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Une découverte d’une grande importance scientifique vient d’être faite sur le territoire de Culmont (Haute-Marne).

Des ouvriers mineurs, occupés au percement du souterrain sous lequel doivent se réunir les chemins de fer de Saint-Dizier à Lancy, venaient d’abattre, à l’aide d’une mine, un énorme bloc de rocher qu’il étaient en train de débiter, lorsque, d’une cavité ouverte par les coups de l’un d’eux, ils virent s’échapper un être vivant de forme monstrueuse.

Cet animal, qui appartient à la classe des reptiles et à un genre considéré jusqu’à présent comme perdu, a le cou très long, le museau allongé et armé de dents aiguës ; il est porté sur quatre hautes jambes reliées entre elles par deux membranes propres sans doute à soutenir l’animal en l’air, et armées de quatre doigts de forte dimension, terminés par des ongles longs et crochus.

Sa forme générale se rapproche de celle d’une chauve-souris, dont il diffère surtout par la taille, qui est celle d’une grosse oie. Ses ailes membraneuses déployées portent 3 mètres 22 centimètres d’envergure. Sa couleur est d’un noir livide ; sa peau est nue, épaisse et huileuse. Ses intestins ne contenaient qu’un liquide incolore, ressemblant à de l’eau claire.

À peine exposée à la lumière, la bête monstrueuse donna quelques légers signes de vie en agitant faiblement ses ailes, et ne tarda pas à expirer, en poussant un cri rauque, sous les yeux des ouvriers effrayés.

 

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Cette étrange créature, à laquelle on peut donner le nom de fossile vivant, a été apportée à Gray. Un naturaliste de cette ville, très versé dans l’étude de la paléontologie, l’a immédiatement reconnue pour appartenir à l’espèce Pterodactylus anas, qui a laissé de nombreux débris fossiles dans les couches que les géologues ont désignées sous le nom de Lias.

Il est à remarquer que la roche dans laquelle le monstre a été découvert appartient précisément à cette formation, dont le dépôt est tellement ancien que les géologues en font remonter la date à plus d’un million d’années.

La cavité dans laquelle l’animal était logé représente avec la plus grande exactitude le moule en creux de son corps ; tout indique qu’il a été enveloppé du dépôt sédimentaire. Quant à sa conservation à l’état vivant, c’est un phénomène physiologique qui ne manquera pas de soulever bien des discussions.

 

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 (in Journal de Toulouse, deuxième année, n° 42, lundi 11 février 1856)

 

 

 

L’article, initialement paru dans La Presse grayloise, le samedi 12 janvier 1856, sera également repris, avec des réserves sur son authenticité, dans les « nouvelles et mélanges » des Annales de philosophie chrétienne, tome  72 ; il apparaîtra même dans une note des Légendes de l’Ancien Testament de Collin de Plancy. Il s’agissait bien entendu d’un canular, comme en témoigne le nom de ce fossile vivant, Pterodactylus anas [canard en latin].

L’article connaîtra une traduction anglaise, accompagnée d’une mention pleine de discernement, le lundi 4 février 1856 dans The Morning Chronicle ; nous le reproduisons ci-dessous. Il sera repris le 9 février dans The Illustrated London News, sans la mention finale du canular ; ce sera la naissance d’une légende qui fait aujourd’hui encore les délices des cryptozoologues en herbe et des créationnistes…

 

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VERY LIKE A WHALE

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 The Presse Grayloise relates the following story: – « A discovery of great scientific importance has just been made at Culmont (Haute-Marne). Some men employed in cutting a tunnel which is to unite the St Dizier and Nancy [sic] railways, had just thrown down an enormous block of stone by means of gunpowder, and were in the act of breaking it to pieces, when from a cavity in it they suddenly saw emerge a living being of monstrous form. This creature, which belongs to the class of animals hitherto considered to be extinct, has a very long neck and a mouth filled with sharp teeth. It stands on four long legs, which are united together by two membranes, doubtless intended to support the animal in the air, and are armed with four claws terminated by long and crooked talons.

Its general form resembles that of a bat, differing only in its size, which is that of a large goose. Its membranous wings, when spread out, measure from tip to tip 3 meters, 22 centimeters (nearly 10 feet), thick and oily; its intestines only contained a coulourless liquid like clear water. On reaching the light the monster gave some signs of life, by shaking its wings, but soon after expired, uttering a hoarse cry. This strange creature, to which can be given the name of living fossil, has been brought to Gray, where a naturalist, well-versed in the study of paleontology, immediately recognized it as belonging to the genus Pterodactylus anas, many fossil remains of which have been found among the strata which geologists have designated by the name of Lias. The rock in which this monster was discovered belongs precisely to that formation, the deposit of which is so old that geologists date it more than a million years back. The cavity in which the animal was lodged forms an exact hollow mould of its body, which indicates that was completely enveloped with the sedimentary deposit. » Of whatever genus the above animal may be, the whole story bears a strong indication of belonging to the genus Canard, as indeed is estimated by the Latin name assigned to the animal.

 

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