En rentrant le lendemain au soir dans son bouge, la Delpech ferma les rideaux du grabat où couchait son mari, en lui intimant de sa voix rude l’ordre de dormir.
Ensuite, avec un ciseau à froid, elle leva deux briques du carrelage, creusa un trou d’une cinquantaine de centimètres, y mit le dernier enfant asphyxié, le recouvrit de terre, et replaça les briques sans laisser voir le moindre signe d’émotion.
Son mari, qui frémissait de terreur, la vit après, par les déchirures du rideau, s’approcher de la caisse aux copeaux, en retirer un autre cadavre d’enfant qu’elle cacha dans son tablier, et se diriger vers la cour.
L’obscurité, les reflets du flambeau qui éclairait cette scène portant sur les traits durs de la mégère, et les mots étouffés qu’il entendait par moments sortir de ses lèvres, terrifiaient ce malheureux sur son grabat.
En regagnant sa chambre et avant d’éteindre la chandelle de suif, elle compta sur ses doigts à voix basse : « Deux ici, deux sous l’appentis de l’escalier là-bas, trois sous l’escalier, deux dans la chambre obscure et un dans la citerne, cela ne fait que dix dans le faubourg. Je peux aller à la douzaine. »
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(Mary Lafon, L’Ogresse de Montauban, Marseille : 1881)