Il était une fois une vieille femme qui était une terrible sorcière.
Elle avait une fille et une petite fille.
Lorsque la vieille sorcière se sentit mourir, elle appela sa fille auprès d’elle et lui donna ses instructions.
« Quand je serai morte, souviens-toi, ma fille, de ne pas laver mon corps avec de l’eau tiède ; mais remplis un chaudron, fais-la bouillir le plus chaud possible et, avec cette eau bouillante, échaude soigneusement toutes les parties de mon corps. »
Ayant dit ces paroles, la sorcière tomba malade. Elle resta ainsi deux ou trois jours et mourut. La fille courut chez tous ses voisins, les priant de venir l’aider à laver la vieille femme ; or, pendant ce temps, la petite fille resta seule à la maison. Et voici ce qu’elle vit :
Tout à coup, de derrière le poêle, sortirent deux démons, un grand et un chétif, et ils se jetèrent sur le cadavre de la sorcière.
Le vieux démon la saisit par les pieds et il la déchira de telle sorte qu’il lui arracha d’un coup toute la peau. Puis il dit au petit démon :
« Prends la chair pour toi et traîne-la sous le poêle. »
Alors le petit démon jeta ses bras autour de la carcasse et la traîna sous le poêle. Il ne resta plus rien de la vieille femme que sa peau. Le vieux démon s’y introduisit, puis il se coucha à l’endroit même où la sorcière avait été laissée gisante.
À ce moment, la fille rentra, ramenant une douzaine d’autres femmes, et toutes se mirent à l’ouvrage pour disposer le cadavre.
« Maman, dit l’enfant, ils ont enlevé la peau de grand-mère, pendant que tu n’y étais pas.
– Qu’est-ce que tu veux dire en me racontant de pareils mensonges ?
– C’est très vrai, maman ; il est sorti de dessous le poêle un homme noir qui a arraché la peau de grand-mère et qui s’est fourré dedans !
– Tais ta langue, méchante enfant, tu dis des bêtises », cria la fille de la vieille sorcière. Puis elle apporta un grand chaudron, le emplit d’eau froide, le mit sur le poêle et le chauffa jusqu’à ce que l’eau bouillît à gros bouillons.
Alors, les femmes enlevèrent la vieille sorcière, la placèrent dans un baquet, prirent le chaudron et versèrent l’eau bouillante sur elle, tout d’un coup.
Le démon ne put y tenir. Il sauta hors du baquet, s’élança à travers la porte et disparut, lui et la peau de la vieille. Les femmes regardèrent fixement.
« Quel miracle ! s’écrièrent-elles ; il y avait devant nous une femme morte, et voilà qu’elle n’y est plus. Il ne nous reste plus personne à emporter ou à ensevelir ; les démons l’ont enlevée sous nos yeux ! »
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(William Shedden Ralston, Contes populaires de la Russie, Paris : Hachette, 1874 ; traduit par Loys Brueyre [d’après Afanassiev])