LA MÉDITERRANÉE EST INFESTÉE DE SIRÈNES
Du moins, deux pêcheurs l’affirment
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Les Sirènes existent-elles ?… La controverse n’a pas été tranchée depuis Ulysse et, faute d’éléments, elle semblait bien éteinte depuis un peu plus d’un demi-siècle. Mais la voici qui rebondit soudain à la suite des déclarations que viennent de faire deux pêcheurs : l’un Giorgino Vico, de Gargano, petit port sur les rives de l’Adriatique ; l’autre Garcia Velasquez, de Sétubal, en Espagne.
Et il ne s’agit plus ici d’une quelconque histoire de serpent de mer ; Vico et Velasquez, qui s’ignorent et qui au surplus opèrent aux deux extrémités de la Méditerranée, ont fait des récits absolument identiques quant au comportement des « dames-poissons » qui faillirent jouer un si mauvais tour à Ulysse.
« Elles étaient trois, a dit Valasquez et je les aurais prises de loin pour des cachalots folâtrant entre deux vagues, si je n’avais remarqué leur abondante chevelure. Je me suis approché – pas trop cependant par prudence – et j’ai bien reconnu des sirènes telles que la description en a été faite. Ces trois femmes avaient des cheveux blonds très pâles et, pour autant que j’ai pu en juger, un buste splendide qui émergeait parfois jusqu’à la ceinture. C’est ainsi que j’ai pu remarquer qu’à mi-corps commençaient les écailles. Lorsqu’elles m’ont vu, les sirènes n’ont manifesté aucune crainte et elles m’ont laissé approcher jusqu’à deux ou trois encablures, mais elles ont plongé peu après en faisant un geste de la main que je n’ai pas pu interpréter. Sous le coup de l’émotion, je me suis signé et j’ai fait demi-tour. »
Quant à Vico, la version qu’il a donnée ne varie que sur de légers points de détail. Qu’on en juge :
« Ce samedi, j’avais pris la mer seul, mon mousse étant malade, pour relever quelques casiers de homards. Je n’étais pas très loin de la terre lorsque mon attention a été attirée par un groupe qui évoluait à une centaine de mètres de mon embarcation et que j’ai pris pour des marsouins. Comme ces animaux n’ont pas un caractère très commode, je m’apprêtais à m’éloigner, lorsque j’ai remarqué des gestes bizarres. Je suis alors décidé à approcher et, arrivé à une vingtaine de mètres du groupe, j’ai constaté à ma grande stupéfaction qu’il ne s’agissait pas de poissons, mais de sirènes. Je dis bien sirènes, car il n’y avait aucune baigneuse dans les environs et, d’autre part, j’ai fort bien distingué les écailles qui garnissaient la partie du corps à demi immergée et qui se terminait en queue de poisson. J’ajoute sans erreur possible que ce groupe de trois sirènes se présentait sous l’aspect de très jolies femmes dont la chevelure flamboyait sous les rayons du soleil. J’ai également fort bien aperçu les bras des sirènes qui s’ébattaient sans se soucier de moi.
Comme je ne suis pas superstitieux plus que de raison, j’ai tenté de m’approcher davantage, mais les sirènes ont alors plongé et ont disparu.
Je jure qu’aucune erreur ou confusion n’est possible et qu’il s’agit bien de femmes-poissons. »
Gargano et Sétubal ne sont que de petits ports de pêche, mais l’affaire n’a pas tardé à se répandre et elle fait quelque bruit en Espagne et en Italie.
Les deux marins, témoins d’une rencontre qui soulève malgré tout quelque scepticisme, ont été longuement interrogés par les autorités et soumis à des épreuves sérieuses. Ils n’ont pas dévié de leurs déclarations. Mieux encore, d’autres pêcheurs sont venus confirmer, en partie tout au moins, certains détails donnés par leurs deux collègues.
« Il y a, disent-ils, des sirènes comme il y a des bateaux-fantômes : seulement, ni les uns ni les autres ne se montrent facilement. D’ailleurs, il vaut mieux ne pas les rencontrer car, en général, il n’y a rien de bon à en tirer. Cependant, nous avons pu voir à plusieurs reprises, à la tombée du jour, des femmes-poissons. Elles vont par groupes et font des gestes aux pêcheurs qui, sous peine de malheur, doivent soigneusement les éviter. »
Mais il faut croire que d’autres précisions plus sérieuses ont été apportées aux autorités puisqu’il est très sérieusement question d’envoyer une mission sur les lieux… à bord d’un contre-torpilleur, car aucun pêcheur ne veut hasarder sa barque dans l’aventure !
Rappelons qu’en 1775, une revue britannique publia une description très minutieuse d’une sirène découverte dans l’archipel de Grèce. Voici un passage suggestif de cette description :
« Elle ( la sirène) a le physique et le teint d’une Européenne. Des yeux bleus, une petite bouche et des lèvres minces. Elle n’a pas de cheveux, mais des sillons qui, de loin, peuvent sembler être une chevelure. Ses bras et ses mains sont bien proportionnés, mais sans ongles aux doigts. Le bas du corps est celui d’un poisson. »
Plus près de nous, vers le milieu du siècle dernier, un certain docteur Griffith souleva un immense intérêt en Amérique. Il transportait dans ses bagages une sirène qu’il céda bientôt à un imprésario qui la montra dans toutes les villes des États-Unis.
Ce fut d’ailleurs une désillusion pour la foule, car la sirène en question était loin de répondre à la description que nous avons donnée.
Haute d’un mètre, elle offrait un visage incontestablement laid. Elle avait les mains palmées et si le haut du corps desséché rappelait bien un buste féminin et sa partie inférieure une queue de poisson, il était assez difficile d’imaginer qu’une de ses semblables eût pu charmer le moins délicat des pêcheurs !
Aussi, on n’en parla bientôt plus…
Il y a d’autres sirènes dans tous les ports du monde, mais ça, c’est une autre histoire !
Une histoire qui consolera sans doute les marins de Brest ou de Marseille de n’avoir pas eu la chance des pêcheurs de Gargano et de Sétubal…
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(Anonyme, in Afrique Magazine, le grand journal de l’Union française, cinquième année, nouvelle série, n° 215, jeudi 29 avril 1948)