Ce printemps a vu surtout fleurir la fleur du crime. C’est le printemps rouge. Jamais la rubrique « Faits divers » n’a offert un intérêt plus saisissant ni plus répété. De l’alcôve au trottoir, le sang coule, versé par l’élégant Martin ou par l’Apache brutal. Le petit homme gris ou le petit homme blond n’a jamais été à pareille fête. C’est la saison bénie où l’on éventre les coffres-forts et où l’on fracture les ventres. Le vol avec effraction sur la personne bat son plein.

Avant-hier encore, je remontais avec un de mes amis de Londres le faubourg Montmartre, quand, arrivés au coin de la rue Bergère, nous fûmes bousculés par un monsieur qui faisait du vingt-cinq à l’heure en agitant un grand couteau. Une femme, derrière lui, se plaignait amèrement, les yeux hors de la tête et la chevelure en désordre, que cet homme si redoutablement armé eût voulu lui prendre ses boucles d’oreilles auxquelles elle paraissait tenir beaucoup. Les plaintes aiguës de cette femme et la longueur inusitée du couteau du monsieur eurent cette vertu de faire arrêter et le monsieur et la femme par les agent, qui sont de braves gens.

Nous continuâmes notre chemin. Mon ami de Londres me disait qu’il était bien regrettable de voir, dans une ville qui passait pour la première du monde civilisé, les voleurs se conduire avec une telle brutalité.

« Pour quelle raison, dites-le-moi, ne faites-vous rien pour adoucir les mœurs de vos voleurs ? questionna-t-il.

– Voudriez-vous, m’exclamai-je, qu’en prison on leur jouât de la musique ?

– En Angleterre, fit mon ami de Londres, on ne leur joue point de la musique en prison, et cependant quand nos voleurs en sortent leurs mœurs sont devenues aussi douces qu’il se peut imaginer. Certes, ils continuent à voler, mais avec adresse et politesse et le plus décemment du monde. Il n’y a point d’exemple chez nous, depuis cinq ou six ans, qu’un voleur se soit emparé du réticule d’une femme enceinte en lui donnant un grand coup de pied dans le ventre.

– Vraiment ? Et que faites-vous donc à vos voleurs, en prison, pour atteindre à un aussi beau résultat ? »

Mon ami de Londres me répondit :

« Nous leur donnons la schlague ! »

Il ne riait pas. Il m’expliqua qu’autrefois on avait supprimé pour les voleurs la peine corporelle et qu’on se contentait de leur accorder cinq ans de prison. Or, il y a quelques années, on a rétabli la peine corporelle contre les voleurs avec violence, qui étaient devenus très nombreux. À la place des cinq ans, on ne leur donne plus que dix-huit mois de prison, mais on y ajoute vingt-cinq coups de schlague.

« Mais c’est affreux ! m’écriai-je ; mais vous agissez comme des sauvages vis-à-vis de ces malheureux garçons qui sont poussés à la violence, le plus souvent, par la dernière nécessité. Ah ! je les plains ! vingt-cinq coups de schlague, mais ils en peuvent mourir !

– Ils n’en meurent point, me dit-il, parce que nous avons grand soin de ne point leur administrer vingt-cinq coups en une fois. Un médecin assiste à l’opération, et au bout de cinq ou six coups de ces lanières de cuir sur le corps tout nu du délinquant, quand celui-ci est prêt à défaillir, on interrompt le supplice. Ces coups sont administrés de telle sorte que les chairs sont réduites en bouillie. Alors, on les soigne, ces chairs, on les entoure de mille précautions et de beaucoup de bandelettes, on les porte à l’infirmerie et, quand le voleur avec violence commence à aller mieux, le médecin dit au directeur de la prison :

« Je crois bien, monsieur le directeur, que notre homme peut encore recevoir trois ou quatre petits coups de schlague. »

Il n’en faut pas plus. On fait déshabiller le voleur avec violence, et, quand il est à nouveau tout nu, on lui donne ses trois ou quatre petits coups. Instruit par la première expérience, il pleure comme un enfant, jure d’être bien sage et de ne recommencer jamais plus à voler avec violence. Il promet de devenir un aimable pickpocket et que, si la destinée continue à le forcer à s’enrichir aux dépens de son prochain, il saura déployer une imagination si riche en gracieux expédients que jamais plus il n’aura besoin d’avoir recours à la brutalité. Ses accents sont déchirants, mais les coups de schlague le sont bien davantage. À demi-mort, on le reporte à l’infirmerie ; on recommence un mois plus tard. Au bout de dix-huit mois, il a reçu ses vingt-cinq coups. Alors, le directeur de la prison prend congé de lui et on ne le revoit plus jamais. »

J’étais outré. Je secouai avec force le bras de mon ami de Londres et je lui criai :

« C’est de la barbarie !

– Dites, me répondit-il, que c’était de la barbarie ! Maintenant, nous n’en avons plus en Angleterre ! »
 
 

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(Gaston Leroux, in Le Matin, derniers télégrammes de la nuit, vingtième année, n° 7024, mercredi 20 mai 1903)