RÉSUMÉ DES CHAPITRES PRÉCÉDENTS

 

Le narrateur s’est lancé dans l’exploration de la mystérieuse maison aux 30 portes où demeure un certain professeur Gaultier qui a réussi à entrer en contact avec des univers inconnus co-existant dans l’espace. Les héros de l’histoire ont ouvert la 6e porte et ont pénétré dans une forêt à la végétation inconnue. Là, une étrange population d’hommes de verre était terrorisée par le professeur Gaultier. Celui-ci est capturé par les héros de l’histoire, mais il parvient à leur échapper. Il est tué, et les héros de l’histoire restent prisonniers au pays de la 4e dimension. Ils se lancent dans l’exploration du pays des hommes de verre. Ils finissent par découvrir les ruines d’un étrange chemin de fer électro-magnétique qui semblent les vestiges d’une civilisation disparue.
 

–––––

 
 

Nous nous étions arrêtés, saisis d’une émotion indescriptible. Le spectacle était splendide. Mais une étrange impression de détresse semblait peser sur ce décor magnifique. Au bout d’un moment, Loya murmura : « Mais il n’y a personne ! »

C’était vrai. Ces rues, que l’on se fût attendu à voir pleines d’une joyeuse animation, ces larges boulevards, qu’eussent dû parcourir d’innombrables véhicules, étaient déserts. Et, petit à petit, dans la richesse des bâtiments et la luxuriance des jardins, l’œil découvrait d’étranges taches. C’était ici une passerelle effondrée, là une façade éventrée comme un ventre ouvert, un amas de débris en travers d’une avenue, une liane enroulée autour d’un obélisque mince comme un jet d’eau… Les anneaux du train magnétique, descendant le long de la paroi rocheuse verticale, aboutissaient à ce qui avait dû être un immense hall de marbre blanc et qui paraissait avoir été soufflé par une explosion prodigieuse. Au sommet d’une tour, d’une hampe brisée pendait un lambeau d’étoffe qui avait dû être un oriflamme. Je regardai Loya. Ses lèvres étaient blanches et elle tremblait comme une feuille.

« N’aie pas peur… dis-je. S’il n’y a personne, tant mieux ; nous risquerons moins d’être mal reçus !

– Mais les feux dans le ciel, hier soir ?

– Bah ! nous allons voir. Il y a sûrement une explication. Allons, en avant ! »

De l’ouverture de la faille, une route descendait vers l’avenue centrale de la ville : allée dallée de pierres vertes aux reflets d’opale. De chaque côté, la végétation était sauvage : un jardin à la française livré à la jungle. Au bout de 500 mètres, un arc de triomphe d’un style très sobre et très pur marquait l’entrée de la ville. Dans un bassin envahi par les roseaux, un couple de daims buvait. À notre présence, ils levèrent la tête, mais ne s’enfuirent pas. Je pensai qu’ils n’avaient jamais vu d’hommes.

« Vois, » me souffla Loya.

Sur le trottoir, une vue macabre s’offrait ; près d’un squelette dont presque tous les os étaient broyés, un appareil bizarre, rouillé, gisait.

« Un robot ! » dis-je.

C’était bien un robot, cette machine étrange, vaguement semblable à un homme vêtu d’acier, mais inhumain pourtant avec ses membres, tiges de métal terminées par des pinces.

« Laissons ça ! »

Nous allions entre les bâtiments blancs, garnis de fleurs extraordinairement belles, et nous devions être nous-mêmes un curieux spectacle, la fille des hommes de verre et moi, avec notre accoutrement sauvage, le sac de tissu grossier sur le dos, le couteau de chasse glissé dans la corde tenant lieu de ceinture et le grand arc passé en bandoulière, avançant dans cette ville morte, incroyablement moderne d’aspect, et si terrible avec son silence et son atmosphère immobile ! Rien ne bougeait, et pourtant tout semblait froid et menaçant. Un chat sauvage, à un moment, bondit en travers de l’avenue, sortant d’un building effondré, et plongea dans les buissons du parc opposé.

De-ci, de-là, nous apercevions un squelette, et toujours les os broyés semblaient avoir été écrasés par quelque brute sadique. Nous n’osions entrer dans ces bâtiments magnifiques, aux baies immenses dont, je le remarquai, aucun carreau n’était cassé. Ce n’était certainement pas du verre, cette matière qui avait résisté là où la pierre et l’acier avaient failli !

Les rues se coupaient en angle droit, chaque croisement garni d’un petit square, d’une statue, d’une fontaine… Une nouvelle surprise m’arrêta un moment. Près d’un palais à la longue façade blanche aérodynamique comme une belle voiture, c’était un tank, un véritable tank, immobile au milieu de la chaussée, rongé par la rouille. Plusieurs squelettes l’environnaient. Je me mordis la lèvre.

« Cette belle civilisation semble avoir eu une fin tragique ! Vois-tu, Loya, où peut mener la connaissance mal dirigée… »

Elle me regarda avec un sourire interrogateur. Elle ne comprenait pas très bien. Plus nous approchions du centre de la ville, plus les robots démolis abondaient, encombraient la chaussée. Nous trouvâmes encore deux tanks rouillés et nombre de petites voitures à deux roues couchées sur le côté.

L’avenue aboutissait à une place immense, un parc sauvage encadrant un palais superbe, des encorbellements de fleurs, des loggias où la volute des glycines jaunes se mariait à de lourdes grappes d’étamines ovales.

Un escalier monumental menait à une porte ouverte sur un hall plein d’ombre. J’avais instinctivement saisi mon couteau. Nous gravîmes les degrés, le cœur battant, passâmes la voûte de pierre blanche. Le hall semblait une foire à la ferraille. Plus de cent robots de tailles et de formes différentes gisaient çà et là, dans un fouillis de pièces métalliques, de rouages, le tout rongé d’une rouille si intense qu’elle avait attaqué jusqu’aux dalles de malachite noire qui couvraient le sol.

Nous regardions ce spectacle avec une égale surprise. Le hall était magnifique, éclairé par d’immenses vitraux aux couleurs harmonieuses, garni de statues dignes des plus belles périodes de la Grèce antique. Et là-dedans, ces débris…

Face à la porte d’entrée, une autre porte, fermée celle-là. Nous nous approchâmes, enjambant les robots détruits. Et, à trois mètres de la porte, nous fîmes ensemble un bond en arrière.

Silencieusement, les deux vantaux s’étaient mis en mouvement. Répondant à notre recul, du même glissement silencieux, les portes se refermèrent. Je compris.

« Cellule photo-électrique, m’exclamai-je. Ne t’effraye pas, Loya… Ce n’est pas un fantôme qui se cache ici. Vois ! »

À nouveau, je m’approchai, et la porte à nouveau s’ouvrit. Derrière commençait un escalier en colimaçon et une cage d’ascenseur dans laquelle la cabine gisait, écrasée au fond du puits, les câbles sectionnés. Là encore, les débris de robots étaient nombreux.
 

(À suivre)

 
 

–––––

 
 

(H. Bourdens, in Le Petit Marocain, trente-septième année, n° 10130, jeudi 3 février 1949 ; ce très curieux roman « fantastique, » sur le thème des autres dimensions, n’a jamais été publié en volume ; il est précédemment paru dans L’Avant-Garde, organe central de la Fédération des jeunesses communistes de France, à partir de septembre 1946)

 
 
 

 

–––––

 
 

(in Ce Soir, grand quotidien d’information indépendant, dixième année, n° 1549, vendredi 6 septembre 1946)