RÉSUMÉ DES CHAPITRES PRÉCÉDENTS
Le narrateur s’est lancé dans l’exploration de la mystérieuse maison aux 30 portes où demeure un certain professeur Gaultier qui a réussi à entrer en contact avec des univers inconnus co-existant dans l’espace. Les héros de l’histoire ont ouvert la 6e porte et ont pénétré dans une forêt à la végétation inconnue. Là, une étrange population d’hommes de verre était terrorisée par le professeur Gaultier. Celui-ci est capturé par les héros de l’histoire, mais il parvient à leur échapper. Il est tué, et les héros de l’histoire restent prisonniers au pays de la 4e dimension. Ils se lancent dans l’exploration du pays des hommes de verre. Ils finissent par découvrir les ruines d’un étrange chemin de fer électro-magnétique qui semblent les vestiges d’une civilisation disparue.
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J’engageai l’extrémité du fil numéro un dans les griffes du mécanisme, poussai le bouton. Il y eut un très léger ronflement. Loya me regardait faire, partagée entre la curiosité et la crainte. Et soudain elle bondit contre moi, quand une voix tout ensemble frêle et autoritaire s’éleva. L’appareil marchait ; la voix de l’homme mort au-delà des années, des siècles peut-être, se faisait entendre.
Dès le début, la joie m’étreignit. Au lieu du jargon incompréhensible que je m’attendais à entendre, c’était la langue des hommes de verre qui résonnait. Avec un accent différent certes, plus posé, plus clair, et beaucoup de mots inconnus aussi, de véritables « trous » dans la compréhension, termes techniques oubliés ou particularités d’un langage local. Mais ce que contait cette voix était si passionnant qu’en dépit de toutes les difficultés, je la saisissais merveilleusement claire. Le ruban d’acier se déroulait et la voix, suivant ce déroulement, nous disait la catastrophe qui avait fait disparaître un monde…
Loya écoutait de toutes ses oreilles, mais, visiblement, comprenait peu de choses à ce discours étrange. Parfois, quand un passage me semblait obscur, j’arrêtais l’appareil, reculais le fil de quelques décimètres et l’appareil me répétait obligeamment la phrase incomprise.
« Si jamais ce discours est entendu par des oreilles humaines, dit la voix, je n’aurai pas fait cet effort pour rien. L’histoire de la chute de notre magnifique empire servira peut-être à un autre peuple, à éviter l’erreur qui nous fut mortelle… Illusions, sans doute ! Pourtant, avant de mourir, moi, Rholtogr, le dernier des maîtres de la Science, je veux tenter de racheter un peu les torts, mes torts, qui, avec tant d’autres, ont amené sur nous le cataclysme.
Un de nos penseurs a dit, il y a déjà plusieurs siècles, que chaque progrès de la Science pouvait être tourné au profit du bien ou du mal, et que, dans notre ordre social, qui était mauvais, ces progrès, au lieu de libérer l’homme, ne faisaient que renforcer son esclavage.
– Il y a cinquante ans que Tolstoï a dit pratiquement la même chose chez nous, » songeai-je tout haut, pendant une brève pause de la voix. Loya me regarda étonnée. Nous étions assis dans de profonds fauteuils, près du bureau, face au magnifique spectacle de la ville morte qui nous apparaissait par l’une des baies. La voix reprit :
« Ce penseur se plaçait par ces mots, d’une façon intolérable, en travers de l’ordre existant. Déjà, les savants commençaient à établir sur tout l’empire une domination secrète mais implacable. C’était l’époque des premiers robots, des premiers appareils télécommandés qui traversaient sans pilote les zones tempétueuses de l’océan Eï-Mohr occidental. Prévoyant le danger, le célèbre musicien Nunty Dijick, qui luttait avec le peuple contre la mainmise par quelques-uns sur toutes les richesses du monde, proclama : « Plaignons nos malheureux descendants qui se débattront contre les torpilles à souvenir lumineux, les cellulo-mitraillettes, les autos « endomécaniques » ! Il faudrait pendre ces inventeurs qui utilisent leur science contre l’humanité pour l’asservir, plus encore que pour régaler leur rêve mégalomane ! »
Nunty Dijick avait, certes, raison. Hélas ! Il parlait trop tard. La science avait pénétré partout, élevant, sans doute, le standard de vie, mais trop souvent détruisant la dignité humaine. Dans des usines souterraines, écartées des villes de résidence, des générations d’ouvriers vivaient sans voir le jour, esclaves des machines produisant sans cesse plus de ces choses magnifiques qui nous rendaient la vie si douce et dont jamais ils n’auraient l’usage ! Parfois, conscients de leur malheur, ils cherchaient à obtenir un sort meilleur. Le résultat était toujours le même.
La vieille technique de révolution populaire, au temps de la mécanisation intensive, était singulièrement inadaptée. Un atelier trop agité recevait une injection de gaz et l’affaire était étouffée. Parfois aussi, dans la classe dirigeante, des originaux, se tournant vers ces malheureux, disaient : « Un monde qui permet cela est mauvais et nous devons en changer. » Les savants se débarrassaient discrètement de ces gêneurs.
Nunty Dijick disparut. Un philosophe doublé d’un sociologue génial, Tharitamp, qui affirmait qu’un homme était le bien le plus précieux qu’il y avait sur terre et que nul n’en pouvait disposer à son profit personnel, disparut aussi.
Pourtant, l’agitation grondait. Il y a cinquante ans, je m’en souviens, on exécuta solennellement un jeune ouvrier qui s’était évadé de son usine, crime déjà suffisant ! Mais il avait osé en plus adresser la parole à Rahita Manoran, la fille du président des Études magnétiques, l’un des cinq maîtres de la Science.
Je dois dire, à ma décharge, que j’étais assez mal au courant. En tant que président des Études astronomiques, mes soins étaient portés sur la difficile question des relations avec les mondes éloignés, et si je profitais de l’organisation inique de notre société, j’étais loin d’approuver tout ce qui se passait. Je ne pouvais pourtant manifester mon opinion. Cela m’eût coûté trop cher. Mes quatre collègues représentant la Chimie, la Physique, le Magnétisme et l’Électricité, me considéraient déjà comme un inutile, car mon département était loin d’avoir le rendement des leurs. Aussi, je me tus et me confinai de plus en plus en mon laboratoire. Mais voilà que je me suis écarté de mon sujet. »
(À suivre)
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(H. Bourdens, in Le Petit Marocain, trente-septième année, n° 10160, jeudi 10 mars 1949 ; ce très curieux roman « fantastique, » sur le thème des autres dimensions, n’a jamais été publié en volume ; il est précédemment paru dans L’Avant-Garde, organe central de la Fédération des jeunesses communistes de France, à partir de septembre 1946)
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(in Ce Soir, grand quotidien d’information indépendant, dixième année, n° 1549, vendredi 6 septembre 1946)


