M. Z… eut un rêve. Le sexe de Nana lui apparut.
Ce fut d’abord une apparition charmante. Le sexe n’avait point encore eu la petite vérole. C’était avant Daguenet, Satin et C°.
Il était encore frais comme l’œil, le petit sexe. Il était joli comme un colibri, mignon comme un champignon. Il eût éclipsé de ses rayons tous les bijoux indiscrets du bon Diderot, tous les linguams et tous les nahamams sacrés des livres sanscrits.
Il fleurissait, comme une rose de mai, dans la pénombre blonde ; rose idéale, rose sans épine, matutina rosa ! Non point la rose des quatre vents ; mieux que cela, bien mieux : une rose vivante, une rose humaine, une fleur de passion, que Darwin aurait immédiatement classée parmi les plantes carnivores.
M. Z… sentit des chaleurs lui courir sur la peau, comme au contact de torchons brûlants. Sa bouche se dessécha ; ses lèvres se serrèrent fiévreusement. Le sang coulait torrentiel dans ses veines, et plus ardent que du pétrole enflammé. Ses tempes battaient avec violence, à coups précipités. Sa tête semblait une enclume étincelante, martelée à tour de bras par le désir. Sa poitrine haletait comme un soufflet de forge. Il avait quelque part une barre de fer incandescente.
Et il ne pouvait détacher son regard de l’apparition ; et le sexe apparu paraissait le regarder, le regardait en vérité, tel qu’un œil plein d’éclairs sous ses longs cils baissés.
Or, dans la fixité de cette ardente contemplation mutuelle, voici que le sexe se dilata insensiblement, comme la rose s’épanouit au soleil. M. Z… éprouvait la sensation de se dilater de même, fragmentairement tout au moins. Et cette sensation, il la savourait avec délices, le nombril inondé de chatouillements imaginaires, le cerveau fourmillant de pattes d’araignée phosphorescentes. Et de féconds, de voluptueux effluves s’exhalaient de tout son être vers le sexe frémissant, vers le sexe aux courbes gracieuses qui palpitait de frémissements subtils.
*
Et le sexe se mit à grandir à vue d’œil. Pas plus gros d’abord qu’une pièce de dix sous, il dépassait déjà le module d’une plaque de garde-champêtre.
Puis, il dépassa le module d’un camembert.
Puis, ce fut comme la bouche d’un canon (artillerie de montagne).
Puis, ce fut la pleine lune rousse.
Puis, ce fut la gueule d’un hippopotame.
Puis, le regard d’un égout parisien ;
Le cercle de Popilius Lænas ;
Le plafond de l’Ambigu ;
La grande rosace de Notre-Dame ;
Le bassin du Luxembourg ;
Le dépotoir de Bondy ;
La rade de Bizerte ;
La fortune de Mustapha ;
L’horizon qu’on découvre du haut de la butte Chaumont ;
L’horizon qu’on découvre du phare de la Hève ;
L’horizon qu’on découvre de la nacelle d’un ballon captif ;
L’horizon qu’on découvre de la nacelle d’un ballon libre ;
Enfin, tous les horizons pleins de mirages infini qu’on croit découvrir dans le rêve ou dans la démence.
*
Et M. Z…. sentait chaque fois quelque chose en lui grandir pareillement.
« Sexe ! s’écria-t-il en s’adressant à l’apparition, comme Kléber à Bonaparte après la bataille d’Aboukir ; sexe, vous êtes grand comme le monde ! »
Et le sexe grandissait encore.
Et, de semblable façon, grandissait partiellement M. Z…
« Sexe ! s’écria-t-il avec un redoublement d’enthousiasme ; sexe, tu dépasses les bornes de l’univers ! »
Et toujours le sexe grandissait. Et quoique le principe dilatable de M. Z… s’accrût toujours proportionnellement, voici que M. Z… crut avoir la berlue, voici que M. Z… fut réellement pris aux cheveux par le vertige.
M. Z… porte les cheveux courts. C’est égal ; le vertige l’empoigna par les crins. La sueur froide perlait sur son front carré.
Et le sexe, incomparable phénomène d’élasticité, ne cessait de s’élargir.
*
M. Z…, lui, arrêté, comprimé par le vertige tyrannique, depuis un moment, ne s’élargissait plus. Il commença à se rétrécir. Il diminua, diminua, diminua visiblement, rapidement, vertigineusement ; si bien que, le sexe devenant incommensurablement majuscule, Z… devint minuscule incommensurablement.
Il devint plus petit qu’une langue de bœuf ;
Plus petit qu’une blague à tabac, sans tabac ;
Qu’une bourse où ne pend plus même un petit sou ;
Qu’une poche de culotte déchirée ;
Qu’un gousset de gilet décousu ;
Qu’une praline à la vanille ;
Qu’une bille de bloquette ;
Une fève ;
Un haricot de Soissons ;
Un flageolet ;
Un biscaïen ;
Un petit pois ;
Une punaise ;
Un grain de plomb ;
Un grain de sel ;
Un grain de poivre ;
Une fourmi ;
Une puce ;
Un puceron ;
Un vibrion ;
Un demi-vibrion ;
Un milliardième de vibrion ;
Plus petit que le grand Pompée et Napoléon le Petit ;
Plus petit que ce qu’on peut s’imaginer de plus petit ;
Plus petit qu’un chantre de la chapelle Sixtine.
*
Vous voyez le spectacle d’ici, n’est-ce pas ? Dites, le voyez-vous ? D’un côté, le sexe énorme, gigantesque, immense, universel, qui grandit, grandit sans cesse, grandit démesurément ; de l’autre, M. Z…, qui diminue, diminue à chaque minute, et démesurément, à chaque minute, se recroqueville sans rémission.
Le sexe engloutissait la création.
Tout y venait, y entrait, y dansait, s’y engouffrait : hommes, femmes, Auvergnats, Prussiens, Peaux-rouges, Mogols, Nègres, singes, léopards, tigres, lions, crocodiles, rhinocéros, éléphants ; et les prés, les champs, les bois, les villes avec leurs colonnes, leurs arcs triomphaux, leurs cathédrales, leurs panthéons ; et les collines, les pics, les puys, les aiguilles, les volcans avec leurs cratères flamboyants ou fumeux, les chaînes de montagnes avec leurs neiges éternelles ; et les glaciers, les fleuves, les océans, les continents.
La terre n’y semblait plus qu’un œuf de pinson.
Le ciel y passa tout entier : étoiles filantes, étoiles fixes, constellations, planètes, nébuleuses, Ourses de toutes dimensions, Charlots de tous calibres.
Pansexisme !
*
M. Z… avait beau, pendant ce temps-là, se rapetisser constamment, le sexe le menaçait, le couvait, l’attirait despotiquement.
Le vertige devint alors irrésistible.
M. Z… ferma les yeux, leva ses mains jointes, serra les genoux, et piqua une tête, qui dégénéra en un plat-ventre, dans le sexe insondable, dans le sexe des Danaïdes, dans le sexe de Nana.
Il s’y noya, s’y perdit, s’y anéantit, y disparut.
En vain il chercha un instant ce qui restait de lui-même. Le sexe, comme l’avare Achéron, ne rend jamais sa proie. De lui, hélas ! il ne subsistait rien, pas même un document humain.
Rien, pas même des lochies !
Rien ! rien !
Rien !
Rien qu’un zéro, monstrueusement vaniteux et stérile !
MEKTOUB.
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(in Beaumarchais, journal satirique, littéraire et financier, deuxième année, n° 34, dimanche 29 mai 1881)