner volontiers à un homme une bonne dose d’insuffisance cérébrale. Mentalement, on ne lui octroyait plus que le nom d’Appin, tout court, le prénom inusité de Cornelius paraissant un simple bluff baptismal.

Mais voici que, subitement, M. Appin se prétendait l’auteur d’une découverte auprès de laquelle celles de la poudre à canon, de l’imprimerie et de la locomotion à vapeur n’étaient que d’insignifiantes babioles. Certes, durant les dernières décades, la science avait fait dans toutes les directions des bonds étourdissants, mais ceci tenait plutôt du miracle que du progrès scientifique.

« Si j’ai bien compris, disait sir Wilfrid, vous affirmez avoir découvert le moyen d’enseigner le langage humain aux animaux, et notre bon vieux Tobermory serait le premier de vos élèves ?…

– J’ai passé dix-sept ans penché sur ce problème, dit M. Appin, et ce n’est que depuis les derniers huit ou neuf mois que j’en suis récompensé par quelques semblants de succès. J’ai expérimenté sur des milliers d’animaux ; à présent, je me consacre aux seuls chats, ces créatures merveilleuses qui ont su s’assimiler notre civilisation tout en conservant leurs instincts développés à un si haut degré. Il arrive que l’on se trouve en présence de chats d’une intelligence exceptionnelle, tout comme on rencontre des esprits supérieurs parmi les humains. Quand j’ai fait la connaissance de Tobermory, il y a une semaine, j’ai deviné en lui du premier coup d’œil un surchat, un chat de génie. J’étais déjà très avancé dans la bonne voie grâce à mes derniers travaux ; mais avec Tobermory, puisque Tobermory il y a, j’ai atteint mon but. »

M. Appin conclut cet exposé remarquable à plus d’un titre d’une voix dont il s’efforça de chasser toute inflexion triomphale. Dans l’assistance, personne n’osa dire : « Sans blague ! » Néanmoins, les lèvres de Clovis esquissèrent silencieusement ces deux vocables sceptiques.

« Ainsi, fit miss Resker, après une courte pause, vous affirmez avoir dressé Tobermory à comprendre et même à formuler des phrases simples composées sans doute de monosyllabes ?

– Ma chère miss Resker, dit le faiseur de miracles avec patience, on applique cette méthode élémentaire à des petits enfants, à des sauvages ou à des adultes arriérés. Mais avec un animal aussi exceptionnellement intelligent que celui-là, une fois résolu le problème de l’entrée en contact, il n’est pas nécessaire de recourir à ces moyens boiteux. Tobermory parle notre langue avec une correction parfaite. »

Cette fois, Clovis prononça distinctement le mot : « Tu cha… rries. » Sir Wilfrid, plus poli, montrait une incrédulité non moins marquée.

« Et si l’on faisait venir le chat afin d’en juger ? » suggéra lady Blemley.

Sir Wilfrid partit chercher l’animal, cependant que la société s’installait dans la tranquille expectative de quelque tour plus ou moins adroit de ventriloque.

L’instant d’après, sir Wilfrid était de retour, le visage tout pâle sous son hâle, les yeux dilatés par la surprise.

« Tonnerre  ! c’est parfaitement vrai ! » s’écria-t-il.

Son émotion était si évidemment sincère que toutes les personnes présentes avancèrent la tête dans un mouvement de vif intérêt.

Sir Wilfrid se laissa tomber dans un fauteuil, et poursuivit d’une voix haletante :

« Je l’ai trouvé dormant dans le fumoir et lui ai crié de venir prendre son lait. Il m’a regardé en clignant des yeux comme à l’ordinaire ; j’ai ajouté : « Viens, Toby ; ne nous fais pas attendre. » Et, de par tous les diables, voilà que, d’une voix traînante mais horriblement naturelle, il a déclaré tout net qu’il viendrait quand ça lui plairait, mais pas avant. C’est tout juste si je n’ai pas sauté jusqu’au plafond. »

Appin avait prêché devant un auditoire totalement incrédule. La parole de sir Wilfrid, par contre, emporta immédiatement la conviction. Une confusion de tour de Babel, un chœur d’exclamations saisies s’éleva, au sein duquel le savant demeurait silencieux, goûtant les premiers fruits de sa stupéfiante découverte.

Au beau milieu de ces clameurs, Tobermory entra dans la pièce et, de son pas velouté, en s’appliquant à garder un air indifférent, se fraya un chemin jusqu’au groupe assis autour de la table à thé. Un silence contraint tomba aussitôt. Tous ces humains ressentaient quelque gêne à l’idée de traiter d’égal à égal avec un animal domestique qui avait griffes et dents.

« Voulez-vous votre lait, Tobermory ? demanda lady Blemley avec effort.

– Je veux bien, » répondit le chat d’un ton calme.

Un frisson d’énervement aussitôt réprimé parcourut l’auditoire. Quoi d’étonnant si lady Blemley servit le lait dans la soucoupe d’une main peu sûre ?

« Je crois bien en avoir renversé la plus grande partie ! s’excusa-t-elle.

– Le tapis n’est pas à moi, vous savez, » fit Tobermory.

Le silence retomba. Mais miss Resker, adoptant inconsciemment le ton, l’interrogea sur la difficulté qu’il avait éprouvée à apprendre le langage humain. Tobermory, l’ayant toisée une seconde, détourna les yeux qu’il fixa avec sérénité sur un autre point de l’espace. Donner audience aux interrogatoires ennuyeux, ça ne rentrait évidemment pas dans ses idées.

« Que pensez-vous de l’intelligence humaine ? demanda Marvis Pellington, ne trouvant pas mieux.

– L’intelligence de qui en particulier ? fit Tobermory froidement.

– Oh ! eh bien ! la mienne, par exemple, dit Marvis en riant niaisement.

– Vous me mettez dans l’embarras, dit Tobermory, dont ni le ton ni l’attitude ne trahissaient d’ailleurs l’ombre d’un embarras ; quand quelqu’un proposa de vous inclure dans la liste des invités, sir Wilfrid s’écria que vous étiez la personne la plus dénuée de cervelle de sa connaissance et qu’il ne fallait tout de même pas confondre l’hospitalité dans un château avec les soins à donner aux demeurés dans les asiles. Sur quoi lady Blemley répondit que votre faiblesse d’esprit était précisément la raison qui devait vous valoir une invitation, car, à part vous, elle ne voyait personne d’assez bête pour acheter leur vieille auto, vous savez, celle qu’ils appellent l’ « Envie de Sisyphe, » parce que, quand on la pousse par derrière, elle ne se fait pas trop prier pour monter les côtes. »

Lady Blemley éclata en protestations indignées qui eussent peut-être convaincu Marvis si, le matin même, sans avoir l’air d’y toucher, on ne lui avait conseillé cette voiture comme toute indiquée pour sa propriété du Devonshire.

Pour faire diversion, le major Barfield se lança pesamment dans la mêlée.

« Parlez-nous donc plutôt, hé hé ! de vos rendez-vous galants avec la chatte écaille de l’écurie. »

À peine avait-il prononcé ces mots que tout le monde en comprit la fatale maladresse,

« Je n’ai pas l’habitude de discuter en public mes affaires de cœur, répondit Tobermory d’un ton glacial ; et, à en juger par ce que j’ai pu voir de vos faits et gestes depuis que vous êtes dans cette maison, j’imagine qu’il vous serait peu agréable que je touche aux vôtres. »

Il y eut un mouvement de panique dont l’effet s’étendit à d’autres qu’au major.

« Tobermory, voulez-vous voir à la cuisine si votre dîner est servi ? dit précipitamment lady Blemley, feignant d’ignorer que deux heures séparaient encore Tobermory de ce repas.

– Merci bien, pas tout de suite après mon thé, fit le chat. Je ne tiens pas à mourir d’indigestion.

– Les chats ont neuf vies, dit-on, s’écria cordialement sir Wilfrid.

– Possible ! Mais ils n’ont qu’un estomac, répliqua Tobermory.

– Adélaïde, interrompit Mrs Cornett, vous n’allez pas, j’espère, pousser ce chat à aller à l’office pour qu’il y potine sur notre compte ! »

L’affolement était devenu général : les invités se souvenaient qu’une étroite balustrade ornementale courait le long des fenêtres des chambres à coucher et que c’était la promenade favorite de Tobermory à toutes les heures du jour et de la nuit, ainsi que le poste d’où il observait les pigeons… et Dieu sait quoi encore !

Si le chat se mettait maintenant à évoquer ses souvenirs avec la franchise dont il venait de faire preuve, la situation pourrait devenir plus que gênante. Mrs Cornett, qui passait beaucoup de temps à sa toilette et dont les belles couleurs paraissent et disparaissent à heure fixe, eut soudain l’air aussi mal à son aise que le major. Miss Scrawen, qui composait des vers d’une sensualité ardente et menait une vie irréprochable, ne manifestait que du mécontentement. On est vertueux dans le privé… mais de là à souhaiter que tout le monde le sache !… Bertie van Tahn qui, à dix-sept ans, était déjà si parfaitement débauché que depuis bien longtemps il avait renoncé à l’espoir d’apprendre du nouveau en amour, devint d’une pâleur mate de gardénia. Néanmoins, il ne commit pas la faute de quitter précipitamment la pièce, comme Odo Finsberry, qui était censé faire ses études de théologie dans l’intention de devenir ecclésiastique et qui, supposons-Ie charitablement, fuyait pour ne pas entendre les méchancetés qui allaient atteindre les autres invités. Clovis seul eut la présence d’esprit de garder son sang-froid. À part soi, il calculait le temps qu’il lui faudrait pour faire venir, par l’intermédiaire du Exchange and Mart, une boîte de souris mécaniques afin d’acheter au chat son silence.

Agnès Resker, qui ne se laissait jamais oublier longtemps, entra en scène malgré le danger de la situation.

« Ciel ! Pourquoi suis-je venue ici ? » fit-elle d’un ton dramatique.

Immédiatement, Tobermory saisit la balle au bond.

« À en juger par ce que vous avez dit hier à Mrs Cornett au terrain de croquet, c’est la cuisine qui vous attirait. Vous avez dépeint les Blemley comme des hôtes tellement ennuyeux que s’ils n’avaient eu le bon esprit d’engager un chef de premier ordre, ils auraient peine à trouver des invités qui consentissent à revenir chez eux.

– Il n’y a pas un mot de vrai, j’en appelle à Mrs Cornett ! s’exclama Agnès, déconfite.

– Mrs Cornett a répété votre conversation plus tard à Bertie van Tahn, continua Tobermory, et elle a dit : « Cette femme-là est une véritable Marcheuse de la faim ; on la ferait courir chez n’importe qui en lui offrant quatre solides repas par jour. Et Bertie van Than a répondu… »

À ce moment, la chronique scandaleuse s’arrêta net, miséricordieusement. Tobermory avait soudain aperçu le gros matou jaune du presbytère qui se frayait un chemin à travers les charmilles dans la direction de l’écurie. Avec la vitesse de l’éclair, il disparut par la porte-fenêtre ouverte.

Sitôt après le départ du trop brillant élève, un ouragan d’amers reproches, d’interrogations anxieuses et de supplications terrifiées s’abattit sur Cornelius Appin. Il était responsable de cette situation. À lui d’empêcher qu’elle n’empirât encore. Croyait-il Tobermory capable de communiquer à d’autres chats son redoutable savoir ? Telle fut la première question. Le savant affirma que Tobermory pouvait, à la rigueur, avoir initié son amie intime, la chatte de l’écurie, à ce nouvel art d’agrément, mais qu’en tout cas son professorat n’avait pu, jusqu’ici, atteindre un plus grand rayon d’action.

« En ce cas, dit Mrs Cornett, je veux bien que Tobermory soit un chat de prix et un grand favori de la maison, mais certainement, Adélaïde, vous devez être d’avis, comme moi, que la chatte de l’écurie et lui doivent être supprimés sans retard.

– Vous ne supposez pas, dit lady Blemley, que je me sois amusée pendant ce dernier quart d’heure ? Mon mari et moi, nous aimons beaucoup Tobermory – ou plutôt nous l’aimions beaucoup avant que cette horrible science lui ait été infusée. Mais maintenant il va sans dire que la seule chose à faire est de l’exterminer le plus tôt possible.

– Nous pourrions mettre un peu de strychnine dans les restes qu’on lui donne toujours à dîner, dit sir Wilfrid, et je me charge d’aller moi-même noyer la chatte de l’écurie. Le cocher ne sera pas content de perdre cette petite bête, mais je dirai que les deux chats ont attrapé une forme particulièrement contagieuse de la gale et que l’épidémie pourrait s’étendre au chenil.

– Et ma grande découverte ! protesta M. Appin ; toutes ces années de recherches et d’expériences !

– Vous n’avez qu’à aller travailler les mérinos de la ferme qui, du moins, sont strictement surveillés, dit Mrs Cornett, ou bien les éléphants du Jardin Zoologique. On les dit extrêmement intelligents, et ceux-là, du moins, ne se faufilent pas dans nos chambres à coucher et ne se couchent pas sous nos chaises et partout ! »

Si un archange s’apprêtant avec extase à proclamer la venue du Messie s’en voyait brusquement empêché sous le prétexte que cela dérangerait les régates de Henley et recevait l’ordre de remettre ça aux calendes grecques, sa déconvenue n’égalerait pas celle de Cornelius Appin devant l’accueil fait à son superbe exploit. Mais l’opinion publique était contre lui ; et même, s’il y avait eu plébiscite à ce sujet, il est probable qu’une forte minorité aurait voté la proposition de le mettre lui aussi au régime de la strychnine.

Seul un horaire défectueux allié au désir inquiet de voir régler définitivement la situation empêcha les invités de se disperser aussitôt. Ce soir-là, le dîner manqua de gaieté. Sir Wilfrid avait passé un mauvais moment, d’abord avec la chatte de l’écurie, puis, plus tard, avec le cocher. Agnès Resker borna avec ostentation son repas à un morceau de toast sec dans lequel elle mordit comme si c’était un ennemi personnel, cependant que Marvis Pellington gardait un vindicatif silence. Lady Blemley laissait couler un flot de paroles dans l’espoir de soutenir la conversation, mais ses yeux ne quittaient pas la porte.

Une assiette de poisson soigneusement additionnée de strychnine attendait sur la desserte, mais on servit l’entremets, le fromage et le dessert sans que Tobermory eût réapparu dans la salle à manger, pas plus qu’à la cuisine.

Ce dîner sépulcral fut animé comparé à la veillée qui suivit dans le fumoir. Somme toute, c’était une distraction que de manger et de boire, et cela servait à masquer l’embarras général. Le bridge semblait peu indiqué vu l’état de nerfs et d’humeur des invités. Après qu’Odo Finsberry eût joué d’une manière lugubre Mélisande dans les bois devant un public glacé, on évita, par un accord tacite, de recourir encore à la musique. À onze heures, les domestiques allèrent se coucher en prévenant qu’ils avaient laissé, comme à l’ordinaire, la lucarne de l’office ouverte, à l’usage de Tobermory. Les invités, ayant fini de lire avec application la pile des revues courantes, se rabattirent sur le Badminton Library et les volumes reliés du Punch. Lady Blemley faisait des visite périodiques à l’office, d’où elle revenait avec une expression apathique et déprimée qui se passait de commentaires.

À deux heures du matin, Clovis rompit le silence persistant :

« Il ne reviendra plus ce soir. Il est probablement dans les bureaux de la feuille de chou locale, à dicter le premier feuilleton de ses souvenirs. Le livre de lady X… dont nous sommes menacés, n’existera pas à côté. Ça va être l’événement du jour. »

Ayant ainsi contribué à l’optimisme général, Clovis alla se coucher. Après un intervalle plus ou moins long, les autres invités suivirent son exemple.

Le lendemain matin, les domestiques, en portant le thé dans les chambres, répondirent invariablement à l’invariable question qui leur fut posée, que Tobermory n’était pas encore rentré.

Si possible, le breakfast fut moins réjouissant encore que le dîner ! Mais, avant qu’il fût fini, l’atmosphère se détendit soudain. Un domestique rapporta le cadavre de Tobermory qu’un jardinier venait de découvrir dans une charmille. À voir les blessures de sa gorge et les touffes de poils jaunes qui couvraient ses griffes, il était évident qu’il avait succombé dans un combat inégal contre le gros matou du presbytère.

Vers midi, la plupart des invités avaient quitté le château ; après déjeuner, lady Blemley, ayant recouvré tous ses esprits, écrivit une lettre extrêmement désagréable au presbytère, se plaignant qu’on lui eût tué un chat de grande valeur.

Tobermory fut le seul succès de la carrière de Appin ; le sort voulut qu’il n’eût pas de successeur. Peu de semaines plus tard, un éléphant du Jardin Zoologique de Dresde, qui, jusque-là, n’avait jamais témoigné d’un caractère irritable, devenu subitement furieux, tua un Anglais qui, apparemment, était occupé à le taquiner. La victime était désignée dans les journaux tantôt sous le nom d’Oppin, tantôt sous celui d’Eppelin. Seul le nom de baptême était exact, et c’était Cornelius.

« Il a mérité son sort, déclara Clovis, s’il a prétendu enseigner les verbes allemands irréguliers à cette pauvre bête. »
 
 

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(H. H. Munro [Saki], traduction de Robert Alos, illustration de J. Owens, in Qui ? le magazine de l’énigme et de l’aventure, première année, n° 2, jeudi 30 mai 1946. Cette traduction est initialement parue dans l’anthologie Union Jack, établie par Paul Morand, Paris : Gallimard, NRF, collection « La Renaissance de la Nouvelle, » 1936)