Hélas, Messire Apollo n’y pénétra jamais.

     Il aurait trop peur de s’y compromettre.

   De s’y commettre avec une foule de choses immondes, de murs qui pourrissent, de guêpes qui bourdonnent, de reptiles qui grouillent, de saumures vieillies qui croupissent.

     Quelle magnifique ironie !

     La rue du Soleil.

     Par cette voie sans lumière et sans pavé, il semble qu’on descende tout droit au logis de Monseigneur Satanas.

    Et cependant, il fut autrefois, il y a deux mille ans peut-être, il fut un ravin fleuri, parfumé, tout illuminé de rayons, tout paré d’aurore et de rosée, tout fréquenté par les petits oiseaux, à la place de ce trou infect.

    Que de fois, la fillette alla s’y parer de reines-marguerites !

    S’y mirer dans le cristal, dormant au fond, encadré par la verdure soyeuse !

    À cette heure des fromages, et dans chacun l’ermite de La Fontaine, des poissons dont les nageoires d’or et la cuirasse d’azur se sont flétries sous le sel rongeur et l’humidité malsaine des souterrains.

   À cette heure de pauvres femmes chétives cachées dans les greniers, des portefaix blêmes qui vont quérir les choses infectes au fond de ces docks noirs.

   De ces docks noirs qui s’étendent sous le sol.

   Ô pauvre rue du Soleil !

   Quand donc Phœbus Apollo voudra-t-il jeter un regard de compassion sur la voie dont il est le parrain, mais qu’il n’a jamais vue !

   Un seul regard du blond frère de Diane la béatifierait.

   Mais jamais !

   La rue du Soleil sera toujours le sentier sombre dont le piéton joyeux se détourne, que le voyageur ne veut pas savoir.

   Peut-être au moins que la lune ou l’étoile ont visité parfois la rue délaissée par son patron !

    Non, jamais la lune n’a tremblé, la rêveuse, la pensive, sur cette voie ; jamais l’étoile n’y a glissé un de ses rayons caressants.

   À l’horreur, aux ténèbres de la rue du Soleil, pas même un doux reflet de mélancolie.

   C’est une tristesse morne, sans parfum, qui serre le cœur.

   Dans les rues solitaires poussent quelquefois, entre les cailloux, de petites fleurs, de l’herbe.

   Mais non dans la rue du Soleil.

   Toute végétation gracieuse est étouffée par les âcres senteurs, toute sève et toute onde bienfaisante aspirée par les caves putrides.

   J’aime tant l’herbe dans les rues, et elle me console si bien des luxes insolents et des tumultes ricaneurs !

     Aux palais même, Dieu jette parfois cette fraîche ironie.

    Eh bien ! dans la rue du Soleil, pas moyen de retrouver ce qui pare souvent les splendides carrefours, malgré les proscriptions de l’édilité et la faucille des constables.

    La rue du Soleil ne veut ni rayons, ni verdures, ni bouffées d’air à pleins poumons.

   Et cependant, elle veut quelquefois peut-être la chansonnette argentine de la fillette au cinquième étage.

          Juin 1861.

 

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(Paul-Ernest de Rattier, Chants prosaïques, Paris : E. Dentu, 1861)