APRÈS AVOIR ABANDONNÉ LA TERRE… DES DRAGONS VOLANTS SE SERAIENT RÉFUGIÉS

DANS LA LUNE

 

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Washington, 19 octobre. – Les milieux scientifiques américains attendent avec impatience le résultat des observations qui vont pouvoir être faites au moyen du nouveau super-télescope géant de Mont Palomar, qui va être incessamment inauguré.

En effet, l’astronome américain professeur Pickering a fait des observation qui doivent être vérifiées sans retard et qui ont un intérêt considérable. Il prétend qu’il a observé, au moyen d’un autre télescope géant, la présence de formes monstrueuses sur les bords des cratères de la Lune. Ces monstres se déplacent, volent et sillonnent le ciel.

Le professeur Pickering émet l’opinion qu’il s’agit là d’animaux préhistoriques qui ont survécu au cataclysme qui a détaché la Lune de la Terre, il y a quelques millions d’années. Il parle de « Dragons volants, » d’une grandeur formidable, et il pense que ces monstres ont existé autrefois sur notre planète. Pour une raison que nous ignorons, ils se seraient retirés sur la Lune. La théorie de M. Pickering est très discutée en ce moment et elle a trouvé de nombreux partisans dans le monde scientifique.

M. Pickering écrit qu’il a découvert les monstres volants en question dans le « Cratère de Copernic » et dans le « Cratère d’Archimède. » La vraie dimension de ces animaux doit être très grande. Au télescope, ceux-ci apparaissent comme de petits points qui se meuvent très vite. Ces points mystérieux sont nombreux. On les voit en groupes et isolément. Ils quittent rarement les bords des cratères.

Le fait que ces formes reviennent régulièrement à leur point de départ permet au savant de conclure qu’il s’agit bien d’êtres vivants.

L’astronome américain démontrerait ainsi, à l’encontre de toutes les théories établies, que toute vie n’a pas disparu à la surface de la Lune.

Attendons donc les résultats des nouvelles observations qui pourront être faites à Mont Palomar.
 
 

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(Anonyme, in L’Œuvre, n° 9133, dimanche 20 octobre 1940 ; illustration de Anton Robert Leinweber pour les Kinder und Hausmärchen des frères Grimm, 1912. En dépit de nos recherches, nous n’avons trouvé aucune trace de ce canular attribué au professeur Pickering dans la presse américaine ; il semblerait que ce « canard » soit d’origine purement française)

 
 
 

 
 
 

VIVENT LES DRAGONS DE LA LUNE !

… qui nous permettent de penser à autre chose…

S’ILS EXISTENT

 

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Les journaux nous ont informés récemment qu’un savant astronome américain venait d’apercevoir dans la Lune de gigantesques dragons ailés, assez semblables à ceux des vieilles légendes, et survolant ordinairement les nombreux cratères de notre satellite. J’ai appris la nouvelle chez des amis où j’étais à dîner. Au milieu du repas, l’hôte nous dit avec un sourire ému :

« À propos, vous avez vu les journaux ? Il y a des dragons dans la Lune. Ce n’est pas une histoire de serpent de mer. C’est une communication d’un astronome américain. »
 

Réconfort

 

Il se recueillit une seconde et ajouta avec ferveur :

« Tant mieux. Ah ! oui, tant mieux.

– Pourquoi tant mieux ? dit alors son épouse. Qu’est-ce que ça peut te faire ?

– Comment, qu’est-ce que ça peut me faire ?

– Perds donc cette vieille habitude de répéter mes questions quand tu t’es mis dans ton tort. Je te demande en quoi il t’importe qu’il y ait des dragons dans la Lune. Ce n’est pas ce qui va nous donner des tickets de viande. »

Cette dernière remarque, du reste fort juste, n’était peut-être pas des plus opportunes en présence d’un invité. L’hôte en fut d’abord démonté et convint qu’en effet, il ne fallait guère compter sur les habitants de la Lune pour nous fournir en tickets de viande. Mais il se ressaisit et dit avec simplicité :

« En tout cas, moi, ça me réconforte qu’il y ait des dragons dans la Lune. »

Pressé de questions par sa femme, il se borna à maintenir son affirmation.

« Je constate que ça me réconforte, voilà tout. »
 

Leurs misères

 

On ne put tirer de lui autre chose et, à vrai dire, une telle constatation se suffisait à elle-même. Ce sentiment de réconfort, je l’éprouvais moi aussi en repensant aux dragons, dans le métro qui me ramenait chez moi. Certes, l’idée que des monstres ailés ont élu domicile dans la Lune ne peut éveiller au cœur d’un homme la moindre espérance. Nos soucis et nos peines sont terriblement de ce monde. Les remèdes et les consolations qu’on y peut apporter ne se trouvent pas dans une autre planète et je pense que, sous ce rapport, les dragons de la Lune, qui doivent bien avoir aussi leurs misères, sont logés à la même enseigne que nous. Pourtant, ce réconfort que nous offre l’astronome américain n’est pas tout à fait illusoire.
 

Apaisements

 

Aujourd’hui, quand on est las de tourner en rond dans le cercle des mêmes préoccupations, on ne voit guère sur quel point du globe ou sur quelle famille d’humains reposer sa pensée. Il n’existe probablement plus une île, plus une tribu de Botocudos, qui ne soit l’enjeu ou le moyen de quelque vaste conflit déclaré ou en gestation. Les dragons volants qui folâtrent au-dessus des cratères de la Lune sont pour l’imagination un recours inattendu et lui permettent de s’exercer avec désintéressement. Ces êtres vivants sont étrangers à la partie qui se joue sur notre Terre. Nul encore ne compte sur leur peau pour fabriquer des souliers ou sur leur graisse pour remplacer l’huile d’olive. Voilà une certitude apaisante. Ne nous privons pas d’y penser.

Mais j’ai peur que le savant astronome se soit trompé et qu’il n’ait pas lu cette fable où La Fontaine conte comment un astronome avait cru voir un animal dans la Lune alors qu’il s’agissait simplement d’une souris égarée entre les verres de sa lunette.
 
 

 

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(Marcel Aymé, in Le Matin, cinquante-septième année, n° 20684, mardi 12 novembre 1940 ; Georg Janny, « Das Göte & das Böse » [An Allegory of Power], aquarelle, Vienne, 1918)