Je découvre le secret du document
(Suite)
Demeurée seule un instant, elle la glisse sous le cylindre de caoutchouc.
C’est le salut !
Mais, avant de poser le doigt sur la première touche, elle réfléchit.
Si on vient, si on regarde ce qu’elle écrit, elle est perdue ; on redouble de vigilance et elle ne pourra plus s’échapper. Alors, elle emploie une clef que, dans son esprit, tous les dactylographes découvriront sans peine.
Les premières lignes sont achevées, lettre par lettre. Son cœur bat, sa main tremble. Elle défaille de fièvre et d’angoisse. Elle se prépare à donner quelques détails complémentaires, dire peut-être où on la tient enfermée, quand, soudain, elle entend monter l’escalier.
On va entrer dans la pièce.
La phrase commencée est brusquement interrompue.
N’importe !
Elle a eu le temps de précipiter par la fenêtre le précieux papier qui lui apportera la délivrance, en le recommandant à la Providence.
Et celle-ci l’a écoutée, puisqu’il est tombé entre mes mains et que, selon ses prévisions, je l’ai déchiffré.
À présent, que faire ?
Je demeurai longtemps pensif, la tête dans les mains.
Qui donc, à vingt ans, n’a point rêvé d’une Geneviève, blonde ou brune, dont il sera le sauveur ?
C’est une illusion perpétuelle du cœur, plein d’un enthousiasme ne demandant qu’à déborder, que d’échafauder des romans d’amours.
Et je me rappelais un livre qui avait beaucoup frappé mon enfance.
C’était l’histoire d’un prince charmant, jeune, hardi, partant pour toutes les conquêtes, sonnant à tous les échos sa joie de vivre et ses espoirs, qui arrivait, un soir, devant un burg sombre où un lâche tuteur retenait prisonnière un princesse belle comme le jour.
Et il l’arrachait des mains de son bourreau… et, en récompense, elle l’épousait… et il devenait riche et heureux…
Si, cependant, j’étais ce héros !
Ma généreuse ardeur n’hésita pas une seconde.
Je volerais au secours de cette infortunée, je l’arracherais au misérable qui la séquestrait, j’arrêterais le drame avant qu’il s’accomplît.
Et je m’élançais déjà dehors, quand une question, tout à coup, surgissant dans mon esprit, m’arrêta net.
… Où allais-je ?
Mon enquête fait un pas décisif
À dix heures du soir, les Andelys dorment tranquillement et rien ne trouble plus le silence des rues.
Je résolus de parcourir la ville en tous sens, ouvrant les yeux, prêtant l’oreille.
Un cri… un gémissement… une ombre… et c’était peut-être, dans cette obscurité profonde de l’inconnu où je cherchais en vain à m’orienter, la petite lueur vers laquelle je pourrais me diriger.
Mais ma tante ne tarda pas à s’alarmer de ces promenades nocturnes.
Je m’efforçai inutilement de lui démontrer que la campagne est merveilleuse au clair de lune et qu’il est exquis d’y errer à l’aventure dans la fraîcheur de la nuit, elle m’interrompit, d’un ton sec, pour me prévenir que je finirais par faire jaser tout le pays, ce qui était une invitation non déguisée à cesser mes sorties.
Tandis qu’elle me parlait, je contemplais pensif Pedro ; et, comme le bon toutou me regardait de ses grands yeux intelligents, une idée subite me traversa l’esprit.
Pourquoi ne me servirais-je pas de lui ?
On a vu des chiens, après avoir flairé une paire de gants, retrouver leur propriétaire, quelquefois à plusieurs kilomètres.
Il m’était facile d’essayer de ce moyen que les plus subtils détectives n’avaient pas toujours jugé indigne d’eux.
Le soir venu, j’attendis que ma tante fût couchée et, bravant intrépidement sa défense, je sautai par la fenêtre, suivi de mon fidèle Pedro.
Il faisait, comme à souhait, une nuit noire.
La lune ne s’était point levée. Des nuages sombres couraient sur le ciel, couvrant les étoiles.
Je fis longuement sentir à Pedro ma feuille de papier, en lui disant :
« Cherche !… »
La brave bête parut comprendre ce que j’attendais d’elle. Elle remua la queue et partit, devant moi, le nez à terre, si vite que je la suivais avec peine.
On n’y voyait pas à un mètre et je connaissais trop peu encore le grand Andely pour m’y retrouver la nuit…
Par où passâmes-nous ?… Quel chemin prîmes-nous ?… Il me sembla que nous sortions de la ville… ou, du moins, que les maisons s’espaçaient… devenaient de plus en plus rares…
Soudain, Pedro s’arrêta, donnant des signes de joie non équivoques, grognant et grattant le sol, tandis que je sentais mon cœur tressaillir de l’intuition que je touchais au but.
À la lueur vacillante d’une allumette rapidement frottée, j’aperçus, devant moi, une sorte de bâtisse, dont l’obscurité profonde m’empêchait de distinguer la forme exacte, mais dont les fenêtres avaient été, sans nul doute, soigneusement murées, car je n’en vis aucune.
Mon premier mouvement fut, n’écoutant que mon courage, d’aller droit à la porte et de la heurter violemment.
« Ouvrez !… »
Devant le silence persistant, je me résolus à l’enfoncer.
Mais elle était solide et résista à toutes mes tentatives.
Cependant, en examinant de nouveau les lieux, je remarquai que, sur un côté de l’étrange édifice, un pan de muraille, à moitié écroulé, me permettrait d’arriver sur le toit.
Par là, je serais peut-être plus heureux !
Comment, dans cette escalade, mœllons par mœllons, à travers la nuit, ne me rompis-je point vingt fois le cou ?
(À suivre)
–––––
(Guy de Téramond, in Excelsior, journal illustré quotidien, n° 158, samedi 22 avril 1911. Thorton Utz, « Waiting For a Train, » in The Saturday Evening Post, 1955 ; Walter Buehr, illustration de couverture de Fortune Magazine, août 1930)






