Le typhon est aux mers de la Chine et du Japon ce qu’est le cyclone aux Bermudes et aux Antilles. La mer, profonde, enserrée dans un grand nombre d’îles et d’îlots, devient vite très grosse dès que le vent est un peu fort.
Lors des renversements de mousson, les perturbations atmosphériques qui en résultent, par suite du changement dans le régime des vents régnants, amènent des tempêtes terribles connues sous le nom de typhons. La mer, gonflée outre mesure par l’ouragan, se forme en longues lames échevelées qui, faute d’espace pour courir devant elles, s’écroulent en déferlant.
Les Chinois attribuent la formation des ces lames aux colères d’un dragon, monstre énorme autant qu’horrible, qui, à des époques déterminées, poussé par la faim, détruit ainsi les barques pour se repaître de leurs équipages.
Le patron d’une jonque faisant le transport de riz entre Macao et Shanghaï, nous en fit le récit suivant :
« J’avais quitté Kiloung, dans l’île de Formose, et faisais route pour Hong-Kong. Le temps était beau avec une jolie brise de Nord-Nord-Est qui me promettait une courte traversée. Le soir venu, au coucher du soleil, je remarquai des nuages couleur de cuivre qui se formaient à l’horizon et recommandai à Loang-Si, mon maître d’équipage, de me réveiller si le temps devenait mauvais. Puis, je rentrai dans ma chambre de l’arrière.
Au milieu de la nuit, je fus réveillé par les secousses violentes de la jonque. Je monte sur le pont et vois Loang-Si cramponné à la barre, et qui me dit : « Maître, que Bouddha nous protège : c’est le typhon ! » La mer n’était que paquets d’écume autour de nous et nous avions la plus grande peine à maintenir notre bateau de façon à éviter les brisants dangereux. Quelque temps s’était passé ainsi, lorsque soudain un de mes matelots, qui se tenait tapi sur le pont, se dresse, la main étendue, les yeux hagards, montrant du doigt une lame énorme au milieu de laquelle – ah ! Monsieur, je le vois encore ! – apparaît le « dragon, » sa tête monstrueuse, sa gueule ouverte pour nous saisir, tout son corps couvert d’écailles, ses pattes pourvues d’ongles aigus et sa queue puissante fouettant l’écume. Il s’approche… grandit… la vague déferle… Nous nous sommes crus perdus. Trois fois nous l’avons revu, et trois fois la mer roula la jonque comme un bouchon. Grâce à Bouddha, nous fûmes saufs. Grâces lui soient rendues ! »
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(Bonquart, in Journal des Voyages et des Aventure de Terre et de Mer, n° 694, dimanche 20 mars 1910)

