Nous avons perdu notre chemin. Nous ne savons de quel côté nous diriger. C’est une forêt inconnue. Et c’est la nuit. Nous aurions mieux fait d’attendre dans la cabane d’Aouka : il fait bon chaud chez l’Aouka ! L’Aouka est un être ingénieux ! Il connaît beaucoup d’histoires compliquées, il sait faire la grimace de singe, le saut périlleux, et surtout il aime faire peur pour qu’on soit très effrayé.

Nous avons perdu notre chemin. Nous ne savons de quel côté nous diriger. C’est une forêt inconnue. Et c’est la nuit. Les sapins et les pins bruissent comme pendant une tempête. Et les étoiles – les étoiles sont grandes !

Un buisson nous sauva. Ce buisson nous admit à passer la nuit sous ses branches. C’est bien ainsi en été : chaque buisson vous admet, tandis qu’en hiver on peut périr, lorsque la terre tout entière est recouverte de givre et de froidure.

« Chut ! Leïla ! il y a là, ayant perdu son chemin, comme nous, un lièvre moustachu à une oreille. Comme il tremble de froid ! Et comme il est craintif, le malheureux. »

Et le lièvre ne nous a pas reconnus : il nous a pris pour d’autres, il s’est effrayé pour de bon et s’est mis à courir, adieu ! Après, il est vrai, tout s’est expliqué. Et nous sommes restés à trois pour passer la nuit sous le buisson.

Le lièvre nous a parlé du renard : du renard qui chante des chansons ! Il nous a parlé de la bête redoutable, de la bête la plus terrible, et de la patte d’oiseau, d’une patte qui marche toute seule partout ! Puis le moustachu se réchauffa et s’endormit.

Nous aussi, nous voudrions dormir. Les têtes oscillent vers le sommeil, mais la langue de quelqu’un ne peut rester tranquille, il veut parler ! Et les oreilles qui veulent écouter ! Et les yeux qui veulent regarder ! Aussi nous est-il impossible de dormir.

« Le petit lièvre dort-il ?

– Mais oui. il voit son second rêve, sans doute.

– Les étoiles sont-elles grandes ?

– Elles sont grandes.

– Et où sont les plus grandes ?

– Au désert, là où sont les chameaux.

– Et si l’on grimpait sur un arbre, pourrait-on les attraper ?

– Quand nous seront endormis, nous grimperons sur un sapin et nous en attraperons.

– Mais tu m’as promis de me parler d’un oiseau ?

– De quel oiseau ?

– Mais de celui-là… tu m’as dit… le premier des oiseaux.

– Ah ! tu veux dire le remiz (1), le premier des oiselets !

– Eh bien ! Alaleï, il est petit ?

– Comme ci, comme ça, pas très grand, tout brun, la gorge blanche. Naguère, il n’y avait pas d’oiseau plus bigarré et plus sonore… et son bec – on ne pouvait en trouver un autre pareil, et ses pattes aussi étaient extraordinaires. Il était remuant, « remizant, » et, quand il faisait son nid, c’était le plus beau nid en forme de bourse. C’est pour cela qu’il est réputé le premier de tous les oiseaux. C’est tout.

– Mais non, tu voulais me raconter encore beaucoup de choses !

– Eh bien ! le remiz aime les endroits où il y a des rivières et des lacs, il aime les saules, il aime s’envoler par-delà la mer. Celui qui respecte le nid de remiz, celui-là verra sa maison sauvée de la foudre. On célèbre le remiz dans les chants de Noël – il apporte le bonheur ! Mais il périt dans la tempête, car il est un oiseau des rivages. Il est un grand chanteur : sa voix n’est pas forte pour les enfants seulement.

– Dans le genre du coucou ? » Et ses yeux se ferment.

La nuit devient de plus en plus épaisse, de plus en plus proche. Elle envahit la forêt tout entière.

Et les étoiles – les étoiles sont grandes.
 
 

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(1) Alexeï Remizov joue sur son patronyme : « Remiz, » en russe, désigne le roitelet.
 

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(Alexeï Remizov, « Du Côté des Lettres, » in Comœdia, hebdomadaire des spectacles, des lettres et des arts, troisième année, n° 101, samedi 5 juin 1943 ; Robert Hainard, « Roitelet huppé, » gravure sur bois, 24 avril 1941)