Les Fouriéristes vont être dans une grande jubilation. Il paraît qu’il vient de naître dans le département de la Haute-Marne un enfant du sexe féminin, paré du fameux appendice promis aux générations futures par l’école phalanstérienne. Voici ce que publie le Messager de la Haute-Marne :
Monsieur,
Il y a quelques jours, je fus appelé pour un accouchement, dans la ferme de la Combe-aux-Vaches, faisant, je crois, partie de l’arrondissement de Langres. La jeune fermière, après un travail des plus douloureux, et qui n’a pas duré moins de vingt-quatre heures, a mis au monde un enfant du sexe féminin parfaitement constitué, mais portant à l’extrémité inférieure de la colonne vertébrale une sorte d’appendice charnu, d’une longueur de douze à quinze centimètres environ, et terminé par un œil véritable, recouvert d’une épaisse paupière.
Ce n’est que dix jours après la naissance du sujet que j’ai pu constater l’existence de cet œil phénoménal. La pupille, très peu dilatée, m’a paru douée d’une grande sensibilité. Au simple contact du cheveu le plus délié, la prunelle se recouvre à l’instant d’une membrane contractile. J’ai constaté qu’il n’existe aucun rapport entre les deux yeux de la tête et cet œil anormal, qui peut rester ouvert pendant que les autres sont fermés et vice-versa.
Il n’a pas été possible de cacher longtemps à la mère l’existence d’une telle monstruosité. Heureusement, elle ne s’en est point affectée autant qu’on pouvait le craindre. Elle nous a fait l’aveu que, pendant sa grossesse, elle avait lu un ouvrage dont elle ne se rappelait ni le titre ni l’auteur, ouvrage où il était dit qu’un jour les hommes auraient tous un prolongement de l’épine dorsale, en forme de queue avec un œil au bout, que cette idée l’avait fort occupée, et qu’elle en avait même désiré la prompte réalisation, en vue des immenses avantages qu’on pourrait en retirer. Nul doute qu’un vif désir de cette jeune femme, joint à une imagination active, n’ait produit ce phénomène surprenant.
Pour moi, j’ai toujours pensé, bien que je ne sois en aucune façon partisan des idées phalanstériennes, que le désir et le besoin sont les seules causes de la génération des organes, ainsi que l’a prétendu notre grand naturaliste Lamarck. J’ai cru, monsieur le rédacteur, qu’il était bon de porter à la connaissance du public un fait aussi extraordinaire, qui prouve combien la nature est bizarre dans ses productions.
Veuillez agréer, etc.
RAVOT, d.-m.-p.
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(in Le Messager de la Haute-Marne, dimanche 14 octobre 1849 ; « Nouvelles diverses, » in L’Ordre, journal quotidien, politique et littéraire, n° 181, lundi 22 octobre 1849 ; in Journal de Toulouse, politique et littéraire, quarante-cinquième année, n° 286, mercredi 24 octobre 1849 ; in Journal du Cher, politique, littéraire, industriel, quarante-deuxième année, n° 127, jeudi 25 octobre 1849 ; in Courrier du Tarn-et-Garonne et Conciliateur, dixième année, n° 1683, jeudi 25 octobre 1849 ; in La Semaine, encyclopédie de la presse périodique, quatrième année, n° 43, vendredi 26 octobre 1849 ; « Le Phénomène phalanstérien, » in La Constitution, journal des Pyrénées, première année, n° 71, samedi 27 octobre 1849 ; in Le Petit Courrier de Bar-sur-Seine, journal judiciaire, agricole, industriel et littéraire, vingt-neuvième année, n° 432, samedi 27 octobre 1849 ; « Départements, » in Journal du Tarn politique, littérature, industrie, agriculture, quinzième année, n° 44, samedi 27 octobre 1849 ; « Une Queue phalanstérienne, » in Journal des villes et des campagnes, des maires, des familles, et feuille parisienne, trente-quatrième année, n° 297, dimanche 28 octobre 1849 ; « Canards d’automne, » in Le Tintamarre, critique de la Réclame, satire des Puffistes, septième année, du 28 octobre au 3 novembre 1849 ; « La Queue et l’oeil du fouriérisme, » in L’Argus, première année, n° 76, dimanche 28 octobre 1849 ; « Nouvelles locales, » in Le Châtillonais, journal des intérêts de tous, vingt-et-unième année, n° 74, jeudi 1er novembre 1849 ; « Mélanges, » in Indicateur pour la ville de Strasbourg et le département du Bas-Rhin, feuille d’annonces et de variétés, n° 95, mercredi 28 novembre 1849. Ce canard est également cité dans le Traité pratique des maladies de l’œil de W. Mackenzie, traduit par le docteur E. Warlomont et A. Testelin, tome 2, section VI, p. 544 [Abnormités congéniales du globe oculaire, etc.], Paris : Victor Masson, 1857. Caricature de Victor Considérant par Job, couverture illustrée de L’Éclipse, deuxième année, n° 89, dimanche 3 octobre 1869)
LA QUEUE ET L’ŒIL DU FOURIÉRISME
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Les temps sont accomplis, et nous devons avouer ce que tout le monde savait déjà, que Fourier est grand et que Considérant est son prophète.
Ah ! prophète Considérant, combien vous devez rire, dans vos longues moustaches, de la petitesse de l’esprit humain.
Oui, ces mortels aussi inintelligents qu’imparfaits avaient l’air d’élever des doutes au sujet de certain appendice armé d’un œil, qui devait éclairer les générations futures.
Eh bien ! cette question n’est plus à l’état de doute, et si l’observation faite, il y a quelque temps, sur les sauvages de certaine tribu n’avait pas résolu le problème, il faut aujourd’hui courber la tête devant la véracité du fait. La queue promise par Considérant existe, – seulement à l’état d’échantillon, à l’heure qu’il est, – mais elle existe et promet de se développer d’une manière satisfaisante.
Qui eût pensé cela de la ville de Langres, – de son arrondissement surtout, – posséder une réputation européenne à l’endroit de ses couteaux et devenir le berceau de la régénération humaine ? Sournoise de ville de Langres, va !
Eh bien ! oui, l’arrondissement de Langres, par l’intermédiaire d’une jeune fermière, habitant la Combe-aux-Vaches, – passez-moi le mot, – et après un travail des plus douloureux, et qui n’a pas duré moins de vingt-quatre heures, a mis au monde un enfant du sexe féminin parfaitement constitué.
Jusque-là, tout existe dans l’ordre naturel des choses.
Mais ne voilà-t-il pas que cet enfant, révélation immédiate des mystères du Fouriérisme, s’avise de porter à l’extrémité inférieure de la colonne vertébrale, une sorte d’appendice charnu de douze à quinze centimètres de longueur, terminé par un œil véritable, recouvert d’une épaisse paupière.
Coquin d’enfant ! fine lame de ville de Langres !
Vous croyez peut-être que cet œil phénoménal a été remarqué de suite. Pas du tout. Il a fallu dix jours, dix longs jours pour que la lumière se fît.
Et puis, bizarrerie singulière ! cet œil qui reste ouvert pendant que les yeux de la tête se ferment et vice-versa.
Remarquez la profondeur de ce vice-versa. C’est à en rendre jaloux les yeux de l’Argus.
Mais ce n’est pas tout, l’aimable fermière a fait des aveux, – et voyez l’heureux fruit de certaines lectures dont la mère ne manquera pas de permettre la lecture à sa fille, – la fermière d’après Considérant a fait l’aveu que, pendant sa grossesse, elle s’était avisée de lire certain livre annonçant qu’un jour les hommes auraient tous un prolongement de l’épine dorsale
En forme de queue,
Avec un œil au bout…..
Et l’œil promis par le prophète Considérant est arrivé,
Et le Phalanstère s’est mis en route des quatre points cardinaux pour venir admirer la merveille.
Et Considérant, lui-même, a été sur le point de braver l’œil des gendarmes pour venir se jeter aux genoux de l’œil de Langres.
Mais il a réfléchi. Il préfère qu’on lui envoie le moutard à l’œil, c’est moins cher.
Tremblez donc ! réacs et aristos ! l’œil démocsoc s’avance ! tremblez ! et empressez-vous de jeter vos écus dans la caisse de la Démocratie Pacifique !….. Les temps sont accomplis.
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(Anonyme, in L’Argus, première année, n° 76, dimanche 28 octobre 1849. « Chien et chat, procédés sociaux » par Bertall, gravé par Delaroche, in Album du Journal pour rire, Paris : Aubert, 1848 ; « À propos du jour de l’an » par Cham, in Le Charivari, dix-septième année, n° 366, dimanche 31 décembre 1848)



