RÉSUMÉ DES CHAPITRES PRÉCÉDENTS
Le narrateur s’est lancé dans l’exploration de la mystérieuse maison aux 30 portes où demeure un certain professeur Gaultier qui a réussi à entrer en contact avec des univers inconnus co-existant dans l’espace. Les héros de l’histoire ont ouvert la 6e porte et ont pénétré dans une forêt à la végétation inconnue. Là, une étrange population d’hommes de verre était terrorisée par le professeur Gaultier. Celui-ci est capturé par les héros de l’histoire, mais il parvient à leur échapper. Il est tué, et les héros de l’histoire restent prisonniers au pays de la 4e dimension.
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Il y avait du minerai de fer dans les collines surplombant la rivière, et Lecaire qui l’avait découvert et semblait connaître toutes les techniques, s’employa à séparer le métal dans un four rustique construit selon la méthode catalane. Il parvint à forger des socs de charrue, des outils plus ou moins grossiers mais qui s’avéraient extraordinairement utiles. Depuis soixante jours, nous étions les hôtes de Mangor, pour appeler ce monde du nom que lui donnaient ses habitants.
Nous avions résolument abandonné toutes nos habitudes terrestres. Nous avions élevé avec l’aide des hommes du village trois huttes dans la construction desquelles Lecaire avait apporté de multiples perfectionnements, aussitôt adoptés par l’ensemble de la population. Rives avait construit un chariot – la roue était inconnue sur Mangor jusque-là – et les Zouyhâs, espèces de chevaux géants, – ils mesuraient plus de deux mètres à l’épaule, – ferrés par les soins de Lecaire, tiraient d’un village à l’autre les produits des chasses et des cultures rudimentaires. Pour moi, j’avais eu la chance d’abattre, des dernières balles du Colt, deux des monstres de verre – des « Jitas. » Notre amitié avec les hommes de Mangor s’était renforcée et, chaque soir autour du feu, nous discutions longuement, échangeant nos connaissances techniques et scientifiques contre les légendes et les secrets du monde inconnu, de la terre lourde de mystère s’étendant de l’autre côté du fleuve, du fleuve que personne n’avait jamais traversé et qui bornait un pays étrange et redoutable au cœur duquel s’élevait la mystérieuse cité des hommes morts. J’avais découvert une plante aux très larges feuilles légèrement rugueuses, sur lesquelles je pouvais tracer des caractères en utilisant le suc bleu épais d’une baie sauvage, et j’avais entrepris d’apprendre à lire et à écrire aux hommes de verre qui montraient beaucoup de curiosité et de dispositions.
Et puis… et puis j’avais rencontré Loya. Je l’avais remarquée au cours des classes de lecture, pour sa bonne volonté et son intelligence remarquable. Elle était grande pour une fille de ce peuple. Elle était charmante, vêtue simplement d’une tunique brune courte, serrée à la taille par une cordelière écarlate. Est-il possible de tomber amoureux d’une femme de verre ? Oui, sans doute, car c’est bel et bien ce qui m’arrivait. Le pli tendre de ses lèvres pâles, les yeux d’un bleu très clair, la peau douce et tiède des mains translucides… Il y avait déjà longtemps que cette couleur, ou plutôt cette absence de couleur, ne me frappait même plus.
À vrai dire, nous, les trois Terriens, nous nous sentions presque honteux de notre cuir opaque, de nos grossiers épidermes. Il nous semblait appartenir à quelque race inférieure. Je sentais vaguement que cette humanité toute jeune, à peine sortie de l’âge des ténèbres, à laquelle nous apportions notre expérience misérable et le peu de sagesse acquise au cours de trente siècles de luttes et de souffrances, valait infiniment mieux que la nôtre et était promise au plus glorieux destin.
(À suivre)
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(H. Bourdens, in Le Petit Marocain, trente-sixième année, n° 10096, samedi 25 décembre 1948 ; ce très curieux roman « fantastique, » sur le thème des autres dimensions, n’a jamais été publié en volume ; il est précédemment paru dans L’Avant-Garde, organe central de la Fédération des jeunesses communistes de France, à partir de septembre 1946)
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(in Ce Soir, grand quotidien d’information indépendant, dixième année, n° 1549, vendredi 6 septembre 1946)