CHANTSIRENES2
 
 

MÉLANGES D’HISTOIRE NATURELLE ET ARTIFICIELLE

 

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Presque tous les naturalistes modernes ont nié l’existence des sirènes. Ils ont regardé ces animaux, ainsi que les tritons (mâles des sirènes) comme des inventions de la fable. La lettre suivante, datée du Cap, le 26 avril dernier, et écrite par Mr Philip, représentant de la société missionnaire de Londres au cap de Bonne-Espérance, remettra peut-être ce point d’histoire naturelle en discussion.

« J’ai vu aujourd’hui, écrit Mr Philip, une sirène qu’on montre dans cette ville. J’ai toujours regardé l’existence de cette créature comme fabuleuse ; mais mon incrédulité a cessé. Comme il est probable qu’aucune description de cette étrange créature n’est encore parvenue en Angleterre, les particularités suivantes pourront plaire à votre curiosité et vous amuser :

La tête est grosse à peu près comme celle d’un babouin. Elle est couverte de longs cheveux noirs, pendants et lisses. Il y a sur la lèvre supérieure et sur le menton quelques poils qui ressemblent à ceux de la tête. Les ossa malorum ou os des joues sont saillants. Le front est bas ; mais, excepté en cela, les traits sont beaucoup mieux proportionnés, et ressemblent beaucoup plus décidément au visage humain que ceux d’aucune espèce de singe quelconque. La tête est tournée vers le dos, et une expression de terreur donne au visage l’apparence d’une caricature de la face humaine ; mais je suis porté à croire que ces deux circonstances sont accidentelles et proviennent de la manière dont la créature a reçu la mort. Selon les apparences, elle est morte dans une grande agonie.

Les oreilles, le nez, le menton, les mamelles, les doigts et les ongles ressemblent à ceux de la figure humaine. L’épine et les vertèbres sont très saillantes et, en apparence, rangées de même que dans le corps humain.

D’après la position des bras, et d’après l’examen que j’ai pu faire, comme j’étais placé lorsque je l’ai vue, je n’ai aucun doute qu’elle n’ait des clavicules, os qui appartiennent à la conformation humaine, et que les singes n’ont pas.

L’aspect de la denture prouve suffisamment qu’elle est complète, les incisives étant usées à la surface supérieure. Il y a huit dents incisives, quatre canines et huit molaires. Les dents canines ressemblent à celle d’un chien dans toute sa force ; toutes les autres ressemblent à celles de l’espèce humaine.

La longueur de l’animal est de trois pieds ; mais, comme il n’a pas été bien conservé, il a diminué considérablement, et, lorsqu’il était en vie, il devait être plus long et plus gros qu’il ne l’est à présent. Sa ressemblance avec l’espèce humaine cesse immédiatement au-dessous des mamelles. Sur la ligne de séparation, tout près du sein, il y a deux nageoires. Depuis le point où cesse la figure humaine, et qui est environ à douze pouces au-dessous du sommet de la tête, il ressemble à un gros poisson de l’espèce saumon, et est entièrement couvert d’écailles. Dans la partie basse de l’animal, les écailles ressemblent à celles d’un poisson ; mais dans la partie qui ressemble à la conformation humaine, elles sont beaucoup plus petites et on les aperçoit à peine, à moins qu’on ne les examine de près. Dans le bas du corps, il y a six nageoires, deux dorsales, deux ventricales, deux pectorales et une queue.

Les nageoires de la poitrine sont très remarquables; elles sont horizontales et sont évidemment formées pour soutenir la créature lorsqu’elle est debout, comme on la représente quelquefois peignant ses cheveux.

La queue est exactement telle qu’on la représente ordinairement dans les figures de sirènes.

Le propriétaire de cet étrange animal est le capitaine Eades, de Boston (États-Unis d’Amérique). Depuis que j’ai écrit ce qui est ci-dessus, il est venu me voir, et j’ai appris de lui les particularités suivantes :

L’animal a été pris sur la côte nord de la Chine, par un pêcheur qui l’a vendu pour une bagatelle ; il a été ensuite porté à Batavia. Le capitaine Eades l’a acheté là pour 5000 piastres d’Espagne, et on lui en a offert depuis 10000 piastres, mais il ne veut pas le donner pour cette somme. Le capitaine Eades est passager à bord du vaisseau le Lion, qui est actuellement à Table-Bay. Il quittera ce port dans une quinzaine de jours, et le Lion ira dans la Tamise à son retour en Amérique ; ainsi il est probable que l’animal sera exposé à Londres. »
 
 

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(in Le Spectateur belge, ouvrage historique, littéraire et moral, volume 17, 1822)