Cette histoire est véridique. L’auteur, une femme bien connue dans le monde littéraire et social, subit ces expériences à Londres, en l’année 1906. Voir Prediction (Londres), numéro de juillet 1938.
–––––
Au moment où mon regard tombait sur la Robe du Mandarin, je savais qu’il fallait que je l’achète. Jamais je n’avais vu une chose si belle ! Sur un fond de satin de couleur émeraude, des paons et des dragons s’enchevêtraient dans les broderies de fil d’or ; des fleurs écarlates et ivoire étaient parsemées partout, avec des notes de bleu pour créer une bizarre harmonie.
Je sentais le besoin de faire venir de la couleur dans ma vie, de créer une illusion, les rêves de l’inconnu, de respirer le parfum et le mystère d’un pays oriental. J’achetai donc la Robe et je la transportai à mon petit appartement de trois chambres, très simples et dépourvues de toute atmosphère surnaturelle.
Je pliai la Robe et la mis dans un tiroir. Les bruits de la rue me semblaient un peu ennuyeux et je fermai les fenêtres avant de m’endormir.
Le matin, ma femme de ménage m’éveilla avec difficulté.
« Qu’est-ce ce que vous avez ici, Mademoiselle ? C’est écœurant ! Ça sent comme un cadavre !
– Une souris morte, peut-être ? » lui dis-je.
Nous fîmes venir le gérant de l’immeuble, qui nous démontra que le système de construction du plancher rendait impossible la théorie d’une souris.
Le tiroir où se trouvait la Robe du Mandarin avait un peu de cette odeur nauséabonde, et, pensant que l’odeur pouvait venir du fait que la Robe avait été longtemps enfermée dans le magasin de l’antiquaire, peut-être avec d’étranges épices orientales, je la jetai sur un fauteuil, où elle illumina la chambre comme un oiseau des tropiques.
Effectivement, j’étais le possesseur de la Robe. Mais, en sus du prix, j’avais aussi donné ma paix. Toute tranquillité, tout confort, tout sens de sécurité fuyaient mon appartement. Les poignées des portes tournaient, sans mains visibles ; des pas allaient et venaient dans le vestibule, et, nuit et jour, je sentais que quelqu’un essayait de forcer une entrée. Une ou deux fois, j’étais sûre d’avoir vu une forme, mais indistinctement.
Je tombai malade. Ma mentalité était normale, aucune maladie ne se déclarait, mais le corps physique était inerte. Mon docteur, en admettant qu’il ne comprenait rien à mon cas, appela en consultation le docteur Sir James Reid, autrefois médecin et grand ami de la Reine Victoria. Il n’hésita pas à donner son diagnostic :
« Étouffement. Les chambres sont trop petites. Manque d’air. Manque de vitalité. Cherchez un grand appartement, Mademoiselle, du soleil, deux domestiques qui dorment dans la maison, et soignez-vous. »
J’obéis. Dans le meilleur quartier de la ville, je trouvai un grand appartement, au moins trois fois celui que j’avais quitté. J’engageai deux domestiques, achetai un beau chat de Perse Royal, et je mis la flamboyante Robe du Mandarin à la place d’honneur dans le salon.
Un mois plus tard, le chat de Perse mourut, son corps horriblement tordu, ses yeux d’ambre ouverts et fixes de terreur.
Lui, il avait dû voir l’Horreur qui rôdait !
La hantise continuait en s’accentuant, et je fus victime de nombreux petits accidents. Après quoi, la maladie mystérieuse revenait avec plus de force. Dans mon état de délire, je voyais les dragons sur la Robe du Mandarin en train de remuer et de se battre. En redevenant consciente, je m’efforçai de les regarder sainement et calmement. Les dragons me s’arrêtaient pas. La Robe était une chose vivante ! Mais j’étais trop malade pour avoir la moindre peur : mon âme allait à la dérive.
Quelques jours plus tard, ma mère vint me voir. Elle pensait que j’étais in extremis, et, convaincue que Saint Pierre, aux Portes Célestes, n’accepterait jamais une âme si peu orthodoxe que la mienne sans être munie des sacrements de l’Église, elle alla en hâte à l’Église.
Le prêtre qui vint me voir s’arrêta net au seuil de ma chambre.
« Ce lieu est mauvais, diabolique, dit-il ; il vibre de péché ! »
Et il refusa d’y entrer avec les Sacrements.
La nuit suivante, je me sentis la proie des Pouvoirs des Ténèbres. L’Horreur triomphait. Les deux domestiques, en panique, ne voulurent pas se coucher.
Vers le matin, ma femme de chambre vint à mon chevet et me prit la main.
« Madame, me dit-elle tout bas, ceci ne peut pas durer. Il y a une âme noire qui ne veut pas nous laisser en paix. Je suis Tzigane, et je le sais ! Il faut vous lever ce matin ; nous prendrons un fiacre. Je connais une femme, une voyante, qui nous dira quoi faire. »
J’étais en train de mourir lentement. Il était peut-être mieux de faire quelque chose, de saisir n’importe quelle chance de secours. J’acceptai. Les deux domestiques arrivaient difficilement à m’habiller, à cause de ma faiblesse. Les deux me portèrent à l’ascenseur et de l’ascenseur au fiacre.
C’était juste avant Noël et j’avais acheté la Robe du Mandarin en juin !
L’animation dans les rues me fit beaucoup de bien. Une fois dehors, je respirai comme je ne l’avais pas fait dans mon appartement depuis plusieurs mois. Le fiacre, traversant des quartiers de plus en plus pauvres, s’arrêta finalement devant une maison délabrée dans une ruelle mal tenue.
La voyante était assise dans un vieux fauteuil râpé, dans une chambre tout ordinaire. Elle n’avait pas l’air d’une prophétesse. Il n’y avait pas la moindre mise en scène. Et quand elle prit en main un jeu de cartes sale et graisseux, je fus totalement désillusionnée.
Je n’ai aucune intention de discuter le pour et le contre de la cartomancie.
Je sais qu’elle peut donner des révélations extraordinaires et qu’elle peut simplement servir pour exploiter la curiosité vulgaire. Je raconte ce qui m’est arrivé. J’avoue que cette cartomancienne lisait les cartes comme dans un livre.
« Eh ! dit-elle. Y a quelqu’un qui vous ennuie depuis longtemps… Six mois… Vous avez chipé quelque chose que vous ne devez pas avoir… Une blouse… Non… Costume pour un music-hall… Oh ! là là, quelles couleurs ! »
Je coupai les cartes une deuxième fois.
« Ce n’est pas anglais… Non. Je ne l’aime pas… Pas bon… Ça donne la chair de poule… Il y a du sang ; oui, du sang… V’là l’homme d’où vient le sang… Nom de nom, si ce n’est pas un Chinois !… Très haute taille… Qu’il est mauvais !… mauvais !… Je n’aimerais pas le rencontrer à un carrefour… Qu’est-ce qu’il me dit ?… Vous avez son manteau… Celui qui est tout en couleurs… C’est du mauvais… Sûr, il n’était pas mort dans son lit… Écoutez, ma fille, vous allez chez vous, et vous brûlez ce paletot ou cette blouse – quelque chose avec les couleurs comme Arlequin. Faites-le vite ! Bien vite ! »
La Robe du Mandarin était donc hantée ? Je n’y avais pas pensé. J’avais vu des taches de rouille, mais je n’avais pas imaginé que c’était du sang.
« Je vais le faire ! » répondis-je, et je parlais sincèrement. Déjà, je me sentais mieux.
La vieille prit la très modeste somme qu’elle me demanda et me regarda d’un air un peu sinistre.
« Bonne chose que vous soyez venue, me dit-elle. Espérons que ce n’est pas trop tard ; je ne le crois pas. Mais vous auriez été morte avant la fin d’une autre semaine. »
À mon retour, la domestique qui m’avait accompagnée attisa le feu dans la cuisinière. Avec de vifs regrets, car je sentais un curieux attachement pour cette Robe, je la plaçai dans le feu, et Jeanne la tenait en place avec le tisonnier. Il n’y avait aucune flamme. La Robe se désintégrait lentement dans une poussière brune.
Je retournai dans les autres chambres de l’appartement pour trouver, à ma joie, que l’Horreur était partie. Je dormis normalement. Le matin suivant, je pris un petit déjeuner, le premier depuis des semaines. En dix jours, je pouvais marcher.
Je suis retournée au magasin d’antiquités où j’avais acheté la Robe du Mandarin. Le propriétaire me dit que c’était une robe d’un lot qui lui avait été envoyé après le pillage d’une ville.
Quelques semaines plus tard, quand Algernon Blackwood (le grand occultiste et homme de lettres) déjeuna chez moi, je lui racontai l’histoire de la Robe, lui disant que j’avais gardé la ceinture comme souvenir. Il me conseilla de m’en débarrasser, mais, d’abord, de l’envoyer à un psychomètre.
Le rapport du psychomètre était en complet accord avec celui de la cartomancienne tzigane. La Robe du Mandarin, nous dit-il, avait été employée dans les rites de la Magie Cérémoniale, et son maître avait été tué dans cette robe, à Pékin. Il ne mourut qu’après des heures d’agonie, en laissant une terrible malédiction sur n’importe quel « diable blanc » qui oserait porter sa Robe. Heureusement pour moi, je ne l’avais même jamais jetée sur mes épaules.
Le soir même, je brûlai la ceinture, bien qu’en regrettant la destruction de ce rêve de couleur resplendissant, avec des pagodes et des papillons en broderie merveilleuse. Mais tout l’argent du monde ne me tentera pas d’essayer une deuxième expérience avec une Robe de Mandarin !
–––––
(Maude C. Ffoulkes, in L’Astrosophie, revue mensuelle d’astrologie, des sciences psychiques et d’occultisme, volume XX, n° 4, novembre 1938 ; repris dans L’Écho du Sud, organe indépendant des intérêts généraux du Sud de Madagascar, dixième année, n° 506, samedi 17 décembre 1938 ; Hilda Rix Nicholas, « The Chinese Dress, » huile sur toile, c. 1913 ; Richard Edward Miller, « The Chinese Robe, » huile sur toile, 1909. La vie de Maude M. C. Ffoulkes a fait l’objet d’une biographie romancée par Violet Powell, intitulée A Substantial Ghost: The Literary Adventures of Maude Ffoulkes, London: Heinemann, 1967)