RÉSUMÉ DES CHAPITRES PRÉCÉDENTS

 

Le narrateur s’est lancé dans l’exploration de la mystérieuse maison aux 30 portes où demeure un certain professeur Gaultier qui a réussi à entrer en contact avec des univers inconnus co-existant dans l’espace. Les héros de l’histoire ont ouvert la 6e porte et ont pénétré dans une forêt à la végétation inconnue. Là, une étrange population d’hommes de verre était terrorisée par le professeur Gaultier. Celui-ci est capturé par les héros de l’histoire, mais il parvient à leur échapper. Il est tué, et les héros de l’histoire restent prisonniers au pays de la 4e dimension. Ils se lancent dans l’exploration du pays des hommes de verre.
 

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« Regarde cette chose… là-bas ! » s’écria soudain Loya.

Je suivis son geste. Sur le bord lointain de la vallée, on distinguait, en effet, une sorte de ligne pointillée en relief à la surface du sol, ligne constituée par des blocs réguliers, également espacés mais trop lointains pour être clairement identifiables.

« Sûrement pas une fantaisie de la nature… songeai-je. On dirait… on dirait un travail humain !… »

« Allons voir ! » dis-je.

Nous nous lançâmes sur la pente, les chevaux renâclant parfois lorsqu’une pierre, se détachant sous leurs sabots, roulait jusqu’au fond de la faille. La face opposée de la vallée était plus accessible et nous la gravîmes sans retenir les bêtes, au galop, riant d’être giflés au passage par les branches.

Au niveau du plateau, nous revîmes, considérablement plus proches, les mystérieux objets qui, j’en étais maintenant certain, étaient les produits du travail des hommes. La curiosité me tenaillait et c’est à toute allure que nous parcourûmes les derniers quinze cents mètres nous séparant encore de la plus proche de ces constructions.

Après quelques minutes, nous arrêtâmes les chevaux haletants. Devant nous s’élevait un double pilier d’une pierre lisse, très blanche, pareille à du marbre ; de ces colonnes hautes d’une dizaine de mètres sortaient, rouillées et tordues, d’énormes cornières de métal qui servaient de tuteurs à une foison de plantes grimpantes. Semblable à un hochet géant, un immense anneau – il faisait bien dix mètres de diamètre – pendait, dérisoire, au long des piliers dont il avait fait voler des éclats dans sa chute. Il était constitué d’une armature circulaire d’une matière translucide pareille à du plexiglass, sur laquelle étaient bobinés plusieurs centaines de mètres de fil de cuivre, incroyablement rongé par l’oxydation, qui se rompit sous une faible traction.

De vingt en vingt mètres, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, s’élevait une construction semblable. De loin en loin, l’un des grands anneaux était encore en place, posé droit sur les piliers. Je compris que, quand cette installation prodigieuse avait été montée, tous les anneaux devaient se trouver alignés comme les arceaux d’un gigantesque jeu de croquet.

« Qu’est-ce que cela ? demanda Loya, regardant les ruines avec une curiosité vaguement inquiète.

– Je ne sais trop… j’ai une idée… C’est en tous cas la preuve que des hommes ont vécu ici, dont la civilisation pourrait faire pâlir la nôtre, je veux dire celle de la Terre.

– À quoi cela sert-il ?

– Sans doute à transporter des gens à travers ce pays, mille fois plus vite que nous n’avançons sur nos chevaux. On avait essayé quelque chose du même genre dans mon pays, j’en ai entendu parler. Mais pour ce qui est de te l’expliquer… »

Je souris, songeant que pour décrire à Loya le principe du train électro-magnétique, il me faudrait commenter, expliquer chaque mot par d’extraordinaires périphrases. Elle n’avait jamais entendu parler d’électricité et je ne me sentais guère capable de faire sur place un cours de physique… Mais je me souvenais du wagon qu’un ingénieur français, Bachelet, avait inventé, engin en forme d’obus qui devait se déplacer sans contact, sans frottement ni pièces mobiles, suspendu magnétiquement dans un solénoïde, à une vitesse dépassant mille kilomètres à l’heure ! La technique terrestre n’avait pas permis à l’inventeur de dépasser le stade du modèle réduit. Quels étaient les habitants de ce monde qui avaient réalisé cette ligne auprès de laquelle nos plus audacieux chemins de fer n’étaient que broutilles ?

Je réalisai soudain qu’une telle ligne ne pouvait mener qu’à une ville ; c’était, dans le désert, un fil conducteur ; plus n’était besoin d’errer au hasard dans la campagne.

« En route, petite fille, m’écriai-je. Je crois que le mystère du pays des hommes morts est en bonne voie d’éclaircissement ! »

La ligne de piliers s’incurvait lentement vers la montagne. Je résolus de suivre cette direction. À une cinquantaine de mètres de la ligne, un chemin qui avait été, jadis, il y a longtemps sans doute, recouvert d’un enduit lisse et brillant. Le revêtement avait cédé sous la poussée des plantes, s’était effrité, fendu de longues lézardes, mais restait pourtant une piste aisée à suivre.

L’heure vint où, comme chaque soir, nous installions notre camp. Déjà les chevaux étaient entravés et je dépliais la couverture qui enveloppait notre petit matériel de cuisine, quand Loya, qui s’était écartée de quelques mètres pour chercher de l’eau, poussa un cri. Saisissant mon couteau, je courus dans la direction de l’appel. Loya était comme figée devant une forme oblongue, écrasée contre un pilier, déjà confuse dans le crépuscule. Je m’approchai.
 

(À suivre)

 
 

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(H. Bourdens, in Le Petit Marocain, trente-septième année, n° 10112, jeudi 13 janvier 1949 ; ce très curieux roman « fantastique, » sur le thème des autres dimensions, n’a jamais été publié en volume ; il est précédemment paru dans L’Avant-Garde, organe central de la Fédération des jeunesses communistes de France, à partir de septembre 1946)

 
 
 

 

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(in Ce Soir, grand quotidien d’information indépendant, dixième année, n° 1549, vendredi 6 septembre 1946)