En cette semaine où le Chat Noir, daignant descendre des hauteurs de Montmartre et se transvaser à Rouen, est tout d’actualité, il nous a paru intéressant de publier une Chanson Zutiste, non pas d’un des poètes entendus dimanche dans les salons de la Préfecture, mais d’un de ceux qui fut l’un des premiers collaborateurs du gentilhomme Salis et qui apportait l’appoint de son exquise fantaisie aux premières soirées du cabaret de la rue de Laval : nous voulons nommer notre ami Marcel Bailliot, alias Fanfare, dont les délicates productions furent très goûtées des lecteurs du Rouen-théâtre. Voici l’une des œuvres du jeune chansonnier, créée par l’auteur aux soirées de La Plume et que Bruant eût été heureux de signer.

 

 

 

À LOURCINE

 

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I

 

Vrai, qué malheur ! la vi’ qu’on mène,

On s’éreinte, on s’donne d’la peine,

Et l’on finit dans la débine

À Lourcine.

 

II

 

Ma mèr’ qu’était un’ blanchisseuse

De son vivant fut pas heureuse,

Mais elle avait pris d’la vaccine

À Lourcine.

 

III

 

Moi, ça m’a pris voilà trois mois,

J’étais alors avec François,

Maint’nant on m’fourr’ d’la vaseline

À Lourcine.

 

IV

 

Ça peut durer dix ans, vingt ans,

Ça peut durer mêm’ soixante ans,

C’est c’que m’a dit ma voisine

À Lourcine.

 

V

 

Adieu la noce, adieu l’printemps,

J’suis pt’êt là pour ben longtemps,

J’verrai fleurir l’aubépine

À Lourcine.

 

VI

 

Ô mes pauv’ sœurs, les pauv’ catins,

Toujours soucieus’ des lendemains,

Sans cesse faut qu’on turbine

Pour Lourcine.

 

VII

 

Ça prouve assez que sur la terre,

Qu’on soit d’la haute ou prolétaire,

Y a pas d’roses sans épine

À Lourcine.

 

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(Marcel Bailliot, in La Soirée normande, journal littéraire, artistique et mondain, n° 5, du 10 au 17 décembre 1891)