Si vous dites à un somnambule qu’il a fait des acrobaties pendant la nuit, il ne vous croira pas.
« C’est tout à fait absurde. Tu juges des autres par toi-même. »
Ainsi m’ont parlé mes frères, quand j’ai essayé de leur raconter leurs nuits lunaires.
Ils se sont également mis en colère quand j’ai voulu m’informer de ce que sentent les humains qui sont dirigés par la lune – ceux dont on parle obscurément dans les contes de fées. Je leur montrais leur chemin sur les corniches et comme, les bras étendus en avant ou faisant de petits mouvements de natation, ils se tenaient au point culminant de l’édifice (on en reste suffoqué) avec leurs yeux grands ouverts, pâles et vides, ou bien les paupières baissées d’où ruissellent des rayons de lune… (Et pourquoi font-ils toujours la même chose ?)
Comment les somnambules m’ont-ils écouté ? Ils s’irritaient quand je les interrogeais avec insistance, mais, le plus souvent, ils se moquaient de moi (« menteur »). Je compris que les somnambules n’ont aucune mémoire et ne peuvent rien raconter sur eux-mêmes.
Tels la fille de Jaïre « ressuscitée » et Lazare « au tombeau » ne pouvaient se souvenir, quand on les questionnait sur leurs nuits et leurs jours pleins d’événements insolites.
Les possédés et les ensorcelés, qui se confessent à un prêtre ou à quelque personne bienveillante, découvrent de leur âme révoltée ce qu’ils ont vu et entendu parmi les choses tourbillonnantes, mais se taisent sur les conversations intérieures dont ils ne peuvent garder le souvenir : cris muets, différentes voix d’hommes, de quadrupèdes et d’oiseaux.
L’oubli des somnambules est égal au grand oubli conservateur du genre humain, pour qui la fameuse « larme d’enfant » de Dostoïevski, cet ultime argument philosophique de la bonne conscience et de l’intransigeance, n’est, vérification faite, rien de plus qu’une image touchante – sans conséquence.
L’oubli et le silence !
Quand, parfois, il murmure, le somnambule ne va pas très loin, il piétine sur place, il se trompe ; sa propre voix, quoique délirante et sans mémoire, suffit à lui barrer le chemin de la lune. Mais les sons étrangers ne lui opposent pas d’obstacle : le lit qui craque, la chaise qui tombe.
Seul, le cri d’un être vivant peut le rappeler à la vie normale.
Il ne faut jamais interpeller un somnambule en action : brusquement réveillé, il crie, entre en convulsions, sa bouche se couvre de bave et il sanglote en tremblant ; si on l’appelle par la fenêtre, quand il marche sur les toits, il ne se sauvera pas : il tombera et s’écrasera sur les pavés.
Caché, j’observais ce qui se passait pendant la nuit dans la chambre des enfants, pleine de lune, et que les rideaux des fenêtres ne pouvaient assombrir.
Un de mes frères, chaque fois, à l’appel mystérieux de la lune, sortait par la fenêtre et, marchant sur la corniche, passait de l’autre côté de la maison. Il descendait par la gouttière dans la cour, allait dans le poulailler, et là ramassait soigneusement les petites plumes et les rassemblait en tas. Par la même voie, il revenait et, de nouveau, rentrant dans la chambre par la fenêtre, il se recouchait et s’endormait paisiblement, comme si rien ne s’était passé.
Alors, mon autre frère descendait de la fenêtre du deuxième étage, du côté de la rue, franchissait la grille surmontée de pointes, se tenait quelques instants immobile sur le trottoir, puis, de nouveau, escaladait la grille et marchait dans la cour en longeant le poulailler, vers le dépôt de bois. Là, il rangeait des morceaux de bois, mettant un morceau au-dessus de l’autre, un épais sur un mince, comme les menhirs à Carnac. Après avoir construit une curieuse rangée de bois, il revenait par la chambre dans la maison et reprenait son sommeil tranquille.
Leurs mouvements étaient comme ceux de la lumière, comme ceux du ruisseau, – ils glissaient à travers tous les obstacles. Au cas où ils se rencontraient en chemin, leur attouchement mutuel n’était pas sensible : la couverture lunaire les préservait.
Quelle chose étonnante ! Cet oubli, ce silence et ces actions, pour nous sans aucun but !
Les somnambules sont toujours identiques à eux-mêmes : chez l’un, le poulailler ; chez l’autre, le dépôt de bois, – sans exception.
Dans notre cour, il y avait encore une jeune fille, Liska.
C’était la fille d’un serrurier ; elle était aussi somnambule. Dans la nuit lunaire, elle sortait par la fenêtre, montait sur le toit, allait vers la cheminée et s’enfonçait à l’intérieur. Que faisait-elle dans la cheminée ? Personne ne peut le dire ! Après quelques minutes, elle en sortait, comme si elle s’envolait, et revenait par la corniche, flottait en étendant ses bras noircis, pareille à une diablesse. Tout son visage de renard était sali de suie ; sa chemise seulement était bleue sous la lune ; quatre minces rayons d’argent, deux à chaque œil, jaillissaient de ses paupières fermées, et des nattes noires, encore plus noires, serpentaient, brillantes, sur ses blanches épaules osseuses.
La grand-mère décida de guérir Liska de cette honte. Elle-même, lorsqu’elle était petite, avait souffert de ces extravagances : elle le racontait volontiers elle-même, mais ses récits ne contenaient rien de terrible ; au contraire, ils amusaient tout le monde. À la pleine lune, elle se levait et allait, les bras flottants, vers un bahut où, elle le savait, on conservait des œufs. Elle en prenait une dizaine qu’elle mettait dans un tamis et se tournait ensuite vers la lune en agitant son tamis. Les œufs, à cause de ces secousses, sautaient en l’air comme des petits poissons argentés. Et chose étrange : ils se cognaient les uns contre les autres sans se casser. Ça, c’était drôle !
Mais quelqu’un avait voulu lui jouer un tour. Il emplit sa bouche d’eau et voulut lancer un jet sur les œufs. Mais le jet tomba sur les mains de la fillette, – les œufs, s’entrechoquant, craquèrent soudain et les coquilles se couvrirent d’or. Le tamis tout gluant lui échappa des mains et tomba à terre. Elle se sentit comme transpercée par un jet de flamme ; elle frappa des mains et se réveilla en poussant un cri.
Depuis lors, elle ne souffrit plus de somnambulisme. Mais les œufs, c’est une chose, tandis que grimper dans la cheminée, c’est une chose toute différente.
La grand-mère, pour la guérir, posa près de son lit une cuvette d’eau : les pieds brûlant dans l’eau, Liska se réveilla. La vieille avait réussi à empêcher Liska d’aller dans la cheminée ; mais Liska eut une attaque d’épilepsie : tout à coup, elle se mit à crier sans raison.
Aucune eau ne peut l’arrêter !
Quoique Liska désespérée jurât « sur la lune » : « Grand-mère, je ne suis pas coupable ! » la vieille la traîna au couvent de Saint-Simon, où sont réunies toutes les possédées de Moscou, pour l’exorcisme. Au bout de quelques mois, la jeune fille était vraiment la proie des démons.
Notre vieille bonne était patiente et douce. Elle avait confiance en la grand-mère de Liska qui avait vérifié sur elle-même (« les œufs lunaires ») et sur Liska les effets bienfaisants de l’eau « qui est de la même essence que la lune. » Pour mettre fin aux promenades lunaires, elle plaça donc une cuvette pleine d’eau près du lit, puis se coucha dans son coin de la chambre.
La nuit, elle se leva pour un petit besoin et mit les pieds dans la cuvette et, à l’encontre de la croyance concernant l’effet calmant de l’eau, – ou bien était-ce une sorcellerie de la lune ? – la vieille s’imagina qu’elle était au bord d’une rivière pour y laver du linge. Or il n’y avait qu’un drap, ni serviettes, ni mouchoirs, ni même un quelconque caleçon. Est-ce le vent qui les avait emportés ou un méchant qui les avait volés ? Et elle se mit à déambuler, en étendant les bras, en cherchant à travers la chambre, et renversa ainsi une carafe d’eau qui ruissela sur sa chemise. « Ma fille, s’écria-t-elle, je me noie ! » Et elle se noya.
Dès lors, on appela la vieille « noyée, » mais l’affaire de la cuvette fut mise à mon compte. Il est vrai que j’avais placé la cuvette près du lit de la bonne, mais, pour le reste, je n’y étais pour rien.
Pour interrompre les dangereuses promenades nocturnes de mes frères, pas d’eau chez nous, mais, aux fenêtres de la chambre, des barreaux de bois : sortir par la fenêtre était devenu impossible. Mais, contrairement à l’axiome : « La partie est plus petite que le tout, » où le doigt d’un homme éveillé ne peut passer, la main d’un somnambule s’enfonce aisément. Cependant, les efforts des dormeurs doivent s’arrêter là. Ne pouvant faire plus, ils s’éloignent de la fenêtre et errent angoissés par la chambre.
Dans leur chemise de nuit, les jambes nues, aspirant avec leurs yeux grands ouverts, pâles et vides, le rayon lunaire qui les appelle, ils marchent avec désespoir, étendant leurs bras, qui flottent dans l’air de la chambre.
J’ai tout vu, et personne ne m’a vu.
J’étais dans ce monde et eux ne se voyaient pas l’un l’autre dans leur monde lunaire.
Dans le crépuscule, en traversant la chambre, j’étendais involontairement mes bras. Pendant la nuit, on m’a tiré vers la fenêtre : je regardais la nuit et, dans son royaume noir et trouble, dans son ébullition, je distinguais des êtres, bestiaux ailés : dragons, oiseaux à cornes avec queue molle, serpents moustachus… Par les nuits claires, je regardais la lune dans son voyage sans fin, et, soulevé par l’extase, je faisais des efforts pour comprendre les détails de la lumière vacillante, pour arriver jusqu’à l’élément primaire (quand tout revient à zéro, zéro des unités, zéro des dixièmes, zéro des centièmes, zéro des millièmes…), pour atteindre le fond de son cœur, d’où il me semblait que quelqu’un m’appelait.
J’étais tout à fait comme un somnambule. Le suis-je ?
Je crois qu’on cache toujours aux somnambules qu’ils le sont ; personne ne dit : « Tu es un somnambule ! » (Exception : la grand-mère de Liska.)
Pleine de honte, la vieille, voulant tirer l’affaire au clair, se demandait : « Qui va-t-elle retrouver dans la cheminée pendant la nuit ? Que fait-elle dans cette cheminée ? Et comment sa chemise reste-t-elle propre ? »
On évite d’adresser la parole à un somnambule ; on parle de lui tout bas. Mais ma finesse d’oreille me permettait d’entendre tout ce qu’on disait de mes deux frères ; on se contentait de murmurer tout bas : « Ils passent. »
Mon frère du « poulailler » pleurait souvent et on l’appelait « pleurnicheur. » Il se plaignait souvent aussi et montrait sa tempe gauche qui lui faisait mal. Il était toujours triste. Il était un bon calculateur ; plus tard, il devint comptable.
Mon frère « aux cubes de bois » ne se plaignait de rien, mais se signalait par une extrême sensibilité ; en lisant des passages touchants, il ne pouvait retenir ses larmes et composait lui-même des vers d’une grande douceur. Il était toujours amoureux et passait des heures à rêver près d’une fenêtre. Il avait une belle voix. Après ses études secondaires, il s’inscrivit à la Faculté de Médecine, mais passa bientôt à l’orchestre philharmonique ; plus tard, il devint, sans grand succès, courtier à la Bourse.
Il en fut tout différemment en ce qui me concerne.
Du reste, je ne leur ressemblais pas extérieurement. Je ne pleurais jamais, sauf une seule fois, mais c’était il y a si longtemps que personne ne s’en souvenait, à part moi : j’avais pleuré alors en me réveillant, effrayé par un incendie. En face de chez nous brûlait une sucrerie. Une grande masse bleue aérienne et qui grinçait, comme un être vivant, en s’effritant toute transpercée d’éclairs. Une pierre en aurait pleuré !
Je ne pleurais jamais et je ne craignais rien. On disait de moi que rien ne me touchait. Or en réalité, malgré ma cuirasse, je sentais tout, tandis qu’on parlait de ma « grossièreté. » Mais cette « grossièreté » était traversée des émotions les plus fines, qu’elle gardait enfermées à l’intérieur d’une enceinte sans issue ; et pourtant, accessible à la lune, je n’étais pas un somnambule, comme mes frères sans défense.
Les somnambules, ces rêveurs actifs. (Ils n’ont pas vu de rêves ou bien, s’ils en ont vu, ils ne s’en souviennent pas.) À moi, qui ne suis pas un somnambule, le monde mémorable et merveilleux m’a été révélé ! Pourtant, c’est la même lune qui vogue à travers les espaces, au-dessus du monde des songes.
Par je ne sais quelle amertume, je la regardais : ses yeux verts miroitaient ; semant des nuées argentées, elle s’élançait d’une étoile à l’autre, et il n’y avait pas de fin à son vol, ni à mon désir de l’atteindre ! Toujours plus haut, elle s’envolait sans espoir. Noyé de vert, je ne pouvais me détacher d’elle. Je lui tendais mes bras. Ainsi je la contemplais, enchaîné par le pouvoir de son amer éclat verdâtre. Et aveuglé, je me soulevais et allais, insensible à tout, suivant toujours le bras argenté qui me montrait le Chemin.
Pourrais-je oublier notre premier rendez-vous !
Si je me suis reconnu en E. T. A. Hoffmann, c’est parce que nos yeux avaient la même lueur, celle du tressaillement du feu qui mord et de l’éclat lunaire.
C’est ma mère qui, la première, m’a appris ce nom : ERNEST-THÉODORE-AMÉDÉE HOFFMANN. C’est la tzigane, amie de ma mère, la bibliothécaire, qui me donna les douze volumes de Hoffmann. « Casse-Noisette » et « L’Enfant inconnu » furent les premiers contes qui m’introduisirent dans le cercle de Frère Sérapion. Nul écrivain ne m’est plus proche.
Je me souviens encore des morceaux de bleu remplissant la chambre, recouvrant mes draps, et de mes doigts cerclés de bleu… Ses yeux bleus regardent sans relâche ; ils sont sans fond ; je sens qu’ils pénètrent jusque dans mon cœur. Et ce n’est pas moi qui m’élance vers elle ; c’est elle qui vient vers moi ; d’une étoile à l’autre, elle passe, inondant tout d’argent bleuté. Elle est là, dans la fenêtre, avec ses sortilèges. Je ne puis me détacher de son regard et tout chante en moi. Avec une chanson qui résonne comme une clochette d’argent, je vais vers la fenêtre, je tends mes bras vers elle, et elle s’éloigne doucement, sa ceinture de rayons m’entraînant à sa suite.
Pourrais-je oublier mon premier songe !
C’est Gogol. Il s’est révélé à moi par une chanson ukrainienne que j’ai entendue à Moscou. Gogol, celui d’un ciel étranger et d’une harmonie étrangère, résonna en moi. Je ne saurais dire quel autre écrivain russe m’a charmé de la sorte, à jamais, par son verbe.
Il y a encore une troisième image de la lune que je n’oublierai jamais.
Derrière le clocher blanc du monastère de Saint-Andronique, elle apparaît. Je l’entends. Je me mets à la fenêtre. Elle s’est arrêtée. Sa face pâle est nimbée de rose. Près de ses yeux s’étale une croix penchée, rose sur champ vert. Elle me voit. Nous nous regardons. C’est tout. Il est interdit d’aller au-delà.
Je distingue son chuchotement… elle parle à mi-voix. Les ombres de ses paroles agrippent mon cœur. Mes bras retombent le long de mon corps. Pétrifié, je ferme les yeux. Je sens qu’elle n’est pas partie, qu’elle est dans l’autre fenêtre, qu’elle m’observe.
Je comprends à cet instant, qu’il n’y a ni veille, ni lendemain : ils sont inclus dans le présent. Et je suis responsable pour ce qui a été et pour ce que j’ai oublié ; et pour ce qui sera et pour ce que je ne saurais imaginer. Je vois tout, la destinée tout entière.
Des roses tordues sur champ vert et des yeux au regard fixe qui semblent coupants : « Assassin. » Elle laisse tomber goutte à goutte dans mon âme son feu noir de tarentule.
L’Irréparable, de Baudelaire ? Dostoïevski ? Cette douleur, ce remords et ce mot même : « assassin, » viennent de Crime et Châtiment. Mais quel est l’écrivain qui m’a ainsi grièvement blessé en livrant au jour ma pensée amère ? Dostoïevski !
Je ne comprends pas – ou bien est-ce la lune qui m’ensorcelait ?
Comment ai-je traversé cette cour sans fin, passant près du poulailler où mon frère comptait les petites plumes lunaires, près du dortoir de la fabrique où Liska s’échappait par la cheminée, sous l’aspect d’un diablotin à la clarté de la lune ? et aussi près du dépôt de bois où mon autre frère érigeait sa construction lunaire ; passant encore le long des murs de la fabrique, où les portes de fer forgé faisaient surgir dans ma mémoire l’infortuné gamin, mon camarade, dont le corps avait été broyé par les roues et les courroies, et où la poule à la jambe de bois montait la garde ? Je passais ensuite le long de la menuiserie, de l’écurie, de la grande porte d’entrée de la maison blanche, et j’arrivais ainsi jusqu’au parterre de fleurs. La maison était dans un renfoncement de l’ancienne enceinte. Toute la pente jusqu’à la rue était fleurie…
Mais jamais encore je n’avais vu de pareilles fleurs : elles venaient d’être arrosées, elle ouvraient avidement leurs corolles bleues et blanches et elles respiraient, tout argentées. Je marchais le long d’un sentier étoilé de poussière, qui était très bleu et très doux. Ému, je me dirigeais vers le soupirail d’une cave où, derrière les barreaux, vivait une de nos lointaines parentes, qu’on appelait, pour sa bonté et son gracieux accueil, « Bonne Maman, » – le seul être qui, dans cette maison blanche, n’aboyait pas après nous.
Comme toujours, je regardais à travers les barreaux.
Ce n’était pas la vieille bonne maman qui se trouvait dans la cave : c’était comme la mère de quelqu’un. Elle se tenait près du soupirail et enroulait les fils d’une pelote de laine ; ses yeux bleus exprimaient la joie de me revoir. Elle se leva et, continuant à me regarder, me tendit, à travers les barreaux, une pomme.
Je pris cette pomme et je m’éloignai. C’était une « pomme d’or, » toute pleine de soleil et de miel.
Je ne marchais pas sur le sentier bleu, mais tout droit à travers les fleurs, tenant la pomme serrée dans ma main. Je ne remontais pas la pente vers la rue, mais, dans un tourbillon de poussière argentée et dans le souffle des fleurs, je voguais, je ne sais vers quel précipice. Et je sentais des yeux qui me suivaient, qui m’accompagnaient comme de bruissantes clochettes bleues.
Soudain, après un coup de vent parfumé, je sentis que ma tête se couvrait de végétation. Sur mon front se balançaient des branches. Je saisis l’une d’elles, qui pendait près de mon œil droit, et je l’arrachai avec sa racine : elle était toute verte.
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(Alexeï Remizov, « traduit du russe, » sans mention de traducteur, in La Nouvelle Revue française, vingt-neuvième année, n° 332, 1er octobre 1941. Victor Brauner, « Repas de la somnambule, » huile sur toile, août 1942 ; Christian Couillaud, « À travers les Fougères, » huile sur toile, sd)




































