Si vous écrivez à des amis d’Angleterre, ne leur parlez pas de Stavisky : parlez-leur du monstre du Loch Ness. Ça, c’est un sujet qui les intéressera.
Les Anglais ont toujours été férus d’animaux extraordinaires. Leur amour des bêtes domestiques est bien connu et c’est du reste là un trait sympathique de leur caractère national. Mais le « monstre » aussi les attire. Nulle littérature romanesque n’est plus fertile que la littérature anglo-saxonne en bêtes sauvages et redoutables, en fauves colossaux, en serpents de mer.
Quand nous songeons à l’avenir scientifique de notre planète, nous imaginons volontiers, en France, d’énormes réalisations électriques et mécaniques, des « robots » métalliques qui remplacent l’homme, des avions stratosphériques, des obus interplanétaires… Nos voisins d’outre-Manche savent que les sciences de la vie révèlent des possibilités autrement troublantes ! Rappelez-vous l’effroyable Île du docteur Moreau, où l’animal, grâce à un chirurgien de génie, se transforme en homme, et cette hallucinante Invasion de Macrobes, où des microbes géants mettent à sac une grande ville.
Toutefois, n’oublions pas que c’est non loin des parages écossais du Loch Ness, dans les îles Orcades, que vint s’échouer, en 1868, le seul Serpent de mer authentique que l’on ait jamais pu voir, toucher et… sentir, car il était dans un état de décomposition avancé !
Cette bête mesurait dix-sept mètres de longueur et trois mètres de circonférence ; elle possédait une crinière avec des soies phosphorescentes et des ailes longues de 1 m. 33, semblables aux ailerons déplumés d’une volaille.
Certains savants firent remarquer, à cette époque, qu’il existe un courant puissant, le Gulf Stream, qui arrive aux côtes d’Europe après avoir pris son origine au voisinage de la fameuse « mer des Sargasses » ; on sait que cette « mer » tropicale qui occupe le centre de l’Atlantique, est constituée par une immense agglomération d’algues géantes où pourraient fort bien avoir survécu d’étranges représentants de la faune préhistorique…
L’un de ces monstres, à la suite du serpent des Orcades, aurait-il été ainsi apporté jusqu’au Loch Ness ?
Nous nous bornons à énoncer l’hypothèse.
Voici des revenants de la préhistoire
Beaucoup de personnes croient que les animaux des époques géologiques ne nous ont laissé que leurs os. C’est là une erreur complète.
Dans le courant du siècle dernier, des explorateurs apprirent que des indigènes de l’extrême nord de la Sibérie avaient découvert des « mines de bifteck » ! Le fait leur ayant semblé digne d’observation, ils se firent conduire sur place. C’était dans la « toundra » septentrionale, une région où le sous-sol est entièrement formé de glace fossile, qui n’a pas dégelé depuis au moins six mille ans ; un troupeau de mammouths géants, surpris sans doute par quelque foudroyant déluge, se trouvait là, enfoui, parfaitement conservé dans ce frigorifique naturel.
Les loups, les chiens et les hommes s’étaient partagé leur chair où adhéraient encore une peau énorme et des poils.
La résurrection de l’« helladothérium »
Le mammouth, comme le renne géant, a été contemporain de l’homme : on en retrouve des dessins gravés dans la plupart des cavernes préhistoriques.
Mais à une époque bien antérieure, dont il faudrait peut-être chiffrer l’âge par millions d’années, la Terre a été habitée par des animaux réellement prodigieux, les « reptiles géants, » aujourd’hui disparus. À cette époque remontent l’« iguanodon, » qui tenait du kangourou et du crocodile, le « tricératops » à corne, le célèbre « diplodocus » américain, long de 25 mètres, dont on peut voir un moulage du squelette au Muséum, et un invraisemblable reptile volant, le « ptérodactyle » à tête de crocodile, qui a laissé en Angleterre des squelettes larges de 8 mètres.
L’apparition, dans notre monde moderne, d’un de ces revenants des époques disparues serait un événement formidable. On sait, du reste, que, d’après certaines observations, les traces de pas (?) du monstre du Loch Ness offriraient quelque parenté avec celle des « sauriens » préhistoriques, tels que le diplodocus.
Impossible, dira-t-on ? Voici cependant un animal étrange, mi-poisson mi-salamandre, le « ceratodus, » qui survit à sa race disparue depuis des millénaires, dans les tièdes eaux de l’Australie. Voici le « moa » néo-zélandais, dont les indigènes conservent encore le souvenir, qui ne nous a laissé que des œufs fossiles jaugeant neuf litres… et un descendant, rabougri mais parfaitement vivant, l’« aptéryx. »
Au Brésil existe actuellement un’ oiseau étrange de l’ordre des gallinacés qui possède à ses ailes, pendant son jeune âge, des griffes qui lui permettent de monter aux arbres ; sa parenté, ici, est frappante avec les oiseaux à dents de l’époque secondaire. Rien ne dit que, dans les vallées désertes de la Cordillère des Andes, quelque espèce antédiluvienne, « glyptodon » ou « plésiosaure, » n’a pas survécu.
Un exemple célèbre de « résurrection » d’un animal préhistorique est celui de l’« helladothérium » dont on avait trouvé le squelette dans des fouilles, près d’Athènes. Cet être bizarre, composé de zèbre et d’antilope, fut longtemps considéré comme fossile… jusqu’au jour où on le découvrit, galopant en liberté, dans l’Afrique centrale, sous le nom d’« okapi. »
Où peut-on chasser le serpent de mer ?
Les océans, dans leurs profondeurs inconnues, recèlent des formes monstrueuses de la vie animale, que les croisières océanographiques nous ont révélées depuis quelques années. De ces retraites, des monstres préhistoriques nous guettent peut-être, miraculeusement conservés comme le « ceratodus » australien.
Un nombre prodigieux d’observations a été recueilli depuis plusieurs siècles sur le « serpent de mer » ; elles forment aujourd’hui un faisceau de présomptions scientifiques extrêmement sérieuses, comme l’a magistralement démontré M. Georges Toudouze, professeur à l’Institut océanographique.
Bornons-nous aux observations les plus récentes.
En juillet 1897, le lieutenant de vaisseau Lagrésille, commandant la canonnière Avalanche, aperçut au large de la mystérieuse baie d’Along deux serpents d’une vingtaine de mètres de longueur et d’un diamètre de 2 à 3 mètres, qui naviguaient et folâtraient de conserve. Le canon-revolver du bord leur envoya plusieurs obus à une distance de 600 mètres.
En février 1898, l’Avalanche rencontra de nouveau, à deux reprises, les serpents, et peu s’en fallut qu’on les capturât, car on les approcha à moins de 300 mètres. On voyait parfaitement les ondulations du corps des monstres qui soufflaient bruyamment et cherchaient les grands fonds pour plonger.
En 1899, le navire anglais Emu, se rendant à Sydney, rencontra un serpent colossal, mais mort, long de 18 mètres, et dont le poids fut évalué à 30 tonnes. Il avait une tête de cheval marin (hippocampe) pourvue de dents et une crinière rude.
M. Racovitza, naturaliste de l’expédition antarctique belge, a déposé en 1903, sur le bureau de la Société zoologique de France, un rapport présentant toute la précision désirable sur le « mégophias rafinesque » ou serpent de mer.
« … Une longueur pouvant aller jusqu’à 76 mètres, une tête de phoque ou de cheval, de larges yeux noirs traversés de lueurs rouges, le cou très long, un corps rond avec des nageoires de tortue, une queue pointue et extrêmement longue, » tel est le « signalement » que donnait déjà, voici plusieurs années, M. G. Toudouze en réclamant, au nom de la science, « la chasse au serpent de mer. »
Pour cette chasse, il n’hésitait pas à fixer, comme particulièrement fructueux, le « territoire » compris entre l’Islande, la Norvège et les Açores.
Or, c’est en plein centre de ce triangle que se trouve le Loch Ness…
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(Arthenay, « Variété, » in Gringoire, le grand hebdomadaire parisien, politique, littéraire, septième année, n° 272, vendredi 19 janvier 1934 ; reprise anonyme partielle, « Chroniques et documents, » in La Libre Opinion politique, sociale et philosophique, douzième année, n° 514, dimanche 11 mars 1934. L’illustration est extraite de la publication originale)

