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Fernand Mysor, qui vient de mourir à l’âge de cinquante-quatre ans, était un des écrivains les plus probes, les plus nobles de ce temps. Il se tenait loin de la réclame et de l’agitation, à l’écart des chapelles et des coteries, ne vivant que pour son œuvre. La grande presse lui a consacré quelques lignes. C’est logique, Fernand Mysor n’étant pas un cabotin. On peut dire qu’il constituait une hautaine exception parmi les romanciers contemporains, avides de publicité, bâclant leurs ouvrages pour en retirer un profit immédiat. Tel n’était pas le « cas » de Fernand Mysor. Ennemi de toutes les combinaisons, il tranchait par sa sincérité sur la valetaille de lettres, et c’est sans doute parce qu’il ne pouvait s’adapter à nos mœurs d’arrivistes qu’il a prématurément disparu de ce monde. Artiste et savant à la fois, aimant la clarté et la limpidité, plein d’espoir dans le règne de la justice, pacifiste, convaincu et parfait honnête homme, ne faisant pas de politique, Fernand Mysor laisse une œuvre qu’on ne saurait négliger. La place qu’il occupe dans les lettres contemporaines est fort enviable. Cependant, il n’a pas eu la place qu’il méritait : elle eût été très haute, dans une société moins terre-à-terre.

L’auteur de ce chef-d’œuvre, La Ville assassinée, roman d’anticipations, se complaisait dans les sujets inactuels. Chacun de ses livres est solidement construit : le fond et la forme s’y marient harmonieusement, faisant sur le lecteur une impression profonde. Il faut relire les Poèmes de la Belle Étreinte, l’Absent, pièce en trois actes, le Cœur blessé, contes, la Négresse dans la piscine, Par T. S. F., Spasmes, romans. Ces œuvres ne laissent après leur lecture aucun vide dans l’esprit, et celui qui les a comprises se sent comme régénéré et meilleur. Semer des idées en un langage harmonieux, tel est le but que se proposait Fernand Mysor dans ses ouvrages.

Ce but, il l’a pleinement atteint avec ses romans de préhistoire. Marchant sur les traces de J.-H. Rosny aîné, le créateur du genre, il est resté, après lui, original et personnel. On peut dire qu’il était, avec l’auteur de Vamireh, le meilleur représentant du roman de préhistoire, évocateur des âges disparus.

Les Semeurs d’Épouvante nous ramènent à l’époque des grands sauriens, en cette période secondaire pendant laquelle le globe terrestre subit d’importantes transformations. L’homme n’existait pas encore, mais tout l’annonçait et le préparait. L’auteur l’a cependant placé au centre de son livre, afin de nous montrer combien l’espèce humaine eut à lutter pour arriver à dominer la nature et à prendre sa place parmi les êtres. Il suppose que son héros a fait un rêve qui le jette dans un monde chaotique, plein d’épouvante et d’embûches. Occasion pour Fernand Mysor de louer l’effort humain et de nous faire assister à la naissance de la civilisation.

Nous errons avec son héros en des paysages magnifiques, nous luttons avec lui, nous souffrons, nous créons. Les épisodes d’un tel livre, essentiellement dramatique, hantent longtemps notre esprit. Chaque page nous fait faire un pas en avant dans le domaine de l’imprévu et de l’inexploré. C’est une œuvre maîtresse qui nous fait penser et nous pousse à agir. Elle est pleine de beauté et de sentiment.

Avec Va’hour l’Illuminé, nous pénétrons au cœur même de la Préhistoire. L’auteur nous transporte dans le monde des chasseurs magdaléniens, artisans et artistes qui vivaient environ 20.000 ans avant notre ère. Le milieu est admirablement reconstitué. Les personnages vivent d’une vie intense. Les hommes qui habitaient les bords de la Vézère n’étaient point des « sauvages. » C’étaient, pour leur époque, des surhommes. L’un d’eux, Va’hour, incarne la civilisation du paléolithique supérieur. Il est l’animateur de sa tribu, le constructeur dont le regard scrute l’avenir et dont le cerveau pense plus loin que ceux qui l’entourent. Il guide ses frères vers un idéal de justice et d’harmonie ; il leur révèle le sens de la vie et la raison d’être de leur existence. Il est d’autres peuplades moins évoluées qui ne pratiquent pas la même religion d’amour et de fraternité. Va’hour parvient à en faire des êtres civilisés, des hommes vraiment nouveaux. Va’hour, le Héros de la Paix, l’apôtre de la fraternité humaine met en pratique, bien avant le Christ, la formule salvatrice : « Aimez-vous les uns les autres. »

Je ne puis donner ici qu’une très brève esquisse de ce livre qui abonde en paysages pittoresques, en situations tragiques, en nobles caractères d’hommes et de femmes, et qui n’est pas seulement un beau livre, mais encore un bon livre. Va’hour l’Illuminé est une œuvre maîtresse qui restera et finira par s’imposer lorsque la vague de bluff qui sévit présentement dans le monde des lettres aura rejoint le néant.
 
 

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(Gérard de Lacaze-Duthiers, in L’Esprit français, troisième année, nouvelle série, n° 61, 10 juillet 1931 ; illustration de Rod Ruth)