



(in La Révolution surréaliste, troisième année, n° 9-10, 1er octobre 1927)
(in La Révolution surréaliste, troisième année, n° 9-10, 1er octobre 1927)
Depuis le mois de mai, une maladie s’était mise dans les étables, et, l’une après l’autre, les bêtes mouraient. Le curé avait fait une procession et béni toutes les fermes d’Arfons, mais le mal redoublait. Des pluies continuelles avaient empêché la moisson de mûrir ; dans les bois de Saint-Hubert, on entendait hurler des loups comme pendant les hivers d’il y a cent ans. Puis ce furent des orages où, à chaque éclair, tout le ciel semblait se partager. On fit sonner les cloches, et voilà que dans la nuit du 15 août, la foudre tomba sur le clocher, écrasant le sonneur sous les décombres. Une petite fille aperçut des signes dans les nuages, on vit des feux follets danser sur les landes de la Vernière, on entendit des plaintes dans les grottes de Fendeille, et bientôt la peur fut maîtresse de la montagne. Les gens n’osaient plus sortir de chez eux à la nuit tombée, et chacun se barricadait chez soi comme au temps des miquelets. Le curé, qui était allé porter le viatique à un mourant, aperçut distinctement, à droite et à gauche du calvaire qui domine le plateau, deux figures en pleurs, et, comme il s’engageait dans le chemin creux, l’une de ces figures lui dit, se penchant vers lui : « Va, tant que tu portes le Bon Dieu, tu n’as rien à craindre, mais quand tu reviendras avec le ciboire vide, ne regarde pas derrière toi, et ne te retourne pas si tu t’entends appeler. » C’était dans la nuit du vendredi ; au retour, le vieux prêtre raconta l’histoire à sa gouvernante. Il se coucha et il mourut le dimanche matin ; alors, le village resta seul dans sa terreur, comme un enfant perdu dans une forêt.
Octobre vint. De la plaine, montaient de tristes nouvelles. Nulle part on n’avait pu faire la vendange, car le raisin, couvert d’une moisissure grise, pourrissait sur la branche, et ceux qui avaient cueilli et pressé les grappes encore vertes ne trouvaient que de la boue dans leurs cuves. Les granges s’allumaient les unes après les autres ; le vent d’autan, qui soufflait comme un fou, chassait des étincelles et des pailles enflammées d’un gerbier à l’autre, et des villages entiers brûlèrent. En vain, les plus vieux cherchaient dans leurs souvenirs, et les plus savants dans les anciens almanachs ; jamais de tels malheurs ne s’étaient vus, et tant de tristesses ne pouvaient annoncer qu’une calamité plus effroyable encore. Un dimanche, le marguillier de la paroisse descendit jusqu’à la ville et s’en fut à l’évêché demander un desservant pour l’église. Monseigneur lui fit un accueil plein de bonté, mais lui répondit qu’il ne pouvait lui envoyer personne ; pendant le mois de septembre, il était mort chaque jour un prêtre dans le diocèse, et l’évêque ajouta, baissant la voix avec une profonde douleur, que la moitié des clercs du grand Séminaire, ceux-là mêmes qui devaient recevoir l’ordination à la Noël, s’étaient enfuis, sautant le mur du jardin comme des malfaiteurs. Le marguillier, baissant la tête, reprit la route d’Arfons ; il rendit compte de sa mission au conseil de fabrique ; dès lors, tous, dans le village, comprirent que le temps de l’affliction était venu.
Un soir, un métayer qui revenait de la foire de Roquecourbe où il était allé vendre des agneaux, raconta qu’il avait vu un homme qui marchait nu-pieds et qui prêchait dans les carrefours ; on avait lancé les chiens sur lui, mais les chiens n’osaient pas le mordre, et se réfugiaient, hérissés de peur, derrière les portes ; on lui avait jeté des pierres, mais pas une ne l’avait atteint. « En revenant, ajoutait le métayer, je l’ai dépassé sur la route ; je me suis bien gardé de lui parler, mais il m’a semblé qu’il venait par ici. »
Le lendemain, l’homme arriva, et, debout sur la place de l’église, il se mit à prêcher. On comprenait mal ce qu’il disait, car, outre que ses paroles étaient obscures, personne n’osait l’approcher d’assez près. Il était de haute taille et s’appuyait sur un bâton courbé ; il portait une sorte de robe de bure que les épines et les ronces avaient déchirée ; par les trous de l’étoffe on voyait le poil roux et dru de ses jambes. Il parlait d’une voix forte, annonçant des choses secrètes, prêchant la pénitence, et il reprochait aux hommes leur aveuglement et leur obstination à ne pas voir les signes qui leur étaient envoyés. Longtemps il clama ainsi ; une veine bleue se gonflait sur son front. Quand il se tut, le maire, s’avançant seul vers lui, lui demanda s’il ne voulait rien à boire ou à manger. L’inconnu accepta du lait et du pain, qu’il but et mangea debout sur le seuil de la porte, n’ayant voulu ni entrer ni s’asseoir. Quand il eut fini, il s’essuya la bouche du revers de sa manche et demanda le nom du village. On le lui dit. Il reprit alors : « Arfons est le seul lieu où les chrétiens m’aient reçu en chrétien, et cela sera peut-être porté au compte des hommes d’ici. Puisque vous êtes moins fous et moins méchants que les autres, sachez que les temps sont révolus et que le jour du jugement approche. Veillez et priez ! Si je le puis, je repasserai encore une fois par ici, avant que la gloire de ce monde ne s’efface et ne retourne au néant. »
Tout devint clair aux yeux des gens de la montagne, et partout leur apparurent les signes avant-coureurs de la fin du monde. Près d’Arfons étaient deux rochers énormes que séparait une étroite coupure ; un vieux dicton voulait que lorsque ces deux pierres se rejoindraient, la fin des temps serait proche. Simon, le vieux berger, qui menait souvent ses brebis paître de ce côté-là, jura que les roches s’étaient rapprochées, et qu’il avait eu de la peine à passer son bras dans la fente où jadis il aurait mis la tête. D’autres rappelaient des prophéties obscures et anciennes et discutaient sur leur sens, et tout le village supputait avec angoisse le nombre de jours qui étaient encore marqués sur le livre de Dieu.
Le conseil de fabrique ayant tenu séance, ces messieurs firent monter à Arfons, le dimanche suivant, un vieux prêtre qui célébra la messe dans l’église, dont la voûte ouverte depuis la chute du clocher laissait voir un pan du ciel. Toute la population demanda à se confesser. Le prêtre fut tout surpris de ce zèle et plus étonné encore de voir qu’on lui demandait d’absoudre des enfants de cinq à six ans ; il haussait les épaules et cédait pourtant, mais il ne pouvait s’empêcher, en faisant sur leur tête le signe de la croix, de murmurer :
« Ces innocents sont plus purs que que moi ! »
Au bout de trois jours, le prêtre redescendit à Sorèze où il habitait avec sa sœur qui avait plus de quatre-vingts ans et qu’il soignait. Tout ce qu’on put lui faire promettre, c’était de remonter à Arfons si on venait le chercher.
Tous les hommes travaillèrent à réparer la toiture de l’église. Du matin au soir, les femmes priaient, les enfants pleuraient. Les avares étaient devenus généreux, le meunier distribua aux plus nécessiteux de la farine blanche.
Le forgeron essayait encore de dire des galanteries aux filles, mais celles qui, à l’ordinaire, étaient le moins farouches, ne se laissaient même plus prendre la taille. Le fossoyeur, qu’on ramassait ivre-mort tous les lundis, jura de ne plus boire, mais il s’accrochait au maire et lui demandait comment on s’y prendrait, si tout le monde mourait à la fois, pour ensevelir tous ces gens. Cela faisait dix jours, maintenant que l’homme était passé.
Le dernier vendredi d’octobre, vers neuf heures du soir, on aperçut un double cercle rouge autour de la lune, puis le cercle s’effaça et l’on vit distinctement dans le ciel une grande croix de feu ; enfin la lune se voila et un vent très froid s’éleva, tandis que le tonnerre roulait, et tous se rappelèrent ce qu’ils avaient lu, jadis, dans les paroissiens aux pages écointées. Une femme, au milieu d’un groupe, eut un rire aigu et, se tordant par terre, hurla :
« Demain, le prophète sera ici, je le sens, il approche ! »
Il arriva le soir, par la route de Saissac, les cheveux hérissés dans le vent, et les chiens vinrent lécher ses pieds saignants. Il s’arrêta sur la place ; au bout d’un instant, toute la population faisait cercle autour de lui ; alors, il désigna l’église dont la porte s’ouvrit toute seule devant lui, et il y entra suivi de tous et de toutes.
Longtemps, il parla, rappelant tous les péchés des hommes, et toutes leurs ingratitudes envers le ciel, puis il montra le Christ tel qu’il allait revenir, non plus souffrant, mais triomphant, non plus en victime, mais en justicier, non plus faible et vagissant sur la paille de l’étable, mais en majesté, assis sur les nuages, et la foudre à la main.
« Les temps sont révolus, s’écria-t-il, et celui qui doit venir surprendre les hommes comme un voleur s’introduit nuitamment dans la maison, celui-là, voyant votre pénitence, a permis que je vous annonce expressément sa venue. Ce monde, créé dans les six jours de la première semaine des temps, achève sa dernière semaine, et demain, jour du repos de Dieu, sera le jour de la destruction universelle. Hier, les premiers signes ont paru dans le soleil, la lune et les étoiles. »
Le soleil qui descendait à l’horizon lança par un vitrail un rayon de pourpre sur son visage. L’homme étendit le bras, et dit :
« Et toi, soleil, qui proclames depuis l’aube des temps, la gloire de Dieu, demain ce n’est plus ton flambeau, mais celui de la justice divine qui éclairera les débris de l’univers. »
Le prophète se tut, et, faisant signe à tous de le suivre, il sortit de l’église, et alla jusqu’au bout du cimetière. Il y avait là une terrasse, soutenue par une muraille épaisse, qui dominait une immense étendue. Quand tous, hommes et femmes, furent autour de lui, l’homme désigna à deux bras tout l’horizon et dit simplement :
« Regardez ! »
Le soleil, rougeoyant comme une forge, tombait rapidement, et les deux derniers pics des Pyrénées grandissaient d’instant en instant, montant à sa rencontre et barrant la moitié du ciel. Un voile épais de nuages et de vapeurs couvrit en un instant toute la plaine ; l’angélus de Saint-Hubert retentit et s’interrompit soudain comme si la corde eût cassé.
« Adieu soleil, dit l’homme. Nul œil humain ne te verra plus. »
Le soleil disparut, et, d’un seul coup, sans crépuscule, ce fut la nuit. Une nuit noire, épaisse, sans une étoile au ciel, et sans une lumière dans la plaine.
« Restez avec nous jusqu’à la fin ! » supplia une femme.
Mais l’homme n’était déjà plus parmi eux. À tâtons, ils s’accrochaient les uns aux autres dans l’obscurité. Un grand souffle furieux faisait craquer les cyprès ; une chouette lança son appel, mais nulle autre ne lui répondit.
« Allons à l’église, dit un homme, et attendons la fin tous ensemble. »
Ils rentrèrent dans l’église ; le sacristain jeta un cri de désespoir, la lampe perpétuelle s’était éteinte.
« Pourtant, j’avais renouvelé l’huile d’olive ce matin, » répétait-il, et il essayait de rallumer la flamme, mais les allumettes s’éteignaient l’une après l’autre en grésillant. Les cierges de l’autel s’éteignirent aussi. Alors, le fossoyeur apporta sa lanterne aux vitres de corne, que jamais le vent n’avait pu souffler lorsqu’il creusait les tombes pendant les nuits d’hiver ; il la posa sur le rebord de la chaire et tous commencèrent à prier, récitant les litanies de la Vierge et des Saints. Parfois le vent secouait si rudement la porte qu’on eût juré qu’une main énorme empoignait les vantaux, et il leur semblait que tous les démons de l’enfer faisaient le siège de l’église.
Le doyen du conseil de fabrique tira de sa poche sa grosse montre d’argent et l’approcha de la lanterne fumeuse. Il était un peu plus de dix heures. À minuit, le jour du jugement commencerait ; déjà, sans doute, les morts s’agitaient, dans leurs tombes, prêts à prendre le chemin de la vallée de Josaphat. Et pour les vivants, comment la fin viendrait-elle ? Serait-ce une pluie de feu, qui tomberait du ciel, ou bien une énorme vague née des abîmes de la mer qui arpenterait d’un seul pas les plaines et les montagnes, ou bien la terre s’ouvrirait-elle pour engloutir l’humanité ?
Les litanies des saints égrenaient leurs répons, trois fois on répéta le nom de saint Martin, patron de l’Église, les enfants ne dormaient pas, mais leurs voix traînaient un peu plus à mesure qu’avançait la veillée. Un nourrisson se mit à crier ; sa mère, en lui donnant le sein pour le faire taire, ne s’apercevait pas qu’elle pleurait, et que ses larmes roulaient sur la figure du petit. Quand les litanies furent achevées, on commença le rosaire, mais chacun répondait d’une voix de plus en plus basse, et celle qui disait le premier verset, prenant peur du son même de sa voix, finit par se taire. Alors, chacun se mit à prier mentalement, et l’on n’entendit plus aucun bruit que le tic-tac d’un taret dans une boiserie.
« Il sera bientôt minuit, » chuchota le doyen du conseil à l’oreille de son voisin.
Mais, si bas qu’il eût parlé, tous l’avaient entendu ou deviné, et, prenant leur tête dans leurs mains, ils commencèrent à faire leur examen de conscience avant de paraître devant Dieu.
De longues minutes roulèrent dans un gouffre de silence. Les fronts s’inclinaient de plus en plus vers les dalles mortuaires dont l’église était pavée, et le nourrisson consolé regardait à grands yeux étonnés pleurer sa mère. Soudain, un enfant se leva et dit :
« J’ai entendu chanter un coq.
– Tais-toi, et prie Dieu ! » gronda le père.
Mais, l’instant d’après, l’enfant répéta :
« J’ai entendu le coq chanter. »
Ils prêtèrent l’oreille, pour savoir si le petit avait dit vrai.
« Écoutez, dit celui-ci, je ne mens pas. »
En effet, dans le lointain, on entendit changer un coq, puis un autre lui répondit de plus près. Ils chantaient ainsi chaque nuit en pleines ténèbres, annonciateurs de l’aube qu’eux seuls savaient deviner.
« Laissez, fit le doyen, vous savez bien que les coqs commencent quelquefois à chanter sitôt le soleil couché. Ce sont des bêtes dépourvues de raison, qui ne connaissent pas ce que nous connaissons. Il n’est pas encore minuit. Prions. »
Ils se remirent à prier et l’enfant ne dit plus rien, mais déjà l’espérance était revenue parmi eux comme la lumière d’une lampe qui se glisse sous une porte.
(Jean Mistler, in Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, onzième année, n° 485, 30 janvier 1932 ; la nouvelle sera reprise la même année dans le recueil La Maison du docteur Clifton [Émile-Paul frères])
En rentrant le lendemain au soir dans son bouge, la Delpech ferma les rideaux du grabat où couchait son mari, en lui intimant de sa voix rude l’ordre de dormir.
Ensuite, avec un ciseau à froid, elle leva deux briques du carrelage, creusa un trou d’une cinquantaine de centimètres, y mit le dernier enfant asphyxié, le recouvrit de terre, et replaça les briques sans laisser voir le moindre signe d’émotion.
Son mari, qui frémissait de terreur, la vit après, par les déchirures du rideau, s’approcher de la caisse aux copeaux, en retirer un autre cadavre d’enfant qu’elle cacha dans son tablier, et se diriger vers la cour.
L’obscurité, les reflets du flambeau qui éclairait cette scène portant sur les traits durs de la mégère, et les mots étouffés qu’il entendait par moments sortir de ses lèvres, terrifiaient ce malheureux sur son grabat.
En regagnant sa chambre et avant d’éteindre la chandelle de suif, elle compta sur ses doigts à voix basse : « Deux ici, deux sous l’appentis de l’escalier là-bas, trois sous l’escalier, deux dans la chambre obscure et un dans la citerne, cela ne fait que dix dans le faubourg. Je peux aller à la douzaine. »
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(Mary Lafon, L’Ogresse de Montauban, Marseille : 1881)
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« Los caprichos, » P. 63, gravure de Francisco de Goya, 1799
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(in Poesia, deuxième année, n° 6-7-8, juillet-août-septembre 1906)
Avec des mouvements brusques, il allait, affolé, d’un bout à l’autre de sa prison, se dressait sur ses pattes de derrière, secouait les barreaux inflexibles, essayait de passer son fin museau au travers, les mordait, découvrant de petites dents blanches et pointues ; il avait réussi à tordre un de ces barreaux, mais repartait aussitôt à un autre coin, en un mouvement affairé, n’ayant probablement aucune suite dans les idées.
C’était un joli animal, aux petits yeux toujours en éveil, au corps presque blanc, avec des pattes fines toutes roses et transparentes ainsi que ses oreilles pointues ; il traînait derrière lui une longue queue terminée par une touffe de soie noire.
En le voyant, Romain Michalou fut d’abord étonné, puis effrayé et dégoûté ; il prit d’infinies précautions pour soulever la cage qui faisait des soubresauts dans ses mains.
Romain Michalou n’était pas un homme de la campagne. Né dans le dix-huitième arrondissement, flétri par toutes les névroses de la rue, vidé par vingt-cinq années de bureau et surtout par un nombre incalculable d’absinthes et de « pousse-café, » il n’avait presque jamais quitté la capitale et venait de se retirer avec sa femme et sa fille dans cette petite maison de la banlieue parisienne, bâtie en bordure de la voie ferrée.
Avec une hâte maladroite, il plongea la cage dans l’eau sale d’un seau, l’y tint deux minutes, la retira et fut surpris de voir que le rat, le poil collé sur sa peau luisante, était parfaitement vivant.
Romain Michalou avait ce caractère emporté, cette irritabilité inattendue de certains alcooliques. Il jura, cria : « Y a donc pas d’eau dans la turne !… Julie !… Julie !! apporte-moi un seau plein d’eau, cette garce de pompe ne marche pas ! »
Lorsque sa fille eut obéi, il immergea à nouveau la cage pendant dix minutes et le rat, loque lamentablement molle et gonflée, fut jeté sur un tas d’ordures.
Le piège tendu et garni d’un autre morceau de fromage, contenait le lendemain matin, un autre rat, tout semblable à celui de la veille.
« C’est donc pourri de rats, ici ?… » et il regardait interdit son second prisonnier qui se dressait sur ses pattes de derrière et faisait aller fébrilement celles de devant en un geste de prière, de terreur ou de mystérieuse incantation, dont il ne pouvait saisir le sens.
Après la noyade, il fut jeté à la même place que celui de la veille… Celui de la veille n’y était plus, probablement enlevé par quelque chat du voisinage.
Toute la nuit suivante, Romain à qui l’alcool avait fait perdre depuis longtemps le goût de manger et de dormir, pensa à ses chasses au rat ; le matin venu, il constata qu’un petit animal au fin museau, au poil presque blanc, s’était encore fait prendre.
« Vraiment curieux… une nichée probablement… Ils y viennent chacun leur tour et ils se ressemblent à un tel point !… C’est étrange, je n’ai jamais vu de rats comme ceux-ci… »
Au moment de le noyer ainsi que les deux autres, il changea d’avis, hanté par on ne sait quelle folie qui faisait cligner ses yeux dégarnis de cils, bordés de rouge.
Il murmura : « Ah ! mais il faudrait en être sûr tout de même… » et examina attentivement le rat qui, lui aussi, avait arrêté sa course affolée pour le fixer avec deux petites boules de jais… Puis il se dirigea vers le tas d’ordures où il chercha inutilement le cadavre de la veille.
À la cuisine, il souleva le couvercle du poêle qui ronflait tout rouge, ouvrit le piège. Le rat ne voulait pas descendre, s’accrochait où il pouvait… Il le secouait, tapait sur les barreaux et sentit les griffes qui paraissaient froides, froides… pendant que la grande lueur du foyer faisait étrangement briller les yeux noirs… Enfin, la bête tomba ; une flamme se tordit un instant, très haute, et il ne resta rien… rien, sous les cendres rouges.
Avec des mains tremblantes, il tendit à nouveau le piège soigneusement et se mit à boire, ce jour-là, plus tôt que de coutume.
La nuit, il dormit moins encore que la veille, fut terrifié par d’affreux cauchemars, dévoré lentement par des milliers de rats à la peau visqueuse et froide, enseveli sous des hécatombes de rats qui grouillaient et dont la marée montante l’étouffait…
Il se releva pour boire un demi-verre de bière de trois-six. – Souverain contre les idées noires, il n’y a encore que ça de vrai dans la vie. Et, à l’aurore, il se rendit derrière la maison où se trouvait le piège… De loin, il vit que le ressort s’était déclenché, refermant la porte sur un nouveau prisonnier.
Celui-là était encore exactement semblable aux autres ; il avait beau chercher une différence… la même couleur, la même taille, et surtout les mêmes petits yeux pleins de terreur dont il reconnaissait l’expression suppliante et dure tout à la fois – des yeux de martyr qui maudirait son bourreau…
Romain fut encore envahi, sans raison apparente, par une de ces colères froides qui ressemblaient à des accès de folie ; il ouvrit la cage, y passa la main, saisit la petite bête qui poussa un cri aigu, serra la main… serra plus fort… C’était mou, ça se tordait… ça ne bougea plus…
Il ouvrit la main, courut vers la maison, en revint avec un pot de couleur rouge, un pinceau, se mit à peindre le rat et le cloua sur une planche de clôture… puis, son état de surexcitation tombant à plat, il regarda avec découragement cette petite chose misérable et grotesque, tachée de rouge qui pendait le long de la planche.
Le rat, cloué par la poitrine, sa tête fine penchée sur l’épaule, prenait un air dolent. Une de ses pattes se tenait en l’air, les autres pendaient en des mouvements précieux. Romain murmura : « Je verrai bien… je verrai bien maintenant… » Mais il disait cela pour essayer de s’abuser, car il était persuadé que c’était « le même, » le même rat qu’il tuait chaque jour et qui revenait à la vie pour se moquer de son impuissance à le faire mourir.
Il ne s’expliquait pas ce mystère ; son pauvre cerveau près de succomber au delirium tremens en était bouleversé et cette chose incompréhensible prenait pour lui les proportions d’un événement épouvantable, d’une catastrophe… Il but pour ne pas y penser, pour s’entretenir dans cet état d’insensibilité remplaçant l’ivresse qu’il ne pouvait plus obtenir. Les femmes n’osaient intervenir, sachant bien qu’elles l’auraient mis dans une rage folle. Vers le soir, ce qu’il prenait ne faisant pas assez d’effet, il but à même une bouteille d’absinthe et tomba foudroyé.
L’aube commençait à poindre lorsqu’il revint à lui ; sa première pensée fut pour le rat ; il mit dix minutes à se décider… C’était une aurore de pourpre ; le soleil levant mettait des reflets rouges sur la peau de la petite bête qui était encore prise. Il se recula… Celui qui était crucifié avait disparu, il restait seulement le clou… Il eut un rire muet.
« Moi, je puis tuer… je puis tuer sans faire mourir… C’est drôle, je suis le seul… le seul sur la terre… C’est moi le seul !… »
Il rentra dans sa chambre et choisit un rasoir.
« Ouvrez… J’ai à vous raconter une histoire épatante… Ouvrez ! ou je brise la porte !! »
Pendant ce temps, le rat, qui était – comme les autres – un joli animal presque blanc traînant derrière lui une longue queue terminée par une touffe de soie noire, le rat qui devait appartenir à une race royale, réussissait à écarter deux barreaux et partait vers l’antre mystérieux où vivait sa famille. Là, il dut chanter son chant de victoire, danser son pas de guerre en annonçant que l’homme – le monstre – était mort, grâce à l’héroïsme de ses frères !!…
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(Georges Van Lokeren, in Gil Blas, trente-sixième année, n° 18465, vendredi 2 janvier 1914)
Photographie de M. A. K. Jones de Johannesburg
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UN MONSTRE EXTRAORDINAIRE
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Il a été découvert sur la côte du Natal
Il ne s’agit pas du légendaire serpent de mer que, depuis une éternité, des marins et des passagers de toutes les nations assurent avoir vu dans toutes les mers, notamment dans le Pacifique, suivre les navires, les dépasser, s’ébattre dans les eaux et enfin disparaître. Il s’agit bel et bien d’un animal extraordinaire ; on dirait un monstre antédiluvien que la nature, semble-t-il, a eu le caprice de laisser survivre au cataclysme pour exciter la curiosité des habitants postdiluviens de la Terre. Et la preuve que cet animal existe et qu’il n’a pas été créé par l’imagination d’un fumiste, d’un hurluberlu quelconque, c’est qu’il a été photographié et que nous en aurons bientôt les clichés photographiques.
Voici les faits tels qu’ils sont télégraphiés de Natal, en Afrique, au Daily Mail de Londres.
La première nouvelle qui annonçait l’apparition du monstre a été publiée par un journal de la localité, d’après une lettre de M. Ballance, un habitant du pays, homme sérieux, qui a pris la photographie de l’animal.
« Le 25 octobre au matin, raconte M. Ballance, j’ai vu deux cachalots lutter contre un monstre marin à une distance de mille mètres environ de la côte. J’ai pris mes jumelles et je fus fort étonné de voir un animal qui ressemblait à un ours polaire, mais de taille énorme, comme un éléphant. J’ai remarqué que ce monstre se levait jusqu’à une hauteur de vingt pieds au-dessus de l’eau et attaquait à plusieurs reprises les cachalots, mais ses coups ne semblaient pas efficaces. »
M. Ballance assista, durant trois heures, à cette lutte terrible. Peu à peu, les combattants s’approchèrent de la côte et il a vu, à la fin, que la victoire semblait rester du côté des cachalots, car le monstre blanc flottait entre les eaux, inerte. Une heure après, les cachalots s’en allèrent et la marée poussa le monstre vers la côte.
« À ma grande surprise, dit M. Ballance, j’ai vu que tout le corps du monstre était couvert de poils longs de huit pouces et blancs, exactement comme les poils des ours polaires. »
Et le reste au récit de M. Ballance est plus extraordinaire encore. Jugez-en :
Le lendemain matin, M. Ballance se rendit sur la côte et y trouva le monstre étendu sur le sable. Il le mesura. Cet animal, de la tête à la queue, avait une longueur de quarante-sept pieds. La queue était longue de dix pieds et avait une largeur de deux pieds. Et là où devait être la tête, l’animal avait une espèce de tronc, d’un diamètre de quatorze pouces et d’une longueur de cinq pieds, se terminant en un museau comme celui du porc. L’épine dorsale était très proéminente et, comme nous l’avons dit, tout le corps couvert de poils blancs.
Et M. Ballance tombe d’étonnement en étonnement. Nous aussi avec lui. Pendant dix jours, M. Ballance se rendit sur le rivage. Le monstre blanc restait toujours là, une masse inerte. Le onzième jour, M. Ballance s’attendait à trouver un cadavre, empestant l’atmosphère. Étonné, surpris, ahuri, il constata que l’animal avait disparu. Il questionna quelques indigènes qui se trouvaient là. Ils répondirent que, pendant qu’ils pêchaient ce matin-là, ils virent le monstre se promenant tranquillement sur le rivage et puis s’avancer dans l’intérieur du pays et disparaître.
Cette histoire n’est pas un poisson d’avril. Nous sommes encore au mois de décembre. Est-ce un rêve ? On le croirait, mais les photographies existent. M. Ballance a pris plusieurs clichés du monstre pendant qu’il gisait inerte sur le sable.
Il nous tarde de voir ces photographies, et, si le monstre existe réellement et se balade actuellement sur la terre ferme, – à moins que le goût ne lui vînt de faire encore un plongeon dans la mer bleue, – de connaître l’opinion des savants sur ce phénomène.
C. CHRISSAPHIDÈS
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(in Le Gaulois, journal de la défense sociale et de la réconciliation nationale, n° 17253, mardi 30 décembre 1924)
L’article original, s’appuyant sur le récit de Hugh Ballance, est paru dans le London Daily Mail, le 27 décembre 1924. Cette créature, surnommée depuis « trunko » par les cryptozoologistes, a fait l’objet d’un autre article dans le Rand Daily Mail en juillet 1925, puis dans le Wide World Magazine en août de la même année, illustré cette fois de deux photographies d’A. K. Jones.
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Article du Wide World Magazine d’août 1925
[découvert par Markus Hemmeler, collection de Richard Holland]
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Quatrième photographie de la carcasse du trunko, découverte dans les archives du Margate Museum par Bianca Baldi, en mars 2011
Dès l’antiquité la plus lointaine, l’ambition des magiciens et des savants, des adeptes les plus avancés dans l’étude des hautes sciences, a été la maîtrise vitale. Ils voulaient créer, par la seule puissance de l’art, des êtres doués de mouvement, de sensibilité et de conscience, en un mot dérober le secret de la vie. Il serait impossible d’affirmer que quelques-uns de ces chercheurs n’y sont pas parvenus, en tout cas, certains d’entre eux sont arrivés à de stupéfiants résultats.
Une des plus curieuses tentatives de ce genre est venue jusqu’à tous grâce aux traditions de la Kabbale, c’est celle des golem. Le magicien qui voulait en créer un pétrissait avec de l’argile rouge – à l’imitation du Dieu de la Genèse quand il fit Adam – une statue humaine de la taille d’un enfant de dix ans puis il écrivait sur son front le mot חי c’est-à-dire vie. Aussitôt le golem devenait doué de respiration, de mouvement et de parole. C’était un esclave docile pour le magicien qui pouvait lui faire exécuter les travaux les plus durs sans crainte de le fatiguer.
Cette création artificielle offrait pourtant un grave inconvénient ; les golem grandissaient avec une si prodigieuse rapidité qu’ils devenaient bientôt des géants qu’il fallait occuper, sous peine de mort, à quelque labeur impossible. Le magicien n’avait alors qu’une ressource, effacer sur leur front le mot vie et le remplacer par le mot מח c’est-à-dire mort. Aussitôt l’effigie redevenait une masse inerte d’argile, mais parfois l’imprudent magicien était écrasé sous l’énorme masse de ses débris.
Le fameux rabbin Ben Lévi créa ainsi quatre géants d’une taille colossale qui, en une nuit, creusèrent sous sa maison un souterrain de mille pas de longueur dont il avait besoin pour cacher ses trésors et ses livres à la veille d’une perquisition. Malheureusement les Kabbalistes, dont le secret est paraît-il encore aujourd’hui en possession de quelques adeptes, ne nous ont laissé dans aucun manuscrit le détail des cérémonies et des rites à employer pour la création des golem.
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Les moines du Moyen Age s’attaquèrent aussi à la création de l’homme artificiel, mais ce fut surtout en construisant des automates si habilement conçus qu’ils paraissaient doués de pensée.
Les chroniqueurs du XIIIe siècle citent avec admiration la tête de bronze construite par Albert le Grand, un des plus grands savants de son époque. Cette tête répondait à toutes les questions qu’on lui posait, même si elles roulaient sur les plus subtiles matières de la théologie. Mais un jour, saint Thomas d’Aquin, le disciple préféré d’Albert, brisa la tête magique à coups de bâton, dans un accès d’indignation religieuse, ou peut-être de jalousie. Roger Bacon (1215-1294), un des plus grands occultistes du Moyen-Âge, avait aussi construit une tête parlante qui, à la mort de son auteur, fut détruite par ordre du clergé.
De ce treizième siècle à nos jours, « l’automate » signale, par intermittence, sa présence. Ceux de Vaucanson n’ont peut-être pas cette logique artificielle que possède l’œuvre de Bacon. Le joueur d’échecs a laissé un souvenir vivace. Aujourd’hui, avec les progrès d’une science toujours à l’affût du nouveau, l’homme est arrivé à créer des « robots » non point parfaits, mais d’un tel mécanisme compliqué et ponctuel qu’ils étonnent à la fois et ravissent.
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Pour créer leurs androïdes, les constructeur du Moyen-Âge se sont servis de bois et de métaux, ils ont essayé de résoudre le problème par des moyens physiques et mécaniques ; c’est par des moyens physiologiques qu’un peu plus tard, le magicien cherchera à réaliser l’homoncule, c’est-à-dire un être artificiellement créé qui possède les qualités essentielles de l’homme. Il travaillera hardiment en pleine nature vivante. L’existence des homoncules était un fait couramment admis par les savants du XVe et du XVIe siècles et nombre d’entre eux nous ont laissé des formules qui doivent en permettre la réalisation.
Ces formules se ressemblent toutes par leur concision voulue, mais c’est peut-être celle du fameux Paracelse qui est la plus claire et la plus compréhensible.
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Auréolus Bombaste Paracelse (1493-1541) fut un génie universel ; ses œuvres, qui forment une véritable encyclopédie, embrassent la médecine, l’alchimie, l’histoire naturelle, l’astronomie, la chirurgie, la philosophie et les sciences occultes. D’une intelligence merveilleusement intuitive, il a été un précurseur de toutes les théories scientifiques modernes. L’illustre Berthelot avait pour ses livres, malgré les obscurités, les invraisemblances et les longueurs dont ils ont remplis, le plus grand respect et la plus grande estime. Paracelse a deviné les lois de l’atavisme, le radium, la métallothérapie, la chimie atomique, l’homéopathie, la lumière astrale et bien d’autres choses encore. Avec le temps, ses créations les plus audacieuses et les plus invraisemblables finissent par trouver, en tout ou en partie, leur confirmation dans les faits. Voici maintenant la recette de Paracelse pour la création des homoncules.
« Les philosophes de l’antiquité ont longtemps disserté sur cette question ; ils ont douté qu’il fût possible par la nature et par l’art d’engendrer un homme en dehors de l’aide de la femme. Je réponds à cela qu’une telle possibilité ne répugne nullement à l’art spagyrique et à la nature ; bien plus, cela est une chose très faisable.
Pour y réussir, on maintient dans un matras que l’on scelle une suffisante quantité de sperma vivi à la plus haute chaleur d’un ventre de cheval pendant quarante jours, ou aussi longtemps qu’il est nécessaire pour qu’il commence à vivre et à se mouvoir. Au bout de ce temps, il deviendra pareil à un homme, mais cependant translucide et sans consistance.
Ensuite, si chaque jour, secrètement, il est nourri avec précaution de sang humain ; si on le maintient pendant quarante semaines à la température toujours égale d’un ventre de cheval, il devient un véritable enfant vivant ; il possède tous les membres d’un fils de la femme, mais il demeure beaucoup plus petit de taille. On doit l’élever avec infiniment de soins et de précautions jusqu’à ce qu’il commence à raisonner et à comprendre. Ceci est un des plus grands secrets révélés par Dieu à l’homme mortel et capable de péché. »
Comme on le voit, ce texte succinct ne nous dit rien du mode opératoire. Paracelse se garde bien de nous apprendre de quel liquide doit être rempli le matras pour fournir au germe vivant un milieu nourricier. Notons cependant un point intéressant ; l’homoncule doit être nourri de sans humain pendant quarante semaines, ce qui est exactement le temps de la gestation humaine ; le sang remplacerait donc chez l’homoncule celui qui est apporté à l’embryon par le système circulatoire de la mère. Ainsi on pourrait ne pas prendre le mot nutritus au sens littéral. Il s’agit là, sans doute, non d’aliment digestible, mais de nutrition comme l’entendent les physiologistes.
Une expérience très connue, et d’autant plus curieuse qu’elle fut couronnée de succès, fut réalisée à la fin du dix-huitième siècle par le comte Ferdinand Kueffstein, chambellan de la cour de Vienne et appartenant à la vieille noblesse autrichienne. On en trouvera le récit dans les mémoires de Joseph Kammerev, intendant et homme de confiance du comte ; le caractère de naïveté du narrateur leur donne un véritable cachet d’authenticité. Malheureusement les huit homoncules, créés à ce qu’il semble d’après les méthodes de Paracelse, après de longs mois de soins et de travail, ne vécurent pas longtemps après la révolution de 1789 en dispersant les Kabbalistes, alors nombreux en Europe, mit pour longtemps fin à leurs singulières tentatives.
Ces fantastiques expériences que nous avons scrupuleusement relatées ont été souvent tournées en ridicule et ont longtemps offert aux savants officiels un sujet de raillerie facile, mais les sciences ont évolué et la plupart des merveilles relatées dans les livres d’occultisme et même dans les romans de chevalerie sont maintenant entrés dans le domaine des réalisations pratiques.
Constatons d’abord que la médecine s’est beaucoup rapprochée des résultats espérés, sinon obtenus, par les alchimistes et les magiciens. Les couveuses artificielles, qui permettent de mener à terme des vies humaines à peine formées après quelques mois seulement de gestation, ont une grande analogie avec les matras de Paracelse et de Kueffstein, et le fumier maintenu à une température constante pouvait à la rigueur remplacer les étuves et les thermosiphons. Il est hors de doute qu’avec des appareils plus parfaits et des données plus précises, la croissance d’un germe mâle dans un milieu artificiel ne devienne une chose très possible.
D’après l’opinion de savants autorisés, on ira même probablement plus loin par la création complètement artificielle du germe mâle lui-même, réalisant ainsi le vieux rêve ambitieux des Kabbalistes. Un naturaliste n’a-t-il pas créé de toutes pièces ces dernières années, avec des substances purement chimiques, des œufs d’oursin et d’autres mollusques inférieurs ? Et ces œufs étaient capables de produire des animaux vivants.
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Il faut rappeler dans ce même ordre d’idées, parmi les récentes découvertes qui peuvent se rattacher à ce sujet, la création du coeur artificiel de Lindbergh réalisé mécaniquement par ce dernier, sous la direction du docteur A. Carrel. Et encore les tentatives de « résurrection » de ce médecin soviétique opérant sur des animaux et réussissant, parfois après une mort violente, à ramener à la vie des chiens ou des chats ?
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Le savant qui serait à l’heure actuelle le plus capable de « produire » des animaux vivants est certainement le docteur Alexis Carrel. Ce génial chercheur, dont la puissante originalité offre beaucoup de points de rapport avec Paracelse lui-même, a ouvert à la science des voies toutes nouvelles. On sait qu’il est parvenu à construire des appareils où, dans un milieu approprié, des fragments de muscles ou d’autres organes, non seulement se conservent en parfait état, mais continuent à vivre et à grossir et peuvent après des années être utilisés dans des opérations chirurgicales. Il est hors de doute que les rêveries, si longtemps jugées absurdes des alchimistes et des magiciens, ne deviennent bientôt une réalité.
GUSTAVE LE ROUGE
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(in Le Monde illustré, n° 4066, samedi 23 novembre 1935)
On trouve malheureusement très peu d’informations sur le peintre et illustrateur Leopoldo (alias Léopold) Cenni. Il semble être né un peu avant 1889, avoir présenté plusieurs tableaux au Salon entre 1908 et 1914, avant de s’établir en Allemagne, sans doute après la guerre.
Une douzaine de ses œuvres ont été reproduites sous forme de cartes postales, par la « phototypie l’Abeille », à Paris, très active jusque dans les années 30. Certaines d’entre elles ont, par ailleurs, servi d’illustrations aux Mystères initiatiques de Henri Durville (1925). Il nous aurait paru dommage que ses compositions, délicieusement macabres et fantaisistes, puissent tomber dans l’oubli.
MONSIEUR N
Le tableau original, signé Leopoldo Cenni, est daté de septembre 1913. Il représente la fameuse messe noire célébrée par l’abbé Guibourg officiant sur le corps nu de la marquise de Montespan, lui servant d’autel.