Il y avait une fois un petit village au pied d’une haute montagne. Un petit garçon habitait là avec ses parents.

Au-dessus, dans la montagne, se dressait un grand château habité par un chevalier revenu de la guerre, qui s’ennuyait beaucoup. Il se promenait souvent dans la campagne, monté sur un cheval blanc, avec le petit garçon sur sa selle.

Mais cet enfant aimait mieux se promener tout seul… il avait découvert dans une immense caverne creusée dans les rochers, une bête extraordinaire : le dernier dragon ! Il s’était caché là pour vivre tranquillement, et avait une grande amitié pour le petit garçon. Mais un jour, le petit garçon arriva chez son ami avec une mine toute triste.

« Qu’as-tu donc, petit ami ? demanda affectueusement le Dragon. Ta maman est-elle malade ?

– Non ! répondit-il. Mais je suis bien ennuyé, Dragon. Figure-toi que mon ami le Chevalier a entendu dire qu’un Dragon se cachait dans la montagne et il veut se battre avec lui.

– Quelle horreur ! s’exclama le Dragon. Mais je ne lui ai fait aucun mal !

– Sans doute, sans doute ! Mais tu connais la fâcheuse réputation des dragons tes ancêtres, soupira le petit garçon.

– Je ne veux pas me battre, même pour te faire plaisir. Comment, moi ! qui n’aime manger que des œufs et du lait, qui bois de l’eau et qui fais des vers pour célébrer la belle nature, je serais obligé de me battre, de lancer des flammes et de recevoir des mauvais coups !

– Je sais, mon cher Dragon. Je sais tout cela, murmura le petit garçon, mais que faut-il faire ? Le Chevalier veut se battre et il m’a demandé d’arranger une rencontre : d’ailleurs, voici le Chevalier, il te parlera lui- même ! »

Au loin s’avançait fièrement le Chevalier, monté sur son beau cheval blanc et vêtu d’une armure brillante. En voyant le Dragon étendu sur l’herbe, long d’une centaine de mètres de la tête à la queue et gros comme une maison de deux étages, il eut un geste de recul. Puis il sauta à terre et saisit sa lourde épée à deux mains. Quelle ne fut pas sa surprise de voir assis sur un rocher le petit garçon qui mangeait son goûter en écoutant le Dragon qui déclamait des vers :
 

Sur le gazon étoilé

De toutes les pâquerettes

Qui lèvent la tête…
 

Le Dragon s’interrompit en voyant le Chevalier et s’écria :

« Bonjour, Chevalier ! Ne tiens pas ainsi ton épée à deux mains, tu pourrais te blesser. Viens t’asseoir et causons. D’abord, comment trouves-tu la couleur de mes écailles ? Le vert en est-il assez élégant ? »

Le Chevalier eut un soupir d’impatience.

« Assez parlé, Dragon ! Je veux me battre avec toi et je ne peux plus reculer, puisque j’ai invité tout le pays à venir voir cela demain matin !

– Comme tu es vif, Chevalier ! Mais j’ai réfléchi. Je veux bien me battre avec toi à la condition que tu ne me feras aucun mal et que dorénavant on me laissera tranquille dans ma caverne.

– Entendu ! Mais tu devras te soumettre ! »

Le lendemain matin, le soleil éclairait le grand plateau où devait se livrer la bataille. Le peuple était venu de partout pour y assister. On avait dressé des enclos avec des bancs pour les belles dames, et les habitants du petit village se pressaient aussi autour de l’arène.

Le Chevalier était déjà dans la lice que le Dragon s’éveillait à peine dans sa caverne et qu’il dut descendre de la montagne en toute hâte, au risque de s’écorcher sur les cailloux.

Une longue clameur salua son arrivée et le Chevalier bondit, son épée à deux mains.

« J’ai eu un affreux cauchemar, dit le Dragon confidentiellement au Chevalier.

– Tais-toi donc, bavard ! fit-il. Prépare-toi à la lutte. Il faut qu’elle soit longue avant de te rendre. »

Aussitôt la bataille, le Dragon lança des flammes, le Chevalier brandit son épée. Puis on ne vit plus que les écailles vertes qui luisaient au soleil, car le Dragon les avait frottées, la veille, avec de l’encaustique. Le Chevalier descendit de cheval et la lutte se poursuivit encore longtemps. La montagne résonnait des hurlements de colère du Dragon et des encouragements de la foule.

Enfin, il s’avoua vaincu. Le Chevalier mit son pied sur son cou et lui demanda de promettre d’être sage et bon et de rester dans sa caverne.

« Je le promets, » fit le Dragon.

Alors, tout le monde descendit vers le château, où un grand festin avait été préparé pour célébrer la victoire du Chevalier. Comme le Dragon aurait eu de la peine de ne pas être invité, on le mit à la place d’honneur et, à la fin du repas, il récita des vers. Par la suite, le pauvre Dragon, qui aimait tant la solitude, fut constamment dérangé par des gens qui voulaient se battre avec lui ; mais il refusa toujours, car il devenait vieux et craignait de plus en plus les mauvais coups.
 
 

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(Annette de Soussay, « Une Histoire, » in L’Époque, deuxième année, n° 270, dimanche 6 mars 1938 ; l’illustration est tirée de la publication. Le lecteur aura reconnu dans ce conte un simple résumé-plagiat de « The Reluctant Dragon » [Le Dragon récalcitrant] de Kenneth Grahame, 1898)

 
 
 

 

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(Illustration de Maxfield Parrish pour « The Reluctant Dragon » de Kenneth Grahame, in Dream Days, John Lane : The Bodley Head, 1902)