PARA1
 

Dès l’antiquité la plus lointaine, l’ambition des magiciens et des savants, des adeptes les plus avancés dans l’étude des hautes sciences, a été la maîtrise vitale. Ils voulaient créer, par la seule puissance de l’art, des êtres doués de mouvement, de sensibilité et de conscience, en un mot dérober le secret de la vie. Il serait impossible d’affirmer que quelques-uns de ces chercheurs n’y sont pas parvenus, en tout cas, certains d’entre eux sont arrivés à de stupéfiants résultats.

Une des plus curieuses tentatives de ce genre est venue jusqu’à tous grâce aux traditions de la Kabbale, c’est celle des golem. Le magicien qui voulait en créer un pétrissait avec de l’argile rouge – à l’imitation du Dieu de la Genèse quand il fit Adam – une statue humaine de la taille d’un enfant de dix ans puis il écrivait sur son front le mot חי c’est-à-dire vie. Aussitôt le golem devenait doué de respiration, de mouvement et de parole. C’était un esclave docile pour le magicien qui pouvait lui faire exécuter les travaux les plus durs sans crainte de le fatiguer.

Cette création artificielle offrait pourtant un grave inconvénient ; les golem grandissaient avec une si prodigieuse rapidité qu’ils devenaient bientôt des géants qu’il fallait occuper, sous peine de mort, à quelque labeur impossible. Le magicien n’avait alors qu’une ressource, effacer sur leur front le mot vie et le remplacer par le mot מח c’est-à-dire mort. Aussitôt l’effigie redevenait une masse inerte d’argile, mais parfois l’imprudent magicien était écrasé sous l’énorme masse de ses débris.

Le fameux rabbin Ben Lévi créa ainsi quatre géants d’une taille colossale qui, en une nuit, creusèrent sous sa maison un souterrain de mille pas de longueur dont il avait besoin pour cacher ses trésors et ses livres à la veille d’une perquisition. Malheureusement les Kabbalistes, dont le secret est paraît-il encore aujourd’hui en possession de quelques adeptes, ne nous ont laissé dans aucun manuscrit le détail des cérémonies et des rites à employer pour la création des golem.
 

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Les moines du Moyen Age s’attaquèrent aussi à la création de l’homme artificiel, mais ce fut surtout en construisant des automates si habilement conçus qu’ils paraissaient doués de pensée.

Les chroniqueurs du XIIIe siècle citent avec admiration la tête de bronze construite par Albert le Grand, un des plus grands savants de son époque. Cette tête répondait à toutes les questions qu’on lui posait, même si elles roulaient sur les plus subtiles matières de la théologie. Mais un jour, saint Thomas d’Aquin, le disciple préféré d’Albert, brisa la tête magique à coups de bâton, dans un accès d’indignation religieuse, ou peut-être de jalousie. Roger Bacon (1215-1294), un des plus grands occultistes du Moyen-Âge, avait aussi construit une tête parlante qui, à la mort de son auteur, fut détruite par ordre du clergé.

De ce treizième siècle à nos jours, « l’automate » signale, par intermittence, sa présence. Ceux de Vaucanson n’ont peut-être pas cette logique artificielle que possède l’œuvre de Bacon. Le joueur d’échecs a laissé un souvenir vivace. Aujourd’hui, avec les progrès d’une science toujours à l’affût du nouveau, l’homme est arrivé à créer des « robots » non point parfaits, mais d’un tel mécanisme compliqué et ponctuel qu’ils étonnent à la fois et ravissent.
 

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Pour créer leurs androïdes, les constructeur du Moyen-Âge se sont servis de bois et de métaux, ils ont essayé de résoudre le problème par des moyens physiques et mécaniques ; c’est par des moyens physiologiques qu’un peu plus tard, le magicien cherchera à réaliser l’homoncule, c’est-à-dire un être artificiellement créé qui possède les qualités essentielles de l’homme. Il travaillera hardiment en pleine nature vivante. L’existence des homoncules était un fait couramment admis par les savants du XVe et du XVIe siècles et nombre d’entre eux nous ont laissé des formules qui doivent en permettre la réalisation.

Ces formules se ressemblent toutes par leur concision voulue, mais c’est peut-être celle du fameux Paracelse qui est la plus claire et la plus compréhensible.
 

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Auréolus Bombaste Paracelse (1493-1541) fut un génie universel ; ses œuvres, qui forment une véritable encyclopédie, embrassent la médecine, l’alchimie, l’histoire naturelle, l’astronomie, la chirurgie, la philosophie et les sciences occultes. D’une intelligence merveilleusement intuitive, il a été un précurseur de toutes les théories scientifiques modernes. L’illustre Berthelot avait pour ses livres, malgré les obscurités, les invraisemblances et les longueurs dont ils ont remplis, le plus grand respect et la plus grande estime. Paracelse a deviné les lois de l’atavisme, le radium, la métallothérapie, la chimie atomique, l’homéopathie, la lumière astrale et bien d’autres choses encore. Avec le temps, ses créations les plus audacieuses et les plus invraisemblables finissent par trouver, en tout ou en partie, leur confirmation dans les faits. Voici maintenant la recette de Paracelse pour la création des homoncules.

« Les philosophes de l’antiquité ont longtemps disserté sur cette question ; ils ont douté qu’il fût possible par la nature et par l’art d’engendrer un homme en dehors de l’aide de la femme. Je réponds à cela qu’une telle possibilité ne répugne nullement à l’art spagyrique et à la nature ; bien plus, cela est une chose très faisable.

Pour y réussir, on maintient dans un matras que l’on scelle une suffisante quantité de sperma vivi à la plus haute chaleur d’un ventre de cheval pendant quarante jours, ou aussi longtemps qu’il est nécessaire pour qu’il commence à vivre et à se mouvoir. Au bout de ce temps, il deviendra pareil à un homme, mais cependant translucide et sans consistance.

Ensuite, si chaque jour, secrètement, il est nourri avec précaution de sang humain ; si on le maintient pendant quarante semaines à la température toujours égale d’un ventre de cheval, il devient un véritable enfant vivant ; il possède tous les membres d’un fils de la femme, mais il demeure beaucoup plus petit de taille. On doit l’élever avec infiniment de soins et de précautions jusqu’à ce qu’il commence à raisonner et à comprendre. Ceci est un des plus grands secrets révélés par Dieu à l’homme mortel et capable de péché. »

Comme on le voit, ce texte succinct ne nous dit rien du mode opératoire. Paracelse se garde bien de nous apprendre de quel liquide doit être rempli le matras pour fournir au germe vivant un milieu nourricier. Notons cependant un point intéressant ; l’homoncule doit être nourri de sans humain pendant quarante semaines, ce qui est exactement le temps de la gestation humaine ; le sang remplacerait donc chez l’homoncule celui qui est apporté à l’embryon par le système circulatoire de la mère. Ainsi on pourrait ne pas prendre le mot nutritus au sens littéral. Il s’agit là, sans doute, non d’aliment digestible, mais de nutrition comme l’entendent les physiologistes.

Une expérience très connue, et d’autant plus curieuse qu’elle fut couronnée de succès, fut réalisée à la fin du dix-huitième siècle par le comte Ferdinand Kueffstein, chambellan de la cour de Vienne et appartenant à la vieille noblesse autrichienne. On en trouvera le récit dans les mémoires de Joseph Kammerev, intendant et homme de confiance du comte ; le caractère de naïveté du narrateur leur donne un véritable cachet d’authenticité. Malheureusement les huit homoncules, créés à ce qu’il semble d’après les méthodes de Paracelse, après de longs mois de soins et de travail, ne vécurent pas longtemps après la révolution de 1789 en dispersant les Kabbalistes, alors nombreux en Europe, mit pour longtemps fin à leurs singulières tentatives.
 

PARA2

 

Ces fantastiques expériences que nous avons scrupuleusement relatées ont été souvent tournées en ridicule et ont longtemps offert aux savants officiels un sujet de raillerie facile, mais les sciences ont évolué et la plupart des merveilles relatées dans les livres d’occultisme et même dans les romans de chevalerie sont maintenant entrés dans le domaine des réalisations pratiques.

Constatons d’abord que la médecine s’est beaucoup rapprochée des résultats espérés, sinon obtenus, par les alchimistes et les magiciens. Les couveuses artificielles, qui permettent de mener à terme des vies humaines à peine formées après quelques mois seulement de gestation, ont une grande analogie avec les matras de Paracelse et de Kueffstein, et le fumier maintenu à une température constante pouvait à la rigueur remplacer les étuves et les thermosiphons. Il est hors de doute qu’avec des appareils plus parfaits et des données plus précises, la croissance d’un germe mâle dans un milieu artificiel ne devienne une chose très possible.

D’après l’opinion de savants autorisés, on ira même probablement plus loin par la création complètement artificielle du germe mâle lui-même, réalisant ainsi le vieux rêve ambitieux des Kabbalistes. Un naturaliste n’a-t-il pas créé de toutes pièces ces dernières années, avec des substances purement chimiques, des œufs d’oursin et d’autres mollusques inférieurs ? Et ces œufs étaient capables de produire des animaux vivants.
 

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Il faut rappeler dans ce même ordre d’idées, parmi les récentes découvertes qui peuvent se rattacher à ce sujet, la création du coeur artificiel de Lindbergh réalisé mécaniquement par ce dernier, sous la direction du docteur A. Carrel. Et encore les tentatives de « résurrection » de ce médecin soviétique opérant sur des animaux et réussissant, parfois après une mort violente, à ramener à la vie des chiens ou des chats ?
 

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Le savant qui serait à l’heure actuelle le plus capable de « produire » des animaux vivants est certainement le docteur Alexis Carrel. Ce génial chercheur, dont la puissante originalité offre beaucoup de points de rapport avec Paracelse lui-même, a ouvert à la science des voies toutes nouvelles. On sait qu’il est parvenu à construire des appareils où, dans un milieu approprié, des fragments de muscles ou d’autres organes, non seulement se conservent en parfait état, mais continuent à vivre et à grossir et peuvent après des années être utilisés dans des opérations chirurgicales. Il est hors de doute que les rêveries, si longtemps jugées absurdes des alchimistes et des magiciens, ne deviennent bientôt une réalité.
 

GUSTAVE LE ROUGE

 

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(in Le Monde illustré, n° 4066, samedi 23 novembre 1935)