Sur la route bonne ou mauvaise

On la trouve au bord du chemin,

L’auberge d’où l’hôte, à son aise,

Part sans payer, le lendemain.
 

C’est un logis riche et splendide,

Et c’est un douloureux réduit,

Où l’insouciance vous guide,

Où la souffrance vous conduit.
 

C’est l’hôtellerie incertaine

Où le couvert ne coûte rien :


Les gens qui prennent de la peine,

Les pauvres gens le savent bien.
 

Voleurs, poètes, maigres hères,

La troupe humaine s’y confond :

Dans la saison des primevères,


Le grand ciel bleu sert de plafond.
 

La porte est ouverte à la bise ;

Le plus souvent les lits sont durs.

Tant pis, lorsque la nuit est grise !

Tant mieux, lorsque les foins sont mûrs !
 

Un vagabond contre une borne

S’endort, plutôt que de gémir :

Il pleut, l’hôtellerie est morne ;

Les bois valent mieux pour dormir.
 

La belle étoile n’est pas bonne

Pour les poltrons et pour les vieux.

Depuis le temps qu’elle rayonne,

Elle a pris un air soucieux.
 

Astre rêveur et fantaisiste,

Étoile dont l’éclat aimé

Tombe dans le cœur de l’artiste,

Du haut des molles nuits de mai ;
 

Vieil astre, cher à la rapine,

Doux comme un air de violon,

Qui jadis riais sur l’échine

Gauloise de François Villon !
 

Ton auberge est toujours la même :

On n’y loge guère d’heureux,

Hormis en un coin où l’on aime

Et que savent les amoureux.
 

Sous l’azur léger comme un voile,


Gens de la ville et paysans

S’adorent à la belle étoile,

Dans l’herbe où sont les vers luisants.
 
 

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(Albert Mérat, Les Chimères, Paris : Achille Faure, 1866 ; lithographie de Théophile Alexandre Steinlen, « Le Chemineau »)