ALICE1

Le syndrome d’Alice au pays des Merveilles se traduit par des hallucinations responsables de microsomatognosie (sensation, par exemple, que la tête a une taille d’épingle) ou de macrosomatognosie (sensation d’allongement inconsidéré d’un membre). Ces illusions de déformations corporelles sont parfois décrites par les patients comme similaires à celles perçues dans un miroir déformant. Certains vont même jusqu’à se peser pour vérifier leur poids, tant les illusions semblent authentiques.

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Ce syndrome a été décrit pour la première fois en 1952 par Lippman, au sujet de patients migraineux présentant ces auras avec modification soudaine du volume, de la forme ou de la taille d’une partie du corps. Il conclut en faisant référence à Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des Merveilles, lui-même migraineux.

La physiopathologie des troubles est la suivante :

– avant l’apparition des céphalées causées par une dilatation intense des vaisseaux intracérébraux, survient une vasoconstruction responsable d’une ischémie (souffrance) de certaines régions cérébrales témoignant de l’aura.

– lorsqu’il s’agit de la partie postérieure du lobe pariétal droit, l’aura se traduit par une modification de la représentation du corps dans l’espace.

Le même phénomène a pu être décrit, lors de crises d’épilepsie pariétale postérieure. Ainsi, en stimulant le cortex pariétal postérieur de certains sujets, Bolléa a remarqué des perturbations de l’image corporelle : rétrécissement, allongement et parfois même disparition d’un ou de plusieurs membres.

Les drogues hallucinogènes (LSD et mescaline), la schizophrénie, les hallucinations hypnagogiques (au moment de la transition veille-sommeil) et les meningo-encéphalites peuvent être responsables de la même symptomatologie.

En 1955, Todd propose de regrouper ces symptômes sous le nom de syndrome d’Alice au pays des Merveilles.

En effet, dans son rêve, Alice devient tour à tour minuscule puis gigantesque. Par ailleurs, elle est témoin de phénomènes très étranges :

– dédoublement de corps et d’identité,

– sensation de flottement du corps dans l’espace,

– diminution ou exagération inconsidérée d’un ou plusieurs segments corporels…

Après avoir décrit plusieurs cas cliniques, Todd termine son article en soulignant que Lewis Carroll devait bien connaître ces phénomènes, tant les descriptions des hallucinations dans Alice au pays des merveilles sont scrupuleuses et exactes.

Cependant, après lui, de nombreux auteurs se sont succédé pour réfuter cette hypothèse jugée trop réductrice.

En 1998, dans le Lancet, Blau parle de « neuromythologie. » Selon lui, Lewis Carroll rapporte bien une description typique de migraine ophtalmique, mais en 1885 (soit 20 ans après la publication d’Alice).

« Au matin, j’eus pour la deuxième fois des visions étranges, à type de fortification, suivies d’intenses maux de tête. »

Rien ne permettait donc d’affirmer que Lewis Carroll souffrait de migraine en 1860, jusqu’à ce que Podoll et Al. retrouvent un dessin de l’écrivain réalisé avant 1862, représentant un personnage à l’hémiface et à la main gauche tronquée suggérant une vision typique de scotome négatif migraineux.

Les auteurs ont par ailleurs découvert une note dans le journal de Lewis Carroll rendant compte d’une consultation chez un célèbre ophtalmologiste de l’époque dans le but de mettre fin à ces visions étranges et si particulières.

Jean-François CHERMANN, mai 1999