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COMMUNICATION UNIVERSELLE

Et instantanée de la pensée, à quelque distance que ce soit, à l’aide d’un appareil portatif appelé Boussole pasilalinique sympathique,

PAR MM. BENOÎT (de l’Hérault)

ET BIAT-CHRÉTIEN (Américain)

 

 

Paris le 17 octobre 1850.

 

« Alors toute la terre avait un même langage et une même parole. »

(Genèse, chap. XI, vers. 1)

 

 

Monsieur le rédacteur,

Depuis que j’ai eu l’honneur d’annoncer la découverte de MM. Jacques Toussaint Benoît (de l’Hérault) et Biat-Chrétien (Américain), mon admiration pour leur nouveau système de communication universelle et instantanée de la pensée n’a fait que s’accroître.

Il en sera d’ailleurs ainsi de tout le monde, car plus on songe aux conséquences, plus on les trouve sublimes. Mais ce n’est pas aujourd’hui d’admiration et d’enthousiasme qu’il s’agit, je veux au contraire m’en défendre.

Aussi bien les explications et les documents de toutes sortes qu’a bien voulu me communiquer M. Benoît, l’un des inventeurs, me permettant de toucher, pour ainsi dire du doigt, le phénomène et ses causes, c’est à ce point de vue puissant, mais calme, que je désire avant tout me placer, afin d’éviter ainsi dans la relation qui va suivre jusqu’à la plus petite apparence d’illusion de ma part.

Mais arrivons au fait lui-même, et à l’expérience dont je dois vous parler.

Le fait c’est, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire, la découverte d’un nouveau système de communication de la pensée, par suite duquel tous les hommes vont pouvoir correspondre instantanément entre eux, à quelque distance qu’ils soient placés les uns des autres, d’homme à homme, ou plusieurs ensembles simultanément, à toutes les extrémités du monde, et cela sans recourir au fil conducteur de la communication électrique, mais à l’aide seulement d’une machine essentiellement portative que les inventeurs nomment boussole pasilalinique sympathique, et qui peut d’ailleurs accepter toutes les dimensions et revêtir toutes les formes.

Et, quant à l’expérience, je pourrais sans doute me borner à la raconter pour en constater le succès ; mais, comme dans ce mémoire, qui ne s’adresse pas seulement à la France, mais au monde, je me propose en même temps de la faire comprendre, autant que possible, dans ses moyens et dans ses causes, je vais établir d’abord l’origine de la découverte au double point de vue de la science et de la pratique.

 

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En 1790, Galvani, célèbre médecin de Bologne, ayant remarqué par hasard, en disséquant des grenouilles, que cet animal éprouvait des convulsions lorsqu’on faisait communiquer ensemble ses muscles et ses nerfs par le moyen de deux lames métalliques de nature différente, avait cru pouvoir expliquer ce phénomène en supposant dans l’animal un fluide particulier, sorte de fluide vital qui, du nom de son inventeur, fut appelé alors fluide Galvanique.

Cette explication, acceptée d’abord, ne satisfit pas cependant le physicien Volta, qui, complétant, dix ans plus tard, les observations de Galvani, démontra que les convulsions observées par celui-ci n’avaient pas d’autre cause que l’électricité, et que l’électricité dont il s’agissait provenait, non de l’animal lui-même, mais uniquement du contact des deux métaux dissemblables entre eux.

Cette assertion, aussi neuve que hardie, fut surtout mise hors de doute par l’invention de la pile, espèce de colonne plus ou moins élevée et formée par la superposition, plusieurs fois répétée, dans un ordre constamment uniforme, d’une rondelle de cuivre, d’une autre en zinc et d’une troisième en drap humide ; puis, lorsqu’à l’aide d’un fil métallique, l’on eut fait communiquer chacune des extrémités de cette colonne ou, pour mieux dire, les deux pôles de la pile, la science fut dès lors en possession d’un instrument d’une puissance telle qu’il eût été impossible à l’imagination la plus audacieuse de pouvoir seulement rêver la millième partie des prodiges qu’il ne cesse de réaliser chaque jour.

Depuis la découverte de la pile de Volta, le galvanisme a fait d’immense progrès ; ses applications aux plus grandes comme aux plus petites choses, dans les arts et dans l’industrie, ont été nombreuses ; mais la plus belle qui en ait été faite est, sans contredit, celle qui a produit la télégraphie électrique.

Les phénomènes sur lesquels repose la communication de la pensée par le télégraphe électrique sont, savoir : la pile, la déviation de l’aiguille aimantée par un courant électrique, l’aimantation du fer sous la même influence, la propriété conductrice de la terre et les courants d’induction.

Or, si l’on songe, on verra que tout cela serait facilement praticable pour tout le monde, sans une seule difficulté, qui pourtant n’est que matérielle, mais qui par cela même est complètement insurmontable pour les particuliers, je veux parler de l’établissement des fils conducteurs pour les courants électriques.

Dans l’origine, il fallait pour un seul télégraphe deux fils conducteurs, l’un pour l’aller, l’autre pour revenir ; mais une expérience faite en 1845 ( sur les diverses lignes télégraphiques qui ont été établies à Paris), ayant parfaitement prouvé que la conductibilité de la terre pouvait faire l’office d’un des fils, on a pu, depuis cette époque, économiser la moitié du circuit ; et il suffit maintenant d’un seul fil conducteur pour chaque télégraphe.

Or, quelle personne, en voyant, d’une part les effets surprenants d’un système de transmission qui permet de communiquer sa pensée à distance presque aussi vite que par la parole, et, de l’autre, les inconvénients graves, indépendamment de la dépense, attachés à la nécessité du fil conducteur métallique qui peut s’altérer ou se rompre, et qu’il n’est pas possible de préserver complètement des variations atmosphériques, quelle personne, dis-je, dans ces circonstances, n’a pas appelé de ses vœux la découverte de quelque moyen qui, simplifiant encore le système, permît de se passer tout à fait de ce fil conducteur ?

 

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D’un autre côté, environ à la même époque où les observations de Galvani donnaient naissance au galvanisme, Mesmer, à un autre point de vue, constatait l’influence que les corps organisés peuvent exercer l’un sur l’autre à distance, et, par ses étonnants prodiges, posait les bases d’une science nouvelle, qui a été appelée, comme on sait, le Magnétisme animal, à cause de l’analogie remarquable qu’on a reconnue entre les effets produits par cette influence occulte et ceux qu’on avait observés depuis longtemps déjà pour le Magnétisme minéral de l’aimant, dont je veux aussi rappeler l’existence, mais sur lequel je n’insisterai pas à cause de l’application positive et bien connue qui en a été faite pour la boussole marine.

Quant à savoir ce que c’est que le magnétisme animal en lui-même, quelle est sa cause et comment il agit, si c’est un fluide immatériel, comme disent les uns, ou bien un fluide matériel invisible, comme peut-être on pourrait le dire, ce sont autant de questions que la science n’a point encore complètement élucidées ; mais, de ce qu’on est pas d’accord sur différents points, importants sans aucun doute, s’ensuit-il qu’on doive nier l’existence du magnétisme lui-même, et méconnaître jusqu’à l’évidence les faits visibles qu’il produit? Non, sans doute ; et pourtant c’est ainsi que les choses se passent encore !

Cependant, que l’on interroge le passé : les antiques prophéties, la guérison des malades, les prétendus maléfices et sortilèges du moyen-âge, l’ascétisme religieux et l’extase, tout n’accuse-t-il pas et ne reconnaît-il pas, à divers titres et de diverses manières, la puissance magnétique tout aussi bien et mieux peut-être que de nos jours le sommeil factice, le somnambulisme lucide et l’extase magnétique, avec le nombreux cortège de tous les phénomènes et des prodiges qu’il causent ?

Le P. Lacordaire disait un jour dans une de ses conférences à Notre-Dame :

 

« Le magnétisme est une parcelle brisée d’un grand palais ; c’est le dernier rayon de la puissance adamique destiné à confondre la raison humaine et à l’humilier devant Dieu ; c’est un phénomène qui appartient à l’ordre prophétique…

Plongé dans un sommeil factice, l’homme voit à travers les corps opaques à distances, etc. »

Et ces paroles étaient confirmées par monseigneur l’archevêque de Paris, qui, s’adressant aux fidèles assemblés, dit :

« Mes frères, c’est Dieu qui parle par la bouche de l’illustre dominicain ; allez et répandez ces vérités. »

 

Mais il ne s’agit pas, après tout, d’examiner ici si l’on doit croire ou ne pas croire à l’existence du fluide magnétique ; il est de fait que beaucoup de personnes disent n’y pas croire sans attacher grande importance à ce qu’elles en disent, et que, d’autre part, dans l’état actuel de la science et malgré les progrès qu’elle a faits et qu’elle fait encore chaque jour, il arrive souvent que bien des gens trouvent plus commode de nier tout simplement ces phénomènes que de les expliquer ; mais que l’on confesse le magnétisme animal ou qu’on le nie, cela ne fait rien à la chose, qui n’en existe pas moins.

Cette puissance, dit-on, est incompréhensible ! soit ! mais, n’en doutez pas, le développement de la raison humaine arrivera à l’expliquer comme une foule d’autres phénomènes qui sont encore aujourd’hui des mystères, ou qui même sont complètement ignorés ; et, si l’on admet, avec le P. Lacordaire, que le magnétisme soit un dernier rayon de la puissance adamique, contrairement à sa conclusion, cependant, il faudra dire que ce rayon, loin d’être destiné à humilier la raison humaine devant Dieu, doit, au contraire, l’exalter et la grandir ; car n’est-ce pas pour nous faire désirer et espérer notre retour au grand palais de la puissance adamique, que Dieu, dans sa bonté, nous aura laissé ce rayon ?

Oui, ce rayon doit grandir et exalter la raison humaine devant Dieu ; car s’il est vrai, comme le dit le P. Lacordaire, et comme nous le reconnaissons avec lui, que l’ordre prophétique et l’ordre magnétique se confondent, quelle haute opinion Dieu n’a-t-il pas voulu que l’homme eût de soi-même, puisqu’ayant répandu le magnétisme dans tous les êtres et partout, il dit ainsi clairement à tous que, par le développement de la raison humaine, tous les hommes doivent être un jour, de par lui, sur la terre et devant lui, à l’égal des anciens prophètes ; ce qui d’ailleurs est textuellement écrit dans les livres saints, où il est dit :

« Et il arrivera après ces choses, dit Dieu, que je répandrai de mon esprit sur toutes choses, et vos fils prophétiseront et vos filles aussi.

Et, dans ces jours-là, je répandrai de mon esprit sur mes serviteurs et mes servantes, et ils prophétiseront. »

(Actes des apôtres, chap. II, vers. 17 et 18 et livre du prophète Joël, chap. II, vers. 28 et 29)

 

Toujours est-il que le magnétisme est une puissance certaine, et que, si l’on peut regretter, à quelques égards, que les études qui en ont été faites jusqu’à ce jour aient été dirigées au point de vue de la pratique, plutôt vers la satisfaction d’une curiosité vaine, que vers une utilité sérieuse, ce n’est pas un motif pour méconnaître, à cause de cela, le principe en lui-même, à savoir : l’influence quelconque que les êtres organisés peuvent exercer les uns sur les autres, à distance.

Et quand on dit à distance, il faut l’entendre de manière à comprendre à distance quelconque, sans limites ni calcul possibles sur la terre, car on a exercé et observé l’influence magnétique dans une foule de circonstances et de directions différentes, sans que jamais on ait pu, à quelque distance que ce fût, apprécier ni sa vitesse, qui est toujours instantanée, ni son mode d’action, qui est toujours uniforme, absolument comme cela a lieu pour l’électricité.

 

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Mais ce n’est pas tout : ce qu’on nomme magnétisme n’est pas la seule influence que les êtres organisés peuvent exercer les uns sur les autres à distance, car, si l’on se reporte à certains phénomènes connus qu’on désigne habituellement sous le nom vague de pressentiments, d’aspirations, et même de répulsions instinctives, et que l’on remarque de plus qu’il n’est pas une personne en sa vie qui n’ait eu elle-même l’occasion d’observer que certains pressentiments qu’elle a pu avoir ont été réalisés ensuite ou même en même temps à distance, comme aussi que des aspirations ou répulsions instinctives peuvent naturellement et instantanément exister entre plusieurs êtres à distance, on se convaincra bien vite que tous les mystères de la nature ne sont pas encore dévoilés, et que, quel que soit le nom qu’on donne à ces influences mystérieuses et secrètes, attraction ou sympathie, répulsion ou antipathie, ce serait trop d’orgueil à la faiblesse humaine que de vouloir toujours nier ce qu’elle ne peut pas comprendre.

Je pourrais d’ailleurs préciser des faits et multiplier les citations, mais ce mémoire sera déjà bien assez long sans cela, et si personne n’ignore l’attraction ou la sympathie naturelle de l’aiguille aimantée pour le pôle Nord, vers lequel elle se dirige sans cesse, on comprendra, je l’espère, que si certaine sympathie existe naturellement entre les corps inorganiques, il doit en être à plus forte raison de même entre les êtres organiques.

Je ne veux pas rappeler le moyen-âge à cet égard, j’aurais trop de chose à dire, et, quoiqu’on y pût recueillir des enseignements graves, il nous faudrait relever trop d’abus. Mieux vaut alors n’en pas parler. Mais, à l’occasion cependant de la sympathie naturelle qui nous occupe, et en raison même de la circonstance pour laquelle j’en parle, je ne puis m’empêcher de citer, mais pour citer seulement, ce qui suit d’un livre imprimé en 1724, sans nom d’auteur, et qui a pour titre : la Science naturelle. Il s’agit de la possibilité de guérir une plaie par un effet de sympathie, en pansant à une grande distance un linge sur lequel serait du sang sorti de cette plaie, et il est dit :

 

« On ne saurait rendre une raison solide de cet effet surprenant que par ce continuel commerce des esprits qui sortent des corps, et qui, par un mouvement continuel, vont et viennent et entretiennent la liaison des uns avec les autres ; et, quoique nos sens trop matériels ne les aperçoivent pas, ils ne sont ni moins réels, ni moins véritables, par l’exemple d’une araignée qui descend ou monte, traînant un filet invisible après soi, qui sort de son corps, en sorte qu’elle est à un bout de chambre et demeure attachée à l’autre bout par ce même filet par lequel elle se soutient et se meut d’un côté à l’autre.

J’avoue qu’il est difficile de concevoir qu’il y ait un filet ou une ligne de communication entre la plaie et le sang qui en est sorti ; mais cela n’est ni impossible, ni inconcevable ; outre que cet effet n’est pas infaillible, parce que ce filet étant interrompu ou brisé, la plaie ne guérit pas. »

 

Oh ! je sais qu’à parler de semblable matière, le terrain est glissant et l’écueil facile ; mais, si l’on ne doit pas croire légèrement aux sorciers ni à la magie, il ne faut pourtant pas trop douter non plus de la puissance de la nature, qui est l’œuvre de Dieu.

Il y a mieux, même, c’est que, si l’on a quelque confiance dans la bonté divine, il faut nécessairement admettre que, lorsque l’homme a pu concevoir quelqu’idée véritablement bonne pour l’humanité, comme il n’est pas possible que l’imagination humaine soit plus puissante que la toute-puissance divine, il faut, dis-je, nécessairement admettre que Dieu aussi a pu prévoir cette idée bonne, et que, dans sa sagesse et sa bonté, il doit vouloir qu’elle se réalise un jour, car autrement l’homme, qui n’est que sa créature, serait meilleurs et plus sage que Dieu, son créateur, qui, lui, doit être nécessairement toute sagesse et toute bonté.

Et si je dis cela, on peut le prendre, si l’on veut, pour une précaution anticipée de ma part, afin de repousser à l’avance et de quelque intention qu’il vienne, le double reproche à la fois d’esprit faible ou d’esprit fort qu’on pourrait être tenté de me faire ; mais je le dis encore cependant afin d’établir, pour ainsi dire à priori, par les inspirations unanimes de tous les hommes, la possibilité de la découverte de MM. Benoît et Biat : car si, revenant aux prodiges étonnants de la télégraphie électrique, tous les hommes considéraient que son seul inconvénient est l’existence du fil conducteur métallique, et que, comparant ses prodiges à ceux plus surprenants encore du magnétisme animal et de la sympathie naturelle qui se manifestent d’eux-mêmes à distance sans conducteur au moins visible, ils vinssent à remarquer que déjà la sympathie magnétique de l’aimant a pu être utilisée pour la boussole marine, est-ce que leur imagination enflammée alors, et par la rapidité de la pensée qui ne connaît, elle, ni le temps ni l’espace, et par le désir de surmonter, quand ce ne serait qu’un seul instant et en rêve, le dernier obstacle de la télégraphie électrique, est-ce que l’imagination, dis-je, ne se prendrait pas aussitôt à souhaiter une découverte qui, sans chercher à expliquer les influences sympathiques dans leurs causes premières, parvînt cependant à les utiliser pour la transmission de la pensée, et, supprimant enfin toutes les entraves, donnât pour ainsi dire à la parole, pour le temps et l’espace, tous les privilèges de l’esprit ?

Il faut en convenir néanmoins, une semblable découverte, quels que fussent les désirs qui la pussent solliciter, ne pouvait guère apparaître à l’esprit que comme une chimère ou comme un rêve destiné à prendre place, à plus forte raison encore qu’on n’a pu le dire pour la photographie, parmi les conceptions et les fantaisies extravagantes d’un Wilkins ou d’un Cyrano de Bergerac, et l’on ne saurait dire quel esprit inventif et quelle persévérance d’observation il a fallu à MM. Benoît et Biat pour dévoiler le mystère qui les a conduits à leur découverte ; mais il faut également le dire, car c’est un fait, le rêve est devenu maintenant une réalité.

Prenons l’invention dans son germe.

 

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L’application de l’électricité, du galvanisme et du magnétisme animal, pour établir la communication de la pensée, n’est point une idée entièrement nouvelle, comme beaucoup de personnes le pourraient croire.

 

On lisait, le 30 août dernier, dans le journal la République :

 

« Le Dublin University Magazine cite un passage curieux d’Addisson [sic], écrit en 1711, qui prouve que l’idée du télégraphe électrique s’était présentée comme tant d’autres à ces savants du moyen-âge, dont on tourne en plaisanterie les recherches chimériques.

Strada, dans ses prolusiones, dit Addison, parle d’une correspondance fantastique entretenue par deux amis au moyen d’un aimant dont la vertu était telle que lorsqu’il avait touché deux aiguilles, il suffisait que l’une de celle-ci fût mise en mouvement pour que l’autre éprouvât un mouvement simultané, à quelque distance que fut placée la première.

Chacun des amis étant en possession d’une des aiguilles, la disposa de manière à lui faire parcourir un cadran à circonférence sur lequel étaient tracées les vingt-quatre lettres de l’alphabet. En se séparant pour se rendre dans des pays très éloignés l’un de l’autre, ils convinrent de se renfermer chaque jour à une certaine heure affectée à la correspondance. Celui qui voulait écrire à son ami dirigeait l’aiguille de son cadran sur chacune des lettres composant le mot qu’il voulait transmettre, en ayant soin de laisser un temps d’arrêt entre chaque mot, pour qu’il n’y eût pas de confusion. Son ami voyait au même moment l’aiguille de l’autre cadran parcourir les mêmes lettres.

Par ce moyen, ils pouvaient échanger leur pensée au travers d’un continent, et lui faire franchir en un clin d’œil les villes, les mers, les montagnes et les déserts. »

 

Ces moyens extraordinaires de communication ont été perdus, et leurs auteurs les ont emportés dans la tombe ; mais le passage que je reproduis n’en est pas moins caractéristique, car il y a, sinon dans le moyen dont les deux amis faisaient usage, et qui est indiqué comme étant un aimant puissant, mais au moins dans la manière de procéder pour la correspondance, une analogie frappante entre la communication de ces deux amis et le nouveau système de MM. Benoît et Biat.

Eh ! mon Dieu ! qui pourrait affirmer que, même l’aimant puissant dont on parle, n’ait pas été précisément la découverte elle-même de MM. Benoît et Biat ? On a trouvé jadis et perdu tant de choses qu’on a retrouvées depuis, comme le feu grégeois des anciens et les vitraux des églises, qu’il ne serait pas impossible que la découverte de la communication sympathique de la pensée ait déjà été faite.

Au surplus, en songeant aux âges malheureux où l’ignorance et l’égoïsme rendaient les hommes barbares à l’égard des idées nouvelles et de leurs auteurs, pourrait-on s’étonner des nombreuses découvertes que l’humanité a perdues ? Dieu suscitait alors des inventeurs tout autant, et plus même peut-être qu’aujourd’hui ; mais pour ceux auxquels les premiers temps mythologiques eussent réservé les triomphes, la gloire, et même la divinisation, l’ingratitude et la perversité humaine ne connaissant plus alors que les souffrances du martyre et le feu du bûcher, force était le plus souvent de tenir secrètes les découvertes les plus utiles, qui nécessairement se perdaient ensuite à la mort de leurs auteurs.

Il fallait, en effet, tout le courage d’un grand génie pour oser affronter les ténèbres de cette barbarie, et l’on sait ce qu’il en coûta à l’illustre et infortuné Salomon de Caus, qui, ayant découvert la force de la vapeur, fut, pour cette découverte même, enfermé comme fou à Bicêtre, où il devint fou, en effet, de la douleur de n’avoir pas été compris, et mourut misérablement, martyr et victime à la fois de l’ignorance des hommes.

Depuis le Christ, qui a payé de la croix l’annonce de la bonne nouvelle, jusqu’à nos jours, où les inventeurs sont crucifiés encore non seulement par la misère qui est habituellement leur partage, mais aussi par l’égoïsme et les dédains qui les accueillent presque toujours, l’histoire de nos découvertes n’est remplie que des souffrances et des larmes que chacune d’elles a coûtées à ses inventeurs, comme si, de même que le grain de blé germe en terre et meurt pour fructifier ensuite, l’être choisi par la Providence pour une découverte utile devait nécessairement mourir aussi pour la faire éclore et produire !

On ne peut pas pénétrer les décrets de la providence mais il faut espérer néanmoins qu’il n’en sera pas toujours ainsi, et que, grâce à la découverte même de MM. Benoît et Biat, les hommes se pouvant désormais mieux entendre et mieux comprendre, le sacrifice des inventeurs deviendra inutile, et qu’ils pourront au contraire à l’avenir espérer jouir durant leur vie, et de la gloire et des honneurs qui n’ont encore été jusqu’ici accordés qu’à leur mémoire.

Une étude approfondie des résultats extraordinaires qui ont pu être obtenus à d’autres époques pour la transmission de la pensée au loin comme de près, démontrerait, sans aucun doute, que, quoique l’on n’en eût pas conscience, c’était uniquement aux phénomènes magnétiques que ces résultats étaient dus. Mais, une fois les curieuses propriétés des fluides galvanique et magnétique connues, leur application à la communication de la pensée était si naturelle et si simple, qu’elle semblerait avoir dû se présenter d’elle-même et de bonne heure aux savants qui les ont connues. Cependant, ce n’est pas ainsi que l’esprit humain a procédé jusqu’à présent ; au contraire, les découvertes les plus utiles n’ont été dues qu’au hasard des événements et des circonstances, et il nous faudra descendre jusqu’au commencement du dix-neuvième siècle pour trouver les premières traces de la science appliquée à la télégraphie électrique. Mais que la distance sépare encore cette application de la science du système nouveau de MM. Benoît et Biat ! Les magnifiques découvertes des Galvani, des Volta, des Mesmer, n’étaient que le prélude de celle de ces deux grands génies inventeurs, et comme des jalons placés pour ainsi dire sur la voie qui devait y conduire.

Ce qu’il y a de remarquable dans ces deux hommes, c’est qu’étrangers l’un à l’autre, et nés chacun à l’une des extrémités opposées du globe, l’un en France et l’autre en Amérique, ils ont eu presque en même temps et séparément la première idée de leur découverte et que le hasard, ou plutôt la Providence, les a fait ensuite se rencontrer et s’entendre pour poursuivre ensemble les expériences et les recherches qui ont eu en définitive une issue si heureuse.

Au surplus MM. Benoît et Biat n’ont pas plus la prétention d’avoir inventé les premiers le moyen de transmettre la pensée par ce nouveau procédé, que Christophe Colomb ne pouvait avoir celle d’avoir inventé l’Amérique. Ils ont fait, comme lui, que trouver et découvrir ce qui pouvait exister avant eux, ce qui même a pu être déjà connu, mais ce qui aussi, dans ce cas supposé, aurait été oublié et perdu depuis des siècles.

Ils ne se reconnaissent d’ailleurs qu’un mérite, celui d’avoir su lire une page négligée du grand livre de la nature, qui est ouvert à tous les yeux. Mais, il faut bien le dire aussi, ce mérite est le plus grand de tous, ou, mieux même, c’est l’unique mérite de l’homme, car, nature ou vérité, c’est la même chose ; et cependant, par une bizarrerie inconcevable, n’est-il pas arrivé que l’homme, dans l’orgueilleuse faiblesse de son esprit, a maudit la nature elle-même !

 

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Je ne dirai pas comment a été faite la découverte de MM. Benoît et Biat : l’histoire en sera racontée plus tard ; je ne puis pas non plus faire la description minutieuse de tous les détails des moyens de la correspondance ; ce serait trop long et peut-être inintelligible pour ceux qui n’auraient pas vu l’appareil ; mais, si je ne dis pas tout ce qu’il convient de savoir pour pouvoir correspondre soi-même, ce que je dirai cependant sera suffisant, je l’espère, pour expliquer et faire comprendre la possibilité du fait en principe, M. Benoît se proposant d’ailleurs, ainsi que je l’ai annoncé, de porter en définitive la conviction dans tous les esprits d’une façon dont personne ne récusera la puissance, de visu et actu, c’est-à-dire en faisant correspondre entre elles, lors des expériences qu’il a le dessein de faire, toutes les personnes qui le jugeront convenable.

On conçoit, d’un autre côté, que, pour la garantie des inventeurs, certains points de la découverte doivent rester secrets jusqu’au moment où l’invention devra être mise dans le domaine public, ce qui ne pourra avoir lieu que d’accord avec M. Biat, qui voyage en ce moment en Amérique, et sans les ordres duquel M. Benoît ne peut absolument rien faire ; mais, ces réserves exprimées, les inventeurs ont désiré publier, avant toute expérience publique, tout ce qu’ils veulent faire connaître de cette découverte, dans le double dessein de prendre date d’abord, et d’éviter ensuite toute réclamation ultérieure, fausse interprétation ou contestation quelconque.

 

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Ainsi que j’ai dû déjà le faire pressentir, la découverte de MM. Benoît et Biat repose à la fois sur le galvanisme, sur le magnétisme minéral et animal, et sur la sympathie naturelle, c’est-à-dire que la base de la communication nouvelle est une sorte de fluide sympathique particulier provenant de la combinaison des fluides galvanique, magnétique et sympathique, mariés tous trois ensemble, par des opérations et des procédés qui seront décrits plus tard.

Et, comme les différents fluides dont il s’agit varient en raison des êtres organiques ou inorganiques qu’on considère, il faut encore dire que les fluides différents qu’il s’agit de marier ensemble, sont le fluide minéral-galvanique d’une part, le fluide animal-sympathique des escargots de l’autre, et en troisième lieu, enfin, le fluide magnétique-minéral de l’aimant et le fluide magnétique-animal de l’homme, ce qui fait que, pour caractériser nettement la base du système de la nouvelle communication, il faudrait dire qu’elle se fait par l’intermédiaire de la sympathie-galvano-magnétique-minérale-animal et adamique.

MM. Benoît et Biat ont en effet découvert que certains escargots possèdent une propriété remarquable, celle de rester continuellement sous l’influence sympathique l’un de l’autre, lorsqu’après les avoir mariés ensemble et mis ensuite en rapport par une opération particulière avec le fluide magnétique, minéral et adamique, on les place dans les conditions nécessaires à l’entretien de cette sympathie ; et, pour tous ces résultats, ils n’ont besoin que de l’appareil très portatif de leur invention, qu’ils ont nommé boussole pasilalinique sympathique, à l’aide duquel ils obtiennent ensuite instantanément, et à quelque distance que soient placés l’un de l’autre les escargots sympathiques, une commotion très sensible qu’ils ont appelée la commotion escargotique, laquelle se manifeste et se communique toutes les fois que la sympathie de deux escargots est excitée par l’approche de deux autres escargots, également sympathiques entre eux et avec tous les autres, absolument comme la commotion électrique se manifeste au physicien chaque fois qu’il approche son doigt d’un corps quelconque électrisé.

Pour la sympathie, il est assez facile à l’homme de s’en rendre compte, car il est lui-même un être essentiellement sympathique. Comment se rendrait-on raison autrement de l’amour candide, de cette attraction pure et sainte, dépourvue de tout désir des sens, qui tend à unir entre eux tous les hommes, par la bienveillance naturelle et générale qu’on remarque d’un sexe envers l’autre, depuis l’enfant jusqu’à l’homme fait, si on ne le considérait pas comme un effet de cette sympathie naturelle providentiellement destinée à l’harmonie universelle de toute la nature ? L’homme seul et isolé n’est en effet qu’un être incomplet par lui-même ; c’est l’une des deux parties d’un être supérieur qui, pour se compléter et remplir ainsi le but de sa destinée a besoin de trouver, et conséquemment cherche sans cesse, jusqu’à ce qu’il l’ait rencontrée, l’autre partie avec laquelle il est en sympathie. Eh bien ! il en est de même de tous les êtres, et notamment des escargots, avec cette différence cependant que les escargots au lieu de se compléter l’un l’autre comme l’homme, peuvent sympathiser plusieurs ensemble, les uns avec les autres, en même temps.

On comprend bien ainsi que la sympathie puisse se manifester à distance pour les êtres sympathiques entre eux ; mais, maintenant, comment se fait-il que la sympathie existant entre deux escargots éloignés l’un de l’autre, comme si l’un était en France et l’autre en Amérique, puisse être rendue sensible à ce point que d’une part elle fournisse à volonté la commotion escargotique, et que de l’autre on puisse communiquer de même à volonté cette commotion à quelque distance que ce soit ? Or, il est clair que la commotion escargotique, qui n’est que l’expression pour ainsi dire électrique du désir de l’animal, est rendue sensible, comme je l’ai dit, par le mariage des fluides, et que la propriété de permanence de sympathie dont j’ai parlé suffit à expliquer comment on peut l’obtenir à volonté dans tous les temps ; et il s’ensuit qu’il ne reste plus alors qu’une seule et unique difficulté, celle de savoir comment et par quel conducteur se fait la communication à distance de cette commotion.

D’abord, les expériences faites à cet égard par MM. Benoît et Biat ne laissent pas de doute sur le fait en lui-même, qui est certain ; et même elles établissent de plus qu’il en est de cette communication comme de celle de l’électricité, puisqu’on peut l’intercepter et l’interrompre de la même manière à l’aide d’un corps mauvais conducteur de l’électricité, ce qui s’explique naturellement par la présence dans le fluide sympathique combiné dont il s’agit, du fluide galvanique-minéral qui n’est pas autre chose en effet que de l’électricité.

Et quant à la manière dont a lieu cette communication, il paraîtrait qu’après la séparation des escargots, qui ont sympathisé ensemble, il se dégage entre eux une espèce de fluide dont la terre est le conducteur, lequel se développe et se déroule, pour ainsi dire, comme le fil presque invisible de l’araignée ou celui du ver à soie, que l’on pourrait de même dérouler et prolonger dans un espace indéfini sans les casser, mais avec cette différence seulement que le fluide escargotique est complètement invisible et qu’il a autant de vitesse dans l’espace que le fluide électrique, et que ce serait par ce fluide que les escargots produisent et communiquent la commotion dont j’ai parlé ; or, comme tout le monde sait que les escargots sont hermaphrodites ou des deux sexes, c’est à dire mâle et femelle à la fois, on doit concevoir alors comment il se fait que la sympathie pouvant ainsi partir de l’un des deux escargots pour aller à l’autre instantanément, la commotion escargotique peut, de même, se transmettre instantanément de l’un à l’autre, et réciproquement.

Mais, dira-t-on, en supposant ce fluide sympathique, il doit en être de ce fluide comme des fluides électriques, galvanique et magnétique, qui à la vérité se répandent bien instantanément à distance, mais par irradiation dans tous les sens, à moins qu’on ne fasse usage d’un fil conducteur particulier, et l’on ne voit pas clairement comment il se peut que la communication se fasse directement et à volonté, d’un endroit précis à un autre, par le moyen du fluide sympathique lui-même. Cette objection pourrait au premier aperçu avoir quelque valeur, mais elle n’est cependant que spécieuse, car dès qu’on dit fluide sympathique ou sympathie, il faut nécessairement supposer deux êtres, et ces deux êtres sont naturellement et forcément les deux extrêmes de la ligne ou du fluide sympathique, que cette ligne soit droite ou courbe ! Elle ne pourrait donc valoir alors qu’à l’effet d’établir seulement l’influence que peut avoir la distance sur l’intensité de la commotion escargotique ; mais d’une part, l’intensité de cette commotion n’a pas d’importance pourvu qu’elle existe, et de l’autre, en fait, quelles que soient les distances expérimentées, MM. Benoît et Biat n’ont jamais remarqué de différence dans l’intensité de la commotion.

Mais il y a mieux, c’est que si l’on veut considérer encore ce qui a été dit du mariage des différents fluides, on se convaincra, par l’exemple de ce qui arrive pour le lin, le chanvre, le coton et la laine, dont les fils naturellement courts, déliés et sans attache entre eux, peuvent cependant produire étant mariés ensemble par le mouvement circulaire du fuseau, un fil plus ou moins solide dont la longueur n’a de limites que la quantité de la matière et la volonté de l’homme, et l’on se convaincra, dis-je, que le mariage des différents fluides produit ici un effet analogue, c’est-à-dire une espèce de cordon sympathique sans solution de continuité, d’un escargot à l’autre, avec cette différence unique que ce cordon est un fluide et qu’à ce titre il est indéfiniment élastique en longueur ou en largeur, ce qui le rend essentiellement mobile.

Les expériences faites par MM. Benoît et Biat, à l’aide de ballons, dans l’atmosphère, ne laissent pas de doute, d’ailleurs, sur ce point que la terre est le conducteur de ce cordon sympathique, ce qui s’explique encore par ce que j’ai dit de la composition du fluide sympathique combiné qui le forme, et ce qui est connu ensuite de l’inconductibilité électrique de l’air. Pour communiquer à travers l’atmosphère, il faut un conducteur particulier qu’il est facile, d’ailleurs, d’établir en laissant descendre à terre un fil quelconque mobile, bon conducteur électrique.

Cependant, pour que la communication s’établisse, il ne suffit pas qu’il y ait sympathie escargotique, il faut encore supposer qu’il y a sympathie harmonique entre les individus qui veulent correspondre, et cette sympathie harmonique, c’est à l’aide du magnétisme animal qu’on l’obtient et en unissant ensemble, comme je l’ai dit, le fluide magnétique minéral et adamique, sous l’influence du fluide minéral galvanique.

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans la question de savoir quelle analogie il peut y avoir naturellement entre ces différents fluides ; j’insiste seulement sur la nécessité de leur union, qui est le fait capital de la découverte, et sans lequel rien de tout ce qui précède n’est possible.

Or, étant donnée la commotion escargotique instantanée et à distance par sympathie, la fin de la découverte ne consiste plus que dans la connaissance de l’appareil à l’aide duquel cette commotion s’obtient, et dans les dispositions adoptées pour faire servir cette commotion à la transmission de la pensée.

 

JULES ALLIX.

 

(La fin à demain.)

 

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Nota. Les journaux et les revues qui voudront bien publier ce mémoire sont priés de le reproduire en entier, dans l’intérêt de la découverte.

 

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Cet appareil se compose d’une boîte carrée en bois, dans laquelle se meut une pile voltaïque dont les couples métalliques, au lieu d’être superposés comme pour la pile de Volta, sont disposés par ordre et attachés dans des trous pratiqués à cet effet dans une roue ou plateau circulaire en bois, mobile autour de son axe en fer.

Aux disques métalliques qui forment les couples de la pile de Volta, MM. Benoît et Biat ont substitués d’autres couples en forme de godets ou auges circulaires et composés d’un godet ou auge en zinc garni en dedans de drap préalablement trempé dans une dissolution de sulfate de cuivre et maintenu à l’aide d’une lame de cuivre rivée avec le godet.

Au fond de chacune de ces auges, ils ont fixé, à l’aide d’un mélange dont la composition sera indiquée, un escargot vivant, préalablement préparé et choisi, afin que là il puisse s’imprégner de l’influence galvanique qui doit se combiner ainsi avec l’influence électrique qui sera développée lorsque la roue qui forme la pile sera mise en mouvement, et avec elle conséquemment les escargots qui y sont fixés.

La boîte dans laquelle cette roue ou pile mobile est renfermée peut être d’une forme et d’une substance quelconques, mais elle est nécessaire pour soustraire les escargots à l’influence atmosphérique. Dans tous les cas, elle est essentiellement mobile et portative.

De plus, chaque auge ou godet galvanique est établi sur un ressort de manière à former ainsi comme une espèce de touche élastique dont le mouvement est utilisé pour l’appréciation de la commotion escargotique.

Or, on comprend maintenant que l’ensemble d’un appareil de correspondance suppose nécessairement deux appareils particuliers ou instruments disposés comme celui que je viens de décrire, et avec l’attention spéciale de mettre, dans les auges de l’un, des escargots sympathiques avec ceux des auges de l’autre, de manière que la commotion escargotique puisse partir d’un point précis de l’une des piles pour aller de là à un point également précis de l’autre, et réciproquement.

Et ces dispositions comprises, le reste vient de soi-même : MM. Benoît et Bat ont fixé sur les roues des deux instruments, et à chacune des touches sympathiques entre elles, des lettres correspondantes, de sorte qu’ils en ont fait des espèces de cadrans alphabétiques et sympathiques, à l’aide desquels la communication de la pensée se fait ainsi naturellement et instantanément à toutes les distances par l’écriture de la pensée elle-même, dont la commotion escargotique indique les lettres.

Il ne suffit plus, pour pouvoir correspondre que de se mettre en présence de ces deux instruments, à une même heure, et d’être dans les conditions de sympathie harmonique dont j’ai parlé ; et, si les expériences faites par les physiciens Steinheil, à Munich, et Matteucci, à Pise, ont permis depuis 1845 de réduire les conducteurs métalliques de la télégraphie électrique à un seul fil pour chaque télégraphe, la découverte de MM. Benoît et Biat, comme on le voit, les supprime tous.

L’appareil que je viens de décrire ayant la forme d’une boussole marine, on lui a donné de même le nom de boussole, en ajoutant, pour caractériser son usage, la qualification de pasilalinique, qui signifie parole ou langage universel, et de plus celle de sympathique, qui indique le moyen dont on se sert.

Les boussoles pasilaliniques sympathiques que M. Benoît vient d’établir ont plus de deux mètres de hauteur. Elles ont ainsi une grande dimension parce qu’il a voulu y adapter les lettres ou signes alphabétiques de toutes les langues en usage, ainsi que ceux de l’alphabet universel pasilalinique qu’il a créé, et dont il sera parlé plus tard, puis les signes de ponctuation et ceux des nombres ; mais on conçoit que le nombre des couples ou des touches escargotiques nécessaire pourrait être rigoureusement réduit aux vingt-cinq lettres de la langue française, et comme on peut, de plus, prendre des escargots de toutes les grosseurs, et qu’il y en a de très petits, de petits même comme des têtes d’épingles, il s’ensuit que l’on doit comprendre que l’instrument, qui peut avoir toutes les formes, peut accepter aussi toutes les dimensions, depuis les plus grandes jusqu’aux plus petites, et qu’on en pourra avoir de grands comme le cadran d’une horloge, d’autres comme celui d’une pendule, et puis enfin d’autres plus petits comme celui d’une montre de poche.

Je ne parle pas de la matière ni de la manière dont pourra être faite la boîte de l’appareil, mais on a dû comprendre que toutes les matières, métalliques ou autres, pouvant être employées, la boussole pasilalinique sympathique est destinée à devenir un meuble obligé, ou même un bijou intéressant, qui, paré de toutes les fantaisies artistiques qu’il ne manquera pas de faire naître, trouvera nécessairement sa place partout, depuis le cabinet administratif des gouvernements, jusqu’à la plus humble chaumière, sans oublier, chemin faisant, le boudoir, et même, si l’on veut, la châtelaine des dames.

Après ces explications, préliminaires obligées de l’expérience, j’arrive enfin à l’expérience elle-même.

 

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M. Triat et moi, depuis une quinzaine de jours, nous attendions l’expérience avec une anxiété qu’on peut concevoir, et qui était tout à la fois mêlée d’inquiétude et d’espérance, quand, les mercredi soir, 2 octobre, M. Benoît vint nous prévenir qu’il nous convoquait pour le lendemain, à midi, pour l’expérience tant attendue, qu’il s’était mis en correspondance lui-même depuis le lundi avec M. Biat, en Amérique, qu’il était convenu avec lui qu’il assisterait d’Amérique à toutes les expériences qui se feraient en France, à Paris ou ailleurs, et que rendez-vous était pris avec lui-même pour le lendemain, à cette heure, pour cette expérience particulière.

On pense bien que nous ne manquâmes pas au rendez-vous.

M. Benoît prévint M. Biat de notre présence à l’aide de l’une des deux boussoles ; puis il nous dit :

« Avant de faire l’expérience de mes machines, comme nous en sommes convenus, nous avons besoin de bien préciser le caractère et l’importance de cette expérience. C’est très sérieusement que nous procédons, mais vous voyez, d’un autre côté, dans quel état sont encore les boussoles ; il y a juste ce qu’il faut pour qu’elles fonctionnent ; mais il y manque, ainsi que vous le savez, divers degrés d’achèvement qui ne nous permettront pas de correspondre aussi vite que je corresponds avec Biat ; mais, entre nous, en ce moment, la question n’est pas là. Il s’agit de vous prouver que la commotion escargotique se communique comme nous l’avons dit, et si les boussoles sont aujourd’hui nécessairement dans la même pièce, nous ferons plus tard des expériences à toutes les distances qu’on voudra. C’est surtout du principe qu’il s’agit, et vous voyez, du reste, qu’elles sont portatives et mobiles. »

– Et, en effet, nous les changeâmes de place toutes les deux pour nous assurer de leur mobilité et de l’absence de tout fil conducteur.

« Vous savez, d’un autre côté, qu’aujourd’hui je ne dois pas vous faire connaître encore tous les moyens pour obtenir la commotion escargotique, mais que, sans connaître le moins du monde ce que vous pourrez vous dire, c’est moi qui la ressentirai. Ce sera un inconvénient, je le sais ; mais pour vous donner les moyens de ressentir cette commotion, il faudrait que vous fussiez réciproquement dans les conditions nécessaires, et que je vous initiasse à tout, ce que je ne puis faire encore. Vous savez, d’ailleurs, qu’il est convenu que ce doit être d’abord ainsi. Pour les expériences qui seront faites dans la suite, on pourra me parler directement.

Dans tous les cas, je ne saurai nullement les lettres que vous voudrez vous transmettre, puisqu’elles sont placées derrière l’appareil et que je ne les verrai pas ; mais, comme il y a des lettres correspondantes aux escargots sympathiques entre eux dans les deux boussoles, celui de vous qui devra parler à l’autre m’indiquera, en le touchant ou le remuant par derrière, l’escargot de la lettre qu’il voudra transmettre. J’approcherai de cet escargot un escargot sympathique qui produira une commotion ; puis cette commotion, suivant alors le fluide sympathique qui réunit l’escargot indiqué de la première boussole avec son escargot sympathique dans la seconde, se transmettra à celui-ci, où je reconnaîtrai son arrivée en présentant à l’un ou à l’autre quelconque des escargots de la seconde boussole un nouvel escargot sympathique avec le premier dont je me serai servi.

Ainsi, sans que je voie les lettres, le point de départ et le point d’arrivée de la sympathie se trouveront indiqués. Le point de départ, c’est celui qui veut transmettre sa pensée, qui l’indique à volonté, selon le signe dont il a besoin ; le point d’arrivée, c’est la commotion escargotique de l’escargot sympathique qui le fait connaître ; mais comme je ne connais pas les lettres que vous voudrez transmettre, et que, de plus, les lettres, ou, si vous voulez, les escargots sympathiques, sont mis dans un ordre indifférent dans les deux boussoles, mais seulement les lettres en correspondance avec les escargots sympathiques entre eux, quelle que soit leur place dans les boussoles, il sera clair, si les mêmes lettres sont transmises, que l’indication ne sera faite que par le fluide sympathique lui-même.

J’ai maintenant une précaution à prendre. Biat, avec lequel je corresponds depuis deux jours, m’a fait remarquer qu’il y a quelques erreurs dans la disposition des lettres qui, d’ailleurs, sont mobiles et peuvent être déplacées. Je l’ai, de plus, remarqué moi-même. Je vous préviens donc qu’il pourra se trouver, par suite de cela, quelques erreurs matérielles de lettres ; mais, comme les dispositions actuelles ne sont que provisoires, je n’ai pas pensé qu’il fût utile de retarder notre expérience pour prendre les dispositions nécessaires pour rectifier ces erreurs, ce qui aurait été un travail inutile d’abord et assez long ensuite, en raison de ce que le nombre des escargots de cet appareil est disposé pour recevoir les alphabets de toutes les langues.

– Nous comprenons bien cela, dis-je alors ; l’essentiel, d’ailleurs, est pour nous de voir que la commotion partie de la première boussole peut indiquer dans la seconde un escargot plutôt qu’un autre, car, si cela est, il est clair qu’il suffira de mettre à cet escargot le signe ou la lettre correspondante à celle qui se trouve à celui qui lui est sympathique dans la première boussole. »

Puis il fut convenu que ce serait moi qui parlerais le premier.

Certes, si nous n’eussions pas pensé à cette expérience depuis plusieurs jours, et que l’attente n’eût pas rendu notre émotion pour ainsi dire permanente, je ne sais pas ce qu’elle aurait pu être à ce moment solennel tant attendu de la vérification d’un fait si modeste et si simple dans la forme, mais si grandiose aussi quant au fond, surtout en pensant que cette vérification allait se faire en présence et pour ainsi dire sous les yeux et la protection d’un vieillard de 70 ans, M. Biat, qui assistait, sans être vu, de l’autre hémisphère du monde où il est en ce moment, et qui allait, de là, nous entendre et nous répondre.

J’étais placé derrière l’une des boussoles, M. Triat derrière l’autre ; M. Benoît, entre les deux, était conséquemment en face de l’une et de l’autre. Il se faisait entre nous un silence religieux.

Je touche un escargot par derrière, comme il avait été dit ; M. Benoît, le voyant remuer, en approche un autre, et va de là, avec un troisième, se présenter à la seconde boussole. Il l’approche de plusieurs, puis l’un d’eux s’agite, et M. Triat dit : « Je le vois, » et note la lettre qui y correspond.

Je tenais note de même des lettres que j’adressais. Puis l’opération recommence ; une deuxième lettre, puis une troisième arrivent de même.

« Vous voyez maintenant ce qu’il en est, dit M. Benoît ; vous pouvez dire les lettres qui vous ont été transmises.

– Non, reprit M. Triat, continuons tout le mot, quoique je le connaisse déjà. »

Je fus vivement frappé par cette réflexion, car il ne m’aurait fallu qu’une seule lettre, et ce que disait M. Triat suffisait pour me convaincre qu’il en avait déjà réellement reçu trois. J’avais transmis, en effet ces trois lettres : G Y M, et, en l’entendant dire qu’il comprenait tout le mot, il était bien évident pour moi qu’il avait compris que j’allais ajouter les lettres N A S E, parce que nous avions dit que le mot ne serait pas trop long. Mais il désira que le mot fût achevé ; je touchai en effet ces quatre lettres, ce qui faisait en tout le mot GYMNASE ; lui, il avait reçu, en effet, les trois lettres premières, mais il y avait eu deux erreurs pour les autres ; au lieu de l’N et de l’S, il avait reçu O et T, qui suivent précisément dans l’alphabet les lettres N et S, et le mot entier se trouvait être pour lui GYMOATE au lieu de GYMNASE que j’avais envoyé.

Puis M. Biat dut parler à son tour, pour qu’il y eût demande et réponse, et afin que le rôle des boussoles fut interverti relativement au point de départ et à celui d’arrivée. Cette fois, je nommai tout haut les lettres à mesure qu’elles m’étaient indiquées, afin de constater au moment où elles se produiraient les erreurs matérielles s’il y en avait.

Il me transmit et je reçus les trois lettres L U M que je nommai successivement, puis il me transmit un I et je reçus H ; il me transmit ensuite les trois lettres È R E que je reçus et qui formaient pour lui le mot LUMIÈRE, que j’avais reçu LUMHÈRE ; puis enfin, il m’envoya le mot DIVINE, que je reçus intégralement et nommai, lettre par lettre, dans l’ordre de leur réception.

En définitive j’avais, faisant une question, transmis le mot : gymnase, qui avait été reçu ainsi : gymoate, et M. Triat, en réponse, m’avait envoyé les deux mots : lumière divine, que j’avais reçus ainsi : lumhère divine.

Il y avait eu erreur pour trois lettres ; mais les circonstances mêmes de l’expérience nous expliquaient suffisamment cette erreur, qui ne pouvait en rien atténuer, pour nous, l’importance du fait en lui-même.

Je priai alors M. Benoît de s’adresser à M. Biat, pour qu’il répondît devant nous.

« Que voulez-vous que je lui dise ? » nous dit M. Benoît.

Et en même temps, il se plaça à un signe convenu pour indiquer qu’on va parler.

« Appelez-le par son nom, afin qu’il nous réponde sur ce qui s’est passé. »

M. Benoît porta alors successivement son escargot aux lettres B I A et T, qui forme le mot Biat, puis se plaça ensuite à une autre place convenue pour signifier qu’on attend une réponse.

Cela fait, nous le vîmes ensuite présenter son escargot successivement devant plusieurs autres ; quelques-uns restaient immobiles, puis d’autres dans le nombre s’agitaient, et, en remarquant les lettres de ceux qui s’étaient agités, il se trouva que c’étaient les huit lettres suivantes : C E S T B I E N, qui, en rétablissant l’apostrophe après le C et en remarquant une petite pause après le T donnent les deux mots C’EST BIEN ; -– et cela se fit très rapidement.

Je ne parle pas de diverses questions qui furent adressées à M. Benoît pour vérifier s’il pouvait y avoir de sa part quelque autre moyen secret de reconnaître les escargots que la commotion sympathique, comme aussi de la recherche des lettres les plus éloignées les unes des autres dans tous les alphabets multipliés sur chaque boussole, jusqu’au nombre de près de 300 lettres, afin d’éviter ainsi qu’il puisse avoir une connaissance quelconque des lettres adressées, ce qui est d’ailleurs positivement et matériellement impossible avec les dispositions adoptées du nombre et du mélange des lettres combinées avec le mouvement circulaire du cadran.

Or, en définitive, pour nous, M. Triat et pour moi, qui avions eu l’honneur d’assister les premiers à cette expérience importante, nous devions à la vérité de le déclarer, et cela à part toutes conséquences quelconques, et, quelles que soient d’ailleurs celles que le fait puisse avoir en lui-même, ou encore celles que chacun pourra y voir à différents point de vue, nous devions à la vérité de déclarer que l’expérience, pour nous, sauf les erreurs matérielles à éviter, a été concluante.

 

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MM. Benoît et Biat doivent au hasard la connaissance de l’étrange propriété qu’ont les escargots de faire sentir au doigt la commotion escargotique ; mais, quoique ce fait ait été le premier de la découverte de la communication sympathique universelle, les inventeurs souhaitent que je dise que la connaissance de tout ce qui précède, suffisant sans doute pour comprendre la possibilité de la découverte, ne suffirait pas cependant pour que tout le monde pût obtenir par soi-même les résultats indiqués ci-dessus pour la transmission de la pensée, et cela, afin d’éviter, à ceux qui voudraient marcher sur leurs traces et faire des expériences par eux-mêmes, sans avoir été à l’avance initiés à tous les moyens dont on doit faire usage, des tentatives et des recherches inutiles et infructueuses.

Il en est ici comme de la photographie, pour laquelle tout le monde sait que si les inventeurs n’eussent fait qu’indiquer d’une manière générale les substances dont on doit faire usage pour la reproduction des images de la chambre obscure, sans préciser les procédés et les opérations, personne ne serait parvenu à les obtenir soi-même, à moins d’en devenir réellement un nouvel inventeur. Or, les recherches et les expériences de MM. Benoît et Biat ont duré plus de dix années, tant en France qu’en Amérique !

On doit remarquer aussi que les escargots, pour avoir les propriétés qu’on vient de dire, doivent avoir été soumis à une influence particulière, indépendante de toutes celles qui ont été mentionnées ; que, sans cela, ils ne produiraient pas la commotion escargotique, et qu’il leur faut, de plus, une préparation préalable sans laquelle on voudra vainement les faire servir à la transmission de la pensée par le fluide escargotique.

De plus, de même que tous les hommes ne sont pas capables de produire les phénomènes du somnambulisme magnétique et de la lucidité, de même aussi tous les escargots ne possèdent pas par eux-mêmes les propriétés nécessaires pour obtenir les résultats qui ont été indiqués. Il faut les reconnaître à certains signes secrets, comme Guénon reconnaît à certains signes particuliers les génisses destinées à devenir des vaches bonnes laitières.

Il paraît d’ailleurs que les nombreuses expériences faites à cet égard par MM. Benoît et Biat leur ont fait reconnaître que les escargots ne sont pas les seuls animaux capables de produire le phénomène de la commotion sympathique, qu’on en peut trouver encore dans presque toutes les espèces de crustacés maritimes, fluviatiles ou terrestres, mais qu’aucun d’eux n’offre autant d’avantages pour la communication universelle de la pensée que l’escargot, tant en raison de l’intensité et de la permanence de la commotion sympathique, que parce que l’escargot peut vivre pendant près d’une année sans nourriture, qu’il s’attache facilement par sa coquille au fond des auges de la pile, et que toutes les différentes espèces qui en existent au point de vue de la forme et de la grosseur, sont multipliées partout.

Et il y a mieux, c’est qu’à part tous ces avantages, l’escargot, en raison de sa manière de vivre et de sa sympathie pour la terre, où il habite et où il dépose ses œufs, semble avoir été précisément destiné par la Providence à être l’intermédiaire de la communication de la pensée par le fluide sympathique, dont la terre est le conducteur.

On peut s’attendre, il est vrai, à ce que cette étrange propriété des escargots rencontre des incrédules et des rieurs ; mais n’y a-t-il pas des gens destinés à rire de tout ? Il y en a d’abord qui rient de ce que la faiblesse de leur intelligence ne leur permet pas de comprendre, comme si leur ignorance pouvait empêcher la chose d’être ; ceux-là sont des gens dits d’esprit dans le monde, tranchant de tout et sur tout, sans y attacher aucune importance. Il y en a d’autres ensuite qui rient en présence du fait lui-même, mais niaisement alors, soit parce qu’ils sont piqués d’avoir déjà, à l’avance, ri trop légèrement, soit parce que le fait nouveau déroute un peu leur importance scientifique et leurs idées ; ce sont encore des gens d’esprit du monde. Puis il y en a d’autres qui rient aussi, qui rient toujours, qui rient de tout, et cela sans savoir pourquoi, sans savoir comment, mais tout simplement pour rire ; ceux-là sont des imbéciles. Pour les derniers, il faut les plaindre, car ils sont malades d’intelligence et de raison ; pour les autres… mon Dieu, il faut les plaindre encore, car ils sont malades aussi de raison et d’intelligence à un autre point de vue ; mais à ceux-là en même temps il faut dire : « Il y a une physique inconnue, une physique que les savants à systèmes rejettent, mais qui n’en n’existe pas moins, et qui est de plus la grande physique inconnue de la déviation de l’aiguille aimantée se tournant toujours vers le nord, celle des phénomènes de la chaleur, de la lumière, de l’électricité, du magnétisme ; celle de l’attraction et de la répulsion des différents mondes entre deux ; celle, enfin, des sympathies et des antipathies de tous les êtres organiques et inorganiques ; et pour tout dire, en un mot, la grande physique de la vie universelle. » Et, après cela, qu’ils avouent ou qu’ils nient la puissance de l’homme à découvrir, par le hasard ou par la science, tous les secrets de la nature, l’histoire et l’humanité ne se chargent-elles pas de les confondre, conformément d’ailleurs à la parole du Christ, qui a dit : « Ne les craignez donc point, car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni rien de secret qui ne doive être connu. » (Évangile. – Saint Mathieu, chap. 10, vers. 26 ; saint Luc, chap. 12, vers. 2)

Mais la première chose pour toute découverte, c’est de commencer par bien voir ce que l’on voit, pour en tirer ensuite les conséquences logiques, et malheureusement notre éducation absurde, et l’habitude, notre seconde mais sotte nature, font de nous des êtres superficiels qui ne nous attachons qu’à la surface des choses, et ne savons pas même voir ce qui est perpétuellement sous nos yeux. Aristote, Galilée, Bacon, Descartes, Newton, tous les savants du monde jusqu’à Galvani avaient connu la grenouille, le zinc et le cuivre, sans en déduire le galvanisme, comme ils avaient eu connaissance aussi de l’escargot et de sa nature sans observer ses propriétés sympathiques. Que conclure donc en définitive ? C’est que les prétendus mystères de la nature sont tous constamment, sous les yeux de tous ; que chacun peut en conséquence les découvrir, mais qu’il faut pourtant y penser.

 

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Si maintenant nous portons nos regards vers les applications et les conséquences de la découverte de MM. Benoît et Biat, elles se présenteront en foule, soit qu’on la considère au point de vue des relations générales, des gouvernements et des peuples, soit qu’on la voie au point de vue des relations particulières et de famille ; et l’on peut ici rappeler avec avantage, et en les étendant encore, toutes les propositions déjà faites, tous les projets déjà formés pour la télégraphie électrique, comme les journaux électriques, la poste électrique, l’usage du télégraphe électrique pour l’administration intérieure du pays, et pour les rapports de peuple à peuple. Ce que l’on ne pouvait espérer de la télégraphie électrique que pour un avenir plus ou moins éloigné, et même ce que l’on n’aurait pas osé espérer d’elle au point de vue des relations particulières, on peut le demander et l’attendre du système de la communication nouvelle, qui peut s’organiser et s’établir comme par enchantement sur toute la surface du globe à la fois, sans dépenses sérieuses, en comparaison de celles que nécessite la télégraphie électrique.

Oui, désormais, par le système de communication aussi simple qu’infaillible de MM. Benoît et Biat, il sera possible de correspondre aussi vite que par la parole, d’homme à homme, ou plusieurs ensemble simultanément, à toutes distances, sans avoir à redouter les variations atmosphériques, en toute saison et à quelque instant que ce soit du jour ou de la nuit !

Parmi toutes les nécessités de notre époque, la plus impérieuse, ce n’est pas seulement de savoir et de correspondre, mais de savoir et de correspondre vite. Les chemins de fer, au point de vue matériel, et l’activité de la nature humaine, au point de vue moral, nous ont fait cette impérieuse nécessité. Or, une découverte qui, se reliant à la locomotion matérielle des chemins de fer et à la navigation aérienne qui commence à poindre, viendrait achever en un jour et surpasser ce que la télégraphie électrique a déjà commencé et peut faire espérer pour la transmission de la pensée ; cette découverte sans doute serait reçue avec acclamation et enthousiasme par toutes les nations du globe qu’elle relierait ainsi en un seul peuple. Eh bien ! nations et peuples de la terre, réjouissez-vous, car cette découverte, c’est précisément celle de MM. Benoît et Biat !

Au commencement, toute la terre n’avait qu’un seul langage et une même parole ; mais il fallait la dispersion des peuples : Dieu y pourvut en confondant les langues. Mais aujourd’hui, toutes les contrées du globe sont peuplées, l’activité humaine ne peut plus avoir le même but, et le Christ a nettement formulé le but nouveau, par ces paroles : « Aimez-vous les uns les autres, afin que tous ne soient qu’un. » Pour un but différent, il fallait des moyens différents ; pour un but opposé, des moyens opposés ; et c’est ce qui explique comment toutes les grandes découvertes modernes, qui tendent à unir et à relier entre eux tous les hommes, qui auparavant devaient être divisés et ennemis, viennent ainsi nécessairement et providentiellement à leur temps et à leur heure, afin de remplacer dans le monde l’ignorance par la science, l’erreur par la vérité, la misère par la félicité, la haine, enfin, et la guerre par l’amour.

Or, plus encore que la boussole, que l’imprimerie, que la vapeur, la découverte de MM. Benoît et Biat est capable de conduire l’humanité à ce but sublime de sa magnifique destinée ; et c’est même une chose digne de remarque pour l’esprit philosophique, que leur appareil, si modeste et si simple il est vrai, dans la forme, mais qui n’en est pas moins destiné cependant à produire l’union entre tous les hommes, commence par exiger pour lui-même le mariage et l’union de tous les règnes de la nature : règne minéral, règne végétal, règne animal, règne hominal, règne fluidique ou éthéré.

Et si l’on jette maintenant un regard sur le monde, et que l’on consulte en même temps le développement des idées et les aspirations des peuples, on sera bien forcé de convenir que l’heure de cette belle découverte était venue, et que sa publication arrive providentiellement, juste à temps pour conserver au monde des ressources considérables qu’il allait destiner dans le même but à la télégraphie électrique, et dont il pourra conséquemment profiter pour un autre.

C’est du reste, ce que MM. Benoît et Biat paraissent avoir compris mieux que personne ; et l’on sera bien étonné quand on apprendra par l’histoire de cette découverte, qu’elle est complète déjà depuis près de douze années, et que les inventeurs, qui ont eu le projet de la publier il y a onze ans, ainsi qu’en témoigne les prospectus que j’ai sous les yeux et qui ont été imprimés à Béziers et à Lodève en 1839, l’ont cependant conservée secrète jusqu’à ce jour sur l’avis de M. Biat, qui, ne jugeant pas l’heure venue, fit surseoir à la publication qui est faite aujourd’hui de même selon son conseil et dans la forme qu’il a indiquée.

– Mais, dira-t-on, attendre ainsi, c’était courir le risque de perdre la découverte, car enfin, la mort !…

– Non, car ces messieurs avaient tout prévu, et ils avaient eu la précaution d’initier à leur découverte, tant en Amérique que dans diverses contrées du globe, des personnes de confiance qui l’eussent alors fait connaître. Et si je dis cela, c’est afin que l’on comprenne que la publication qui en est faite aujourd’hui ne doit pas être considérée comme une spéculation de la part des inventeurs, mais véritablement comme une œuvre humanitaire que M. Biat, le vénérable vieillard, a voulu voir commencer en France par M. Benoît, l’un des inventeurs, parce que la découverte a eu la France pour patrie.

Et quelles conséquences, en effet, n’est-il pas permis de prévoir pour l’avenir de cette découverte quand on songe aux applications suivantes qu’on peut en faire !

Aujourd’hui, la publicité des faits et des idées est, pour ainsi dire, toute locale. On a, en France, la presse parisienne et la presse départementale ; c’est, d’une part, Paris qui parcourt le monde, et ce sont, ensuite, diverses localités qui voyagent en France. C’est déjà quelque chose, soit ! – Cependant la télégraphie électrique avait fait comprendre ou espérer que l’on pourrait avoir un jour la presse nationale s’imprimant à la même heure, à Paris et dans tous les chefs-lieux de département ; c’était mieux. Mais il fallait pour cela encore attendre assez longtemps ; tandis que par la boussole pasilalinique sympathique, il pourrait y avoir, et cela, si l’on voulait, sans attendre, en dehors de la presse française, de la presse anglaise, de la presse allemande, et de celle de toutes les contrées du globe, la presse humanitaire du monde, qui serait spécialement destinée à relier tous les peuples, et à faire concorder leurs progrès, afin de les faire ainsi marcher ensemble à la réalisation de la grande parole du Christ : « Tous les hommes sont frères. »

Et de même, si l’on plaçait une boussole pasilalinique sympathique dans la tribune de la Chambre des Représentants, et qu’on la fît communiquer avec celle qu’on aurait mise dans chacune des mairies de la France, on pourrait, pour ainsi dire, entendre la voix de l’orateur, au même instant, dans tous ces lieux à la fois, et établir ainsi entre tous les esprits une communication vraiment miraculeuse. Par le moyen de la boussole pasilalinique sympathique, les murs des enceintes parlementaires seraient, pour ainsi dire, renversés, et l’orateur pourrait parler à toute la terre. – D’une extrémité du monde à l’autre, sa voix serait entendue, et l’assemblée qui l’écouterait ne serait nulle part, mais partout. Cet orateur invisible parcourant des distances immenses, se multiplierait à l’infini pour un auditoire innombrable ; et sa parole, aussi rapide que la pensée, grâce à l’agent mystérieux du fluide sympathique invisible, circulerait ainsi sur tous les points du monde, emportant avec elle, non seulement la passion qui l’anime, mais encore les battements de son cœur et jusqu’aux moindres vibrations de son âme !… – Mais il faut que je me souvienne que je ne dois pas céder à l’enthousiasme ; et d’ailleurs, pour me faire comprendre dans ce nouveau domaine, il faudrait que j’eusse parlé de l’Alphabet Pasilalinique universel de M. Benoît, qui est la seconde partie et le complément obligé de la communication universelle de la pensée, et pour lequel un second mémoire sera nécessaire.

Après ces applications grandioses, qu’est-il besoin de parler des applications particulières ? Ne se comprennent-elles pas d’elles-mêmes ? – La conversation que nous avons ici, ensemble, vous et moi, en famille, entre amis, le matin ou le soir, sur quelque sujet ou dans quelque intérêt que ce soit, peut se faire de même instantanément, à toutes les distances avec avantage de sécurité, d’exactitude, de commodité, d’économie, voilà tout !

 

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Ainsi, ma première lettre du 3 octobre était, comme on le voit, une chose sérieuse, et, si quelques personnes, dont je n’ai pas l’honneur d’être connu, ont pu croire le contraire, j’espère qu’elles reviendront de leur erreur après la lecture de ce mémoire. Mais si, même après cette lecture, on pouvait encore conserver quelque doute sur la rectitude de mes sens ou de mon intelligence, ce que d’ailleurs je ne discute pas, je n’aurais qu’une chose à répondre, c’est que toute l’incrédulité du monde n’empêchera pas la chose d’être, et de se matérialiser en définitive dans une petite machine positive, visible, palpable, vivante même, je puis le dire, et portative enfin, de même que la certitude de la puissance de l’aimant se matérialise dans la boussole, et celle de la vapeur dans une chaudière.

D’ailleurs encore, j’ai dit que M. Benoît se propose de multiplier les preuves de fait pour tout le monde, après qu’il aura convoqué à une expérience particulière tous les représentants de la presse parisienne, ainsi que les notabilités de la science et des arts, ce qui aura lieu bientôt.

 

Recevez, etc.

 

JULES ALLIX,

92, rue Richelieu.

 

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(Feuilleton de La Presse, vendredi 25 et samedi 26 octobre 1850)