Depuis le premier jour de son incarcération dans la prison de Presscott (Arizona), Tom Bobbins avait dédaigné de lire les journaux. Avec les colonnes qu’ils lui consacraient, on aurait pu, cependant, élever un temple à sa gloire. Les reporters à court de copie inventaient des interviews fantastiques. Un ballon dirigeable, construit par les plus fanatiques de ses partisans, passait son temps à évoluer, un guide-rope à la main, au-dessus de la prison, épiant le moment où les gardiens, supposition bien invraisemblable, auraient la fantaisie de faire promener Tom Bobbins sur les toits de la prison, pour l’enlever. Les dames jeunes de la ville lui envoyaient des fleurs et les dames mûres des vers. Tom Bobbins mettait les fleurs à sa boutonnière et donnait les vers à lire à ses gardiens, dont le niveau moral baissait rapidement. Il passait ses journées à fumer la pipe. Quand il avait assez fumé, il se reposait en chantant des cantiques d’une voix fausse, à la grande édification des mêmes gardiens, dont le niveau moral, ainsi, retrouvait son équilibre.
 
 

 

Pourtant, la situation ne laissait pas d’être critique. Tom Bobbins était convaincu d’avoir extorqué des sommes considérables aux principaux capitalistes de la cité, sous le prétexte de réaliser la fabrication du diamant. Il connaissait, d’autre part, exactement, la jurisprudence. Ayant passé la majeure partie de son existence à tourner la loi, il avait acquis dans cet exercice la maestria d’un derviche ou d’un fabricant de bilboquets. Il n’ignorait pas que la sentence du tribunal criminel serait infailliblement exécutée, à moins que lui-même ne s’exécutât au préalable et ne réussît à présenter à la commission assermentée un spécimen authentique de son savoir-faire. Faute de quoi, et dans un délai de quatre-vingt-dix jours à dater des présentes, il devait être électrocuté.
 
 

 

Mais les séances de la commission devant laquelle Tom Bobbins comparaissait chaque jour se passaient en d’interminables parties de manille. Les membres de la commission essayaient bien, de temps en temps, par acquit de conscience, de mettre la conversation sur les fameuses expériences. Le trapèze étroit, plus large du haut, que représentait, en géométrie, la face de Tom Bobbins, s’éclairait d’une lueur narquoise. Mais il renvoyait invariablement les nouveaux détails à un hypothétique lendemain. « Attendons, » répondait-il avec le sourire énigmatique de toutes les figures rasées.
 
 

 

En vain, chaque jour, ses gardiens, pour lui donner une suggestion, le faisaient passer devant le laboratoire que les soins de la justice avaient mis à sa disposition. Tom Bobbins affectait de ne pas même voir la porte derrière laquelle trois ou quatre blocs de charbon, de plusieurs mètres cubes de volume, attendaient, ironiques et sombres, qu’il plût à sa fantaisie de les métamorphoser en diamants.

Les mois passèrent, puis les semaines, puis les jours. Il devint bientôt évident que Tom Bobbins ne fabriquerait pas de diamant avant de mourir. Son attitude confiante ne se modifia point.

Le terme fatal arriva.

Tom Bobbins n’avait en horreur qu’une seule chose, se lever tôt le matin. Il eût d’ailleurs trouvé ridicule de modifier ses habitudes pour si peu de temps. Il corrompit donc à prix d’or le gardien chef, qui retarda de trois heures toutes les horloges de la prison. Comme le temps était sombre, et qu’il avait plu toute la nuit, personne ne s’en aperçut. Quand les juges, le procureur et le bourreau pénétrèrent dans la cellule, ils trouvèrent le patient assis sur son lit, car il connaissait les usages, mais rasé de frais et l’air souriant. N’ayant jamais eu l’idée de se pourvoir en cassation, on n’eut pas à lui annoncer que son pourvoi était rejeté. Ce fut un incident pénible de moins. Le condamné se leva courtoisement et se dirigea d’un pied ferme vers le lieu de l’exécution.

C’était un vaste hall meublé, à peu près dans le style d’une salle d’attente de chemin de fer. Au milieu, se dressait une haute chaise, munie de tout ce qu’il faut pour mourir. Quatre hommes s’emparèrent de Tom Bobbins et l’attachèrent solidement sur la chaise, disposant les courroies, fixant les électrodes, mettant le casque. Au-dehors, le temps était à l’orage. Un coup de tonnerre éclata.

Le bourreau déchaussa le pied gauche de Tom Bobbins et le mit en contact, ainsi que la tête, avec les redoutables électrodes.

Tom Bobbins eut l’impression soudaine que c’était de ce pied gauche qu’il allait partir.

Le procureur général s’avança de quelques pas et prit la parole pour prononcer le discours d’usage.

« Condamné, dit-il, voici le moment de l’expiation. Quelques minutes vous restent. Avouez votre crime et votre mensonge. Dites que vous vous êtes vanté faussement, ou donnez la preuve, si vous pouvez, que vous n’êtes pas un imposteur. »

Tom Bobbins sourit angéliquement, mais il ne dit pas un mot.

Le procureur eut un geste désespéré et s’essuya les yeux furtivement.

Un silence absolu suivit. On eût entendu voler une montre.

Puis, de nouveau, au-dessus de la prison, un effroyable coup de tonnerre.

Le directeur fit un signe.

Le bourreau appuya sur la manette.

Un jet de flamme bleuâtre s’éleva sur le sommet de la tête de Tom Bobbins, lui brûlant un peu les cheveux.

À ce moment précis, l’orage qui couvait depuis le matin éclata grandiosement au-dessus des toits. On eût dit que le ciel célébrait l’apothéose du héros. Le miracle se produisit. La foudre en suspens dans l’atmosphère se rapprocha, par sympathie, des fils électrocuteurs. Il y eut, dans l’air ambiant, une sorte d’hésitation et d’osciIlation. Puis le feu du ciel coula tout entier, comme un fleuve, dans l’appareil.

Les spectateurs, cloués sur place, ouvraient des yeux épouvantés. Ils virent le cadavre de Tom Bobbins, ou plutôt ce qui avait été son cadavre, se carboniser soudain au passage de l’effroyable chaleur. Mais ce ne fut qu’un stade très court dans la marche de l’événement. La foudre continuait à pleuvoir. Bientôt le carbone pur, en lequel le cadavre s’était transformé, continua son évolution. Des taches lumineuses apparurent, peu à peu, sur le corps noir. Elles l’envahirent graduellement, comme une lèpre de gloire. L’orage se dissipa. Le soleil réapparut. Et le corps de Tom Bobbins ne fut plus, aux yeux de la foule enthousiaste, qui venait d’enfoncer les portes et de se ruer dans la prison, qu’un bloc transparent et dur, étincelant, en pleine lumière, de tous les feux du diamant.
 
 

 

–––––

 
 

(Gabriel de Lautrec, « Contes de Paris-Journal, » in Paris-Journal, cinquante-et-unième année (nouvelle série), n° 783, dimanche 27 novembre 1910 ; « Contes de l’Écho, » in L’Écho de la Guadeloupe quotidien, organe des intérêts économiques de la colonie, deuxième année, n° 83 et 84, dimanche 8 et mardi 10 janvier 1911 ; in Le Supplément, grand journal littéraire illustré, vingt-huitième année, n° 3433, jeudi 3 août 1911 ; illustrations de Mars-Trick, in Le Journal amusant, soixante-seizième année, n° 225, samedi 1er septembre 1923. Cette nouvelle a été reprise en volume dans le recueil Les Histoires de Tom Joë, Paris : Édition française illustrée, « Collection littéraire des romans fantaisistes, » 1920. Les illustrations sont reprises de la parution dans Le Journal amusant)