Cette épigramme, empruntée à Rulhière sur Dorat, après sa lecture de l’ode L’Inoculation, est parue dans le journal satirique Diogène, deuxième année, n° 88, dimanche 17 novembre 1861.

 
 

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Il y a quelque temps déjà, nous avons découvert que quatre-vingts des aphorismes rassemblés dans les Broussailles de la pensée de Xavier Forneret avaient fait l’objet d’une publication préoriginale dans Le Nain jaune, entre février et avril 1868. Sauf erreur de notre part, cette référence est passée inaperçue, car nous n’en avons trouvé mention nulle part. Ce sont ces aphorismes que nous reproduisons aujourd’hui dans La Porte ouverte.

Les numéros de pages entre crochets correspondent aux aphorismes des Écrits complets de Xavier Forneret, volume II, dans l’édition établie en 2013 par Bernadette Blandin aux Presses du Réel. En fin de publication, nous avons souligné en caractères gras le post-scriptum, la lettre de Forneret et le curieux pastiche de la fable du Corbeau et du Renard, qui ne figurent pas dans les Écrits complets et sont donc vraisemblablement restés inédits à ce jour.
 

MONSIEUR N

 
 
 

BROUSSAILLES DE LA PENSÉE

 

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Exception. – Règle.

 
 

L’AVENIR… Miroir de Dieu que tout être ternit.
 

*

 

Les choses du Monde finissent, – mais non le monde des Choses.
 

*

 

Plaider pour une cause, alors que la Conscience CRIE contre cette même cause, – ne doit-on pas appeler cela – LE CRIME DE LA PAROLE ?
 

*

 

La vérité est une rose qui finit toujours par fleurir sur l’épine du Mensonge.
 

*

 

Baiser de femme apporte un ciel bleu dans l’Orage.
 

*

 

Mère, Amour, Amitié, – trois mots venant du Ciel.
 

*

 

L’amour-propre est la serrure du cœur de l’homme ; la Flatterie en est la clé.
 

*

 

L’Animal a des mains qui travaillent : l’Homme a des pattes qui prennent.
 

*

 

L’opposition quand même à une bonne chose, est comme une verrue qui lui forme un diamant.
 

*

 

La Prière est la perle attachée au cœur triste.
 

[194-197]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 464, mardi 18 février 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

L’Opinion publique est une pauvre vieille que la main de la Calomnie se plaît à égarer dans son fangeux labyrinthe, et qui ne retrouve son vrai chemin que trop longtemps après l’avoir perdu.
 

*

 

Les fripons y voient souvent plus clair que les honnêtes gens, quoique ayant la vue basse.
 

*

 

Le Monde est une bourreau qui, souvent, les yeux bandés, ne vous en frappe que plus sûrement au cœur.
 

*

 

La Nécessité est une cloche qui sonne comme frappe un sourd.
 

*

 

Ne confondons pas la Fierté avec l’Orgueil, – celui-ci n’étant (si l’on peut dire ainsi) que le valet de pied de la première.
 

*

 

Sans être vu par elle, voir penser la femme qui nous aime, et croire que nous sommes l’objet de ses rêveries, – n’est-ce pas là le bonheur dans sa pureté ?
 

*

 

À l’ombre de chaque être humain, s’attache dans sa vie, un monstre couvert de fleurs : – les fleurs, c’est le Désir ; – le monstre, – la Possession.
 

*

 

Les grands caractères gênent les petits siècles… et les petits hommes.
 

*

 

Au temps du Carnaval, l’homme met sur son masque un visage de carton.
 

*

 

Les cimetières sont des portefeuilles où toutes les valeurs humaines, en s’y plaçant, se réduisent à zéro.

À Dieu, dans sa puissance, et justice et bonté,

De refaire au zéro, la forme d’unité.
 

[301-304]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 466, mardi 25 février 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Il est bien des cas où le Ridicule reste à qui le lance.
 

*

 

Quand le Cœur est trop gonflé de mots, les yeux sont la bouche.
 

*

 

Si parfois on qualifie la Femme d’énigme, – c’est l’Homme qui en est le mot.
 

*

 

L’Amour est un oiseau voltigeant sur… des pleurs.
 

*

 

Le Spectre est le mensonge de la Mort, – comme le Malheur est la vérité de la Vie.
 

*

 

Notre enfance peut être comparée à un tombeau duquel le Temps nous soulève pour nous en faire faire le tour. – Après ce voyage, la Mort nous rentre en la vraie tombe, presque toujours meurtri…
 

*

 

La Patrie, – c’est le pain du Cœur.
 

*

 

Le Souvenir est une ombre du Passé, qui souvent nous échappe : – quelquefois gracieuse dans ses formes, elle n’en est que plus déchirante, car ce n’est que le souvenir.
 

*

 

Le Cœur doit se donner comme la Vie doit se rendre.
 

*

 

L’amour-propre que nous n’aurions pas, l’Injustice nous le donne.
 

[268-271]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 468, mardi 3 mars 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Une culotte à l’endroit politique, – l’Ambition la met à l’envers.
 

*

 

Un poêle en fonte est aussitôt ardent d’abord, que froid ensuite. – Image des protestations humaines.
 

*

 

L’Art a ses pantins qui sautent pour l’Artifice.
 

*

 

Le Diplomate est un jardinier qui peut faire fleurir l’arbre de la Paix sans l’arroser de sang.
 

*

 

L’Illusion, la nuit, naquit de la Folie ;

Son berceau fut l’Amour, et sa tombe, la Vie.
 

*

 

Le Malheureux qu’on visite a lieu d’être surpris.
 

*

 

Un matin de soleil panse les plaies du Cœur.
 

*

 

Ose-t-on bien souvent regarder face à face

Celui pour qui, dans l’ombre, on fait une grimace ?
 

*

 

Le Sourire est un mot du langage des Lèvres.
 

*

 

Le Journalisme a son sacerdoce, ses grands prêtres et ses égoutiers-collecteurs. – Donc, honneur et respect aux Uns ! Quant aux Autres, que le Dédain, dans les limites du possible, sache les essuyer.
 

[316-319]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 472, mardi 17 mars 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Une fleur qui croit fraîche et jolie sur un tombeau, semble railler. – Mais le soleil qui la dévore, et le temps qui fuit, – voilà sa punition.
 

*

 

L’excommunication suggère cette pensée de dire : – À DIEU SEUL appartient la puissance appréciatrice envers l’âme qui paraît devant lui.
 

*

 

Quand l’Or sonne, Chacun accourt y régler… ses actions.
 

*

 

L’Ingrat croit à son esprit lorsqu’il a pu saisir un prétexte qui élude toute reconnaissance.
 

*

 

L’homme redoute de pleurer ; ses yeux lui défendraient-ils de montrer son cœur ?
 

*

 

Que de fruits paraissant mûrs, sont encore verts !
 

[253]

 

*

 

Si la Mère chérit son enfant, c’est que Dieu aime la Mère.
 

*

 

Un gramme de cœur vaut mieux que deux livres d’esprit.
 

*

 

L’Écrivain de talent se fait (ordinairement) un nom dans les Lettres ; – la Nullité, si prompte à la critique, reste seulement avec des lettres dans son nom.
 

*

 

Le Cadavre est un point au livre de la Vie.
 

[238-239]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 474, mardi 24 mars 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Entourez d’assez près une mèche de bougie allumée, par un cercle fait avec ce qu’on nomme corde à boyaux. Vous couperez cette mèche à l’aide de ce cercle, en le laissant agir seul. – La mèche, c’est l’Argent ; la corde qui se tortille autour, c’est l’Homme.
 

*

 

Les petits riens heureux de l’Amour sont les doux rayons de son soleil.
 

*

 

L’âme de notre monde, c’est la Femme.
 

*

 

Un sacrifice qu’on reproche n’est plus, en quelque sorte, qu’une faute dont on s’accuse.
 

*

 

L’Homme aurait du bonheur ici-bas, sur la Terre, s’il y restait enfant, avec toujours sa mère.
 

*

 

Les Ans rident aussi notre nom de baptême.
 

*

 

Le Brouillard est la coquetterie du Soleil.
 

*

 

Deux choses font à l’Âme une douceur de miel,

C’est l’amour sur la terre et le pardon au ciel.
 

*

 

La confession à l’homme est une erreur de la Religion ; celle à Dieu, un acte vrai et consolateur.
 

*

 

Aimons à penser que les gouttes d’une rosée bienfaisante sont des pleurs de la Vierge, quand elle prie pour nous.
 

[340-343]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 476, mardi 31 mars 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Quelque chose qui se rapproche du Vice est, pour le cœur de l’être humain, ce que le ver est pour son corps. – De même que le ver ronge le corps, ce quelque chose ronge le cœur : il arrive donc alors qu’il ne reste de l’un, presque plus que le vice, – de l’autre, presque plus que le ver.
 

*

 

La Pervenche est l’œil bleu qui regarde l’Amour,

En l’appelant au bois pour lui faire sa cour.
 

*

 

La Témérité brave et la Prudence agit.
 

*

 

Mirage d’un désert obscurci par les sables,

Les Amis sont des dieux inventés par des diables.
 

*

 

L’illusion détruite est le pince-nez qui aide à lire dans l’Avenir.
 

*

 

Il est des [yeux] gens qui n’aiment les personnes, voire même les choses, qu’à proportion que tout leur échappe plus ou moins. Appelons ce sentiment-là l’escarpolette de l’affection.
 

*

 

L’Amour est la poésie de l’âme, – l’Amitié, celle du cœur, – le Jour, celle des yeux.
 

[286-287]

 

*

 

Lorsque le dévoûment est muet, comptez sur lui.
 

*

 

L’Église est vraiment bien charitable, elle donne des Indulgences dont elle a tant besoin.
 

*

 

Le poète Millevoye n’en avait qu’une, – celle du cœur.
 

[238]

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 478, mardi 7 avril 1868)

 
 

 
 

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(in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 479, vendredi 10 avril 1868)

 
 

 

Exception. – Règle.

 
 

Modeste Liseron, pauvre petite fleur,

Surtout, dans la mansarde,

En guidant tes pas, on te garde,

Et, si l’amour s’en va, tu consoles le cœur.
 

*

 

Oui, les Extrêmes se touchent ; – ce qu’il y a de plus terrible et de meilleur, – la rage et le chien.
 

*

 

Ne confondons pas la Croyance avec la Conviction politique, l’une est le plan, et l’autre l’édifice ; – crayon et mœllon.
 

*

 

LA ROSÉE.

[L’arme] Larme diamantée aux [soupers] soupirs de la Nuit,

Souriant au Soleil, et se séchant sans bruit.
 

*

 

Le Riche doit donner,

Et le Pauvre prier ;

Dieu redonne au premier,

Exauçant le dernier.
 

*

 

Faire du bien dans l’ombre a son éclat au ciel.
 

*

 

La jeune fille est une rose que les années effeuillent.
 

*

 

L’œil bleu est l’azur de l’Amour, – l’œil noir, – la foudre des Passions.
 

*

 

Le Suicide ne trouve pas grâce devant les heureux, les lâches et les hypocrites. – Mais, pour cela comme pour tout, qui donc, ici-bas, ose connaître la justice d’en haut ?
 

*

 

Dans ce qu’il entreprend, le Cafard (non du fournil) fait rarement four.
 

[328-331]

 

P. S. – Point de commentaires sur un fait assez grave et triste en lui-même, d’autant plus qu’il se reproduit souvent. Ce fait – véritable – est que, vendredi dernier (vendredi saint), un prêtre en tricorne et pèlerine catholiques, se trouvait au pied de l’escalier de la Bourse de Paris, et paraissait y causer fort tranquillement d’affaires. – Une simple question : ce prêtre était-il là, un pareil jour, pour parler de Notre-Seigneur ou pour chasser les marchands du Temple ? X. F.
 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 480, mardi 15 avril 1868)

 
 

 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 483, vendredi 24 avril 1868)

 
 

 

Paris, 2 mai 1868.
 

Monsieur le Rédacteur en chef du Nain Jaune.
 

Devant bientôt m’absenter de Paris, et ne pouvant alors corriger dorénavant mes épreuves moi-même, je viens vous remercier de l’hospitalité que vous avez donnée dans vos colonnes à des extraits de mes Broussailles, et vous prie de me permettre d’espérer en l’avenir.
 

Agréez, monsieur, l’expression de mes civilités empressées.
 

XAVIER FORNERET.
 
 

Post-Scriptum, s’il vous plaît.
 

Exception. – Règle.

 
 

Certain maître corbeau, sur une croix perché,

Tient fort en son verbe, un verbiage

De psalmodie et saint chantage

Auquel le niais mord de son bec alléché.
 

Il dit, cet oiseau noir, entre la truffe et l’œuf,

Si je n’ai pas de mariage,

Je m’amuse à n’être pas sage,

En me réjouissant de n’être jamais veuf.
 

Il dit encore aux Siens : – amis, nos jours sont beaux.

On nous les fait, d’un bon courage…

Aussi, du miel au lieu de rage,

Voilà, telle est la glu de nous autres corbeaux :
 

De corbeaux roses, gras, un peu frères-vautours,

Avec luisant ou mat plumage,

Plus, un petit sournois ramage

Jurant que, tôt ou tard, nous… nous prenons toujours.
 

X. F.
 
 

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(Xavier Forneret, in Le Nain jaune national, politique, littéraire et financier, nouvelle série, sixième année, n° 486, mardi 5 mai 1868)