Il semblait que, dans le bocal où on l’avait mis,

Le poisson rouge eût nettement compris

Combien sa situation était fausse ;

Ah ! il n’avait pas l’air d’être à la noce,

Je vous le garantis.
 

On avait bien cherché à lui être agréable :

On avait orné le bocal avec du sable,

Et des petits coquillages rapportés exprès d’Houlgate,

Ce qui était, convenez-en, une attention délicate ;
 

Avait-on négligé d’élégantes rocailles ?

On avait ajouté des branches de corail,

Un baigneur en porcelaine, et un bateau ;

On avait même essayé d’installer un jet d’eau,

Dans le genre, en plus petit,

De celui qui est à Versailles :

Il est vrai qu’on n’avait pas réussi ;
 

Mais enfin, tout ce qu’on peut faire dans un bocal,

Tout ce qui est humainement possible,

On l’avait fait, – ce n’était pas déjà si mal,

Pour un poisson rouge qui, en définitive,

N’avait aucune raison de se montrer trop difficile.
 

Et pourtant, autour du petit baigneur en porcelaine,

Le poisson rouge tournait, tournait comme une âme en peine.
 

En le regardant avec persistance,

Il finit par m’apercevoir

D’un détail auquel je n’avais pas attaché d’importance,

Et qui ne laissait pas cependant d’en avoir :
 

Le poisson rouge, – était-ce un rêve ? –

Remuait, remuait régulièrement les lèvres,

Les lèvres… ou enfin la bouche, les mâchoires,

Bref, vous appellerez ça comme vous voudrez

L’appeler,

Mais le fait patent, le fait certain, le fait notoire,

C’est que le poisson rouge semblait avoir à me parler ;
 

Seulement voilà, – et souvenez-vous en,

Jeunes gens,

Qui du Conservatoire affrontez l’examen, –

Malgré l’attention la plus scrupuleuse,

Même en le prenant dans ma main,

Pour le comprendre tous mes efforts restèrent vains :
 

Son articulation était trop défectueuse ;

Et comme, d’autre part, il ne pouvait pas récrire,

Je n’ai jamais su au juste ce qu’il voulait me dire.
 
 

_____

 
 

(Franc-Nohain, in Flûtes : poèmes amorphes, fables, anecdotes, curiosités, Paris : Éditions de la Revue blanche, 1898)