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LA PLANÈTE MARS

 
 

Ce que nous voyons de la planète Mars. – Les canaux de Mars. –  Récit d’un voyage sur cette planète. – Mœurs étranges des habitants de Mars. – Conclusion.

 
 

L’ambition de la science humaine n’a pas de bornes ; chaque découverte nouvelle en provoque une autre. Parmi les champs d’investigation qui semblent plus ou moins à notre portée, l’astronomie s’offre, inépuisable, à la convoitise du savant que la difficulté de l’exploration ne saurait rebuter.

Malheureusement, comme le dit Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des Mondes : « Toute la philosophie n’est fondée que sur doux choses : sur ce qu’on a l’esprit curieux et les yeux mauvais. »

Imagination qui nous trompe, insuffisance des moyens d’investigation : voilà, jusqu’à présent, les deux obstacles à rétablissement d’une certitude. Et, pour l’affirmer, cette certitude, pour en donner la preuve irréfutable, que d’intelligences ont sombré dans l’excès même du travail ou dans la constatation décourageante du néant auquel leurs efforts aboutissaient !

Parmi les mondes relativement voisins du notre, la planète Mars a particulièrement excité l’intérêt des hommes de science. Des deux planètes Vénus et Mars, entre lesquelles la Terre tourne autour du Soleil, Mars est, en effet, celle que nous apercevons avec le plus de régularité. Vénus a des alternatives d’éclat et d’obscurcissement ; elle disparaît même à nos yeux pendant trois semaines au mois de septembre. Mars, au contraire, ne cesse de briller et d’attirer nos regards par sa lueur rougeâtre.

Sans prétendre énumérer tous les travaux astronomiques dont la planète Mars a été l’objet au travers des siècles, disons tout de suite qu’en 1877, les astronomes Schiaparelli et Hall firent chacun une découverte des plus intéressantes.

Hall constata l’existence de deux satellites de Mars.

Schiaparelli, à la suite de plusieurs observations dont le retentissement fut universel, put établir que la surface du globe martien présentait des parties différentes entre elles et analogues à nos mers et à nos continents. Bien plus, l’analyse par le spectroscope permit de reconnaître que Mars était enveloppé d’une atmosphère dans laquelle la vapeur d’eau tenait une large place. Ce fait expliquait d’ailleurs les taches brillantes que l’on avait aperçues aux deux pôles de la planète. On pouvait dès lors conclure, sans trop s’aventurer, que ces taches n’étaient autres que des masses de neige et de glace, d’autant plus que, suivant l’approche des saisons correspondant à notre été et à notre hiver, ces masses disparaissaient ou se reformaient.
 
 

Les canaux de Mars

 
 

Mais la découverte la plus curieuse de Schiaparelli a trait à ces lignes droites, souvent perpendiculaires entre elles, et que les télescopes accusaient d’une façon très nette sur la partie éclairée de la planète. La présence de ces « canaux » – puisque c’est ainsi qu’on les a appelés dès le premier jour – déroutait l’imagination, ou plutôt la lançait sur des pistes invraisemblables.

Nous ne rappellerons pas que cette question des « canaux de Mars » fit couler des flots d’encre, que certains en conclurent l’existence d’habitants doués des mêmes notions géométriques que nous, qu’ils allaient jusqu’à soulever le problème d’une communication écrite d’astre à astre, prétendant que les Martiens nous faisaient signe à travers l’immensité !

Sur cette pente, on pouvait aller très loin.

Il n’en est pas moins vrai que l’astronome Schiaparelli reprit, dans la suite, la série de ses observations sur les canaux de Mars et qu’il constata, au bout de quelque temps, que ces canaux étaient doublés presque tous dans le même sens. Les lignes jumelles semblaient relier entre eux de vastes espaces, comme si une intelligence avait voulu, pour remédier à la sécheresse d’une saison, irriguer des continents séparés les uns des autres par des déserts.

Le savant anglais Lane, craignant de se suggestionner lui-même et de voir, dans son télescope braqué sur Mars, ce qu’il savait devoir y trouver d’après les découvertes précédentes, renouvela l’observation d’une façon originale. Une personne qui n’avait aucune notion astronomique fut amenée devant l’instrument et priée de reproduire graphiquement ce qu’elle apercevait. Le dessin fut probant : les continents étaient indiqués et les canaux très nettement tracés.
 
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En complément des travaux de Lane, M. E.-W. Maunder, de l’observatoire de Greenwich, tenta une autre épreuve au Collège-Hôpital Royal de Greenwich. Il présenta à des enfants des dessins de la planète Mars, telle que les télescopes la laissent voir, et, suivant, la place qu’ils occupaient dans la salle de cours, ces enfants reproduisirent de façons différentes ce qu’ils voyaient.

Le plus grand nombre de ceux qui n’étaient ni trop près, ni loin, indiquèrent les fameux canaux, tels que Schiaparelli les avait reconnus.

Ces faits ne prouvent, certainement, pas grand-chose.

On en peut déduire, cependant, que les habitants de la Terre sont d’accord entre eux pour apercevoir à la surface de Mars les mêmes accidents. Aux savants de conclure. Mais c’est là qu’est la difficulté !… Les uns sont affirmatifs ; les autres disent que l’apparition de ces canaux est due à des effets lumineux, à une illusion d’optique, etc. Et, depuis Schiaparelli, la question ne paraît pas avoir fait de progrès au point de vue astronomique.
 
 

Le problème de la pluralité des mondes

 
 

Nous en restons au problème inquiétant qui se dresse devant nous, dès que nous jetons les yeux plus haut et plus loin que notre petite sphère. Ces mondes qui brillent dans les belles nuits sont-ils habités ? Quels sont les êtres qui vivent sur ces planètes ? Pourrons-nous jamais correspondre avec eux ? Saurons-nous quelque chose sur ces atomes animés, frères de ceux dont nous sommes faits nous-mêmes ?

Si l’astronomie ne paraît pas être encore en état de résoudre la question, les sciences psychiques ont essayé d’y répondre. Beaucoup se refusent de parti pris à prendre au sérieux les efforts de ceux qui cherchent courageusement à établir pour ce genre d’études des bases rigoureuses et solides. Et cependant, il existe une différence indéniable entre le somnambulisme des foires, le médium des casinos, et le savant qui se risque à l’examen effrayant de ces problèmes. Nous sommes, à l’égard de cette science naissante, à peu près dans les mêmes conditions qu’un homme du XIIIe ou du XIVe siècle à qui on aurait parlé de téléphone, de télégraphie avec ou sans fil, de lumière électrique, de rayons X, de navigation sous-marine ou de Santos-Dumont n° 9 !

Les rêves, les pressentiments, la télépathie, les phénomènes nerveux qui donnent lieu à tant de faits extraordinaires et inexpliqués, la suggestion, l’auto-suggestion, le dédoublement de la personnalité : autant de manifestations de forces inconnues, et d’autant plus inquiétantes qu’elles sont en nous.

Qu’en sortira-t-il lorsqu’on les connaîtra mieux ? À quoi aboutirons-nous lorsque nous les aurons asservies, domestiquées, peut-être, comme l’électricité ? Voilà le problème. En attendant, qu’il ait été résolu, ne nous entêtons pas dans une négation irraisonnée. Profitons pour éclairer notre opinion de ce que les expériences continuelles nous enseignent. Les cerveaux qui se livrent à ce genre de travaux sont dignes de notre admiration.

Si invraisemblable que cette assertion puisse paraître, il y a des êtres humains qui sont allés dans la planète Mars, qui y ont séjourné, et, – chose plus extraordinaire encore, – qui en sont revenus.

Il est certain que ce genre d’excursion n’est pas à la portée de tout le monde. Un voyage pareil nécessite un entraînement spécial et ceux qui le tentent ont des ambitions peu communes.

D’ailleurs, tous ne réussissent pas dans leur entreprise. Témoin ce malheureux jeune homme dont nous avons tous lu la mort, dans les journaux, il y a quelques jours.

Persuadé du « dédoublement possible du moi, » il avait, espéré, au cours d’un long sommeil provoqué artificiellement, et par la force de sa propre volonté tendue vers ce but, arracher son moi « astral » (c’est le terme) à l’enveloppe corporelle qui serait demeurée endormie, et, pendant ce temps, vagabonder dans l’espace, jusque dans les mondes inconnus. Le pauvre garçon mourut, quelques heures après le début de l’expérience, asphyxié par la violence du narcotique employé.
 
 

Par l’extériorisation

 
 

Un étranger, M. Blackwood, dont l’heureux essai a certainement influencé la victime que nous venons de citer, a réussi, il y a six mois environ, à s’extérioriser et à nous donner des détails extraordinaires sur un voyage « astral » qu’il effectua dans la planète Mars. Nous avons pu nous procurer quelques passages de la relation écrite qu’il a faite de son excursion fantastique.
 

« Entraîné par les études auxquelles je m’étais livré, j’avais mûri, en secret de ma famille, un projet de tenter sur moi-même une expérience décisive, propre à convaincre le monde savant… Les descriptions que miss Smith a faites de ses séjours répétés dans la planète Mars excitaient au plus haut point ma curiosité.

J’avais la hantise obsédante (tormenting obsession) de ce monde entrevu dans ses récits. Les assertions de M. V. A. Sardou. académicien français, m’étaient une nouvelle preuve de l’intérêt que pouvait avoir pour la science la réussite de ma tentative.

Les documents qu’il a reproduits sur Jupiter me paraissaient aussi indiscutables que des photographies. Je voulais voir moi aussi ! Je voulais être à même de dévoiler un jour mes souvenirs de la planète que j’aurais visitée.

… Mon état de santé s’étant considérablement amélioré, je résolus, pendant l’absence de mes parents, de m’affranchir des liens terrestre qui m’étouffaient… »
 

(Suit une description détaillée de l’appareil inventé par l’auteur de ce récit.

Cet appareil avait pour but de l’immobiliser sur le lit où il s’était couché, et cela, malgré les efforts instinctifs qui auraient pu se produire.

En même temps, il était construit de telle sorte que le patient respirait automatiquement un gaz spécial, par inhalations régulières et calculées au point de vue physiologique. Des aliments, en quantités infinitésimales, mais suffisantes pour entretenir la vie dans le corps abandonné par son propriétaire, arrivaient au fond de la bouche, grâce à une disposition spéciale…)
 

« Tout était préparé ; j’emmagasinai dans mon appareil les quantités de gaz et de nourriture nécessaires à ma vie, durant ce laps de temps. Puis, confiant en ma volonté de réussir, et tendant tous les ressorts intimes de mon « moi » vers cette pensée : quitter la terre, m’élever jusqu’à Mars, je m’étendis sur le lit… »
 
 

Sur la planète Mars

 
 

« Après avoir flotté pendant un espace de temps qui me parut incommensurable, je sentis que je m’élevais moins vite et bientôt j’eus l’impression de prendre pied sur un sol inconnu.

Mes yeux qui, depuis mon départ de la Terre, n’avaient éprouvé aucune influence lumineuse, commencèrent à voir. Et ce que je voyais était merveilleux ! À travers une buée rose, j’apercevais un paysage superbe, des champs immenses de tous les rouges imaginables, depuis le rouge-cerise, jusqu’au carmin foncé de certaines de nos roses ; des arbres gigantesques aux larges feuilles rouges elles aussi ; des ondulations de terrain, baignées de la même lumière vermeille. En avançant le long d’une route qui s’ouvrait devant moi, je parvins en vue d’un amas de constructions bizarres, – une ville sans doute, – comme je n’en avais jamais rencontrées. Des tours de toutes les formes dominaient dans cette architecture. Elles étaient reliées entre elles par des maçonneries épaisses recouvertes d’une végétation luxuriante, également rouge. Les matériaux employés semblaient être des marbres de toutes les couleurs, parmi lesquelles le brun dominait.
 
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Cette ville paraissait immense et j’avais l’impression d’un parc, au milieu duquel émergeaient les toitures d’un vaste palais. Une particularité m’étonnait : aucun bruit ne se faisait entendre aux environs de cette ville.

J’en eus l’explication lorsque, pénétrant dans une de ces demeures, je vis que les Martiens avaient à leur disposition, pour tous les besoins de leur existence, des serviteurs qui ne ressemblaient guère aux nôtres.

Figurez-vous un animal de la taille d’un gros chien avec une tête de chat munie d’un œil unique et de tentacules mobiles, dont ces êtres se servent adroitement, comme de doigts, un corps recouvert de poil d’un rose sale, allongé comme celui d’un poisson et se terminant par une queue arrondie.

Ces animaux, doux et dociles, volent comme s’ils avaient des ailes : attentifs aux signes de leurs maîtres, ils vont et viennent dans le plus profond silence… »
 

La relation du voyage de ce touriste extraterrestre contient des détails très curieux sur les moeurs des Martiens.

Ces hommes planétaires sembleraient avoir la même apparence corporelle que nous. Chez eux, la pesanteur n’est pas régie par les mêmes lois que sur terre.

Le poids d’un objet dépend de sa forme plutôt que de sa densité. L’éclairage est obtenu par des appareils composés de globes lumineux placés les uns sur les autres. Les animaux « serviteurs » décrits plus haut promènent ces lampes d’un nouveau genre, suivant les besoins de leur maître.

L’allaitement des enfants s’opère de la façon suivante : des animaux bizarres, rappelant le phoque et l’otarie, tiennent lieu de vaches laitières.

Leurs mamelles sont adaptées à une sorte de boîte reliée à la bouche des enfants par un tuyau… Les voitures ont de vagues ressemblances avec nos automobiles : pas de chevaux, pas de fumée, et un dégagement d’étincelles aveuglantes. La locomotion aérienne existerait sur Mars – les habitants peuvent s’élever dans l’air, à l’aide de ballons rectangulaires qu’ils dirigent à leur gré. Pour se dire bonjour, on s’aplatit à terre en glissant, ou bien lorsqu’on est intime on se chatouille le visage de petites chiquenaudes d’amitié.

Les plats dans lesquels on sert les aliments sont carrés ; les couteaux, les fourchettes n’ont pas de manches ; on se nourrit de pâtes blanches et roses présentées au milieu de fleurs étranges.

Toutes les habitations sont entourées de lacs qui, reflétant un paysage et des constructions rougeâtres, ont l’aspect fantastique de mares sanglantes.

Naturellement, notre voyageur ne comprit pas un seul mot de la langue qu’il entendait parler autour de lui, moins avancé en cela que miss Smith qui, d’après le savant ouvrage de M. Flournoy de Genève, avait composé une grammaire martienne.

Pour compléter les extraits que nous avons empruntés au récit de ce voyage unique, disons qu’un habitant de Mars, sans doute au courant de semblables expériences, endormit le Terrien par les procédés employés chez nous sur les médiums.

Le retour s’opéra donc dans les mêmes conditions que l’aller, avec sensation de ballottement, de flottement à travers l’espace, et le patient se réveilla sur son lit, la dualité de son individu s’étant reconstituée d’elle-même.
 
 

Conclusion

 
 

Ce récit, nous en sommes persuadé, laissera beaucoup de nos lecteurs intimement sceptiques ; nous n’avons pas la prétention de discuter une question aussi troublante.

Le plus sage est peut-être de ne pas rejeter, à priori, ces vagues renseignements sur un monde inconnu, et d’attendre que d’autres y soient allés et nous documentent d’une façon plus précise.

Aussi, après avoir exposé tout ce que l’homme sait actuellement sur la planète Mars, dans le domaine purement scientifique, avec les astronomes, et dans cet autre domaine beaucoup moins fréquenté des psycho-spirites, resterons-nous indécis, en présence des télescopes encore insuffisants et du mystère de notre imagination.

Décidément, Fontenelle a raison : « Toute la philosophie – (et nous pourrions en dire autant de la science) – n’est fondée que sur deux choses : sur ce qu’on a l’esprit curieux et les yeux mauvais. »
 
 

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( in L’Universel, magazine hebdomadaire illustré, n° 49, 30 septembre 1903)