CHAPITRE Ier. – De Dieu.

 
 

D. Qu’est-ce que Dieu ?

R. Dieu est un être fantastique inventé pour effrayer le peuple, comme Croquemitaine a été imaginé pour épouvanter les petits enfants.

D. Dieu n’existe donc pas ?

R. Non ; et s’il existait, il faudrait le décréter traître à la patrie.

D. Qui donc a créé l’homme ?

R. Personne. Il est venu tout seul, comme le chiendent, les roseaux et les champignons.

D. L’homme a-t-il toujours existé ?

R. Sans doute, puisqu’il n’y a eu jamais personne pour le créer. Seulement, il n’a pas toujours été tel que nous le voyons aujourd’hui. Autrefois, bien avant les révolutions, l’homme était couvert de poils comme un ours ; il vivait de noisettes et de glands, et avait une queue par derrière. L’homme de nos jours n’est qu’un singe dégénéré, un magot déchu ; mais un jour viendra où il se réhabilitera et reviendra à son état originel.

D. Quand arrivera cette heureuse réhabilitation ?

R. Quand les temps prédits par le prophète Proudhon seront venus.

D. Et quand viendront les temps prédits par le prophète Proudhon ?

R. Quand il n’y aura plus de famille ni propriété, et que les hommes seront assez éclairés pour vivre comme des sauvages et des orangs-outangs, ce qui arrivera dès que 34 millions 990,000 individus en France se seront convertis à la vraie lumière et auront embrassé la vraie foi du communisme.
 
 

 

CHAPITRE II. – De la Famille.

 
 

D. Qu’est-ce que la famille ?

R. La famille est la source de tous les abus, le réceptacle de tous les vices, la cause de tous les crimes.

D. Qu’entendez-vous par la source de tous les abus ?

R. J’entends que la famille, se concentrant en elle-même, se soutient et se propage contre les envahissements des idées égalitaires en matière de travail et de capacité.

D. Qu’entendez-vous par le réceptacle de tous les vices ?

R. J’entends que la famille, dans l’état de dégradation où l’homme l’a placée, est un échange de soins et d’affection de père à fils, de fille à mère, de frère à sœur, etc., etc., qui fait que l’on préfère ceux qui nous tiennent par les liens du sang à ceux que nous ne connaissons ni d’Ève ni d’Adam.

D. Qu’entendez-vous par la cause de tous les crimes ?

R. J’entends que le père de famille, pour laisser de la fortune à ses enfants, ou les enfants pour venir en aide à leurs parents vieux ou infirmes, travaillent avec un déplorable acharnement à devenir industriels, négociants, rentiers, ou propriétaires, c’est-à-dire voleurs.

D. D’où vous concluez ?

R. Que la famille est la chose la plus immorale d’une société, et que toute société basée sur la famille est destinée à périr comme Ninive, Sodome et Gomorrhe.
 
 

 

CHAPITRE III. – De la Propriété.

 
 

D. Qu’est-ce que la propriété ?

R. C’est un vol légitimé.

D. Pourquoi dites-vous que la propriété est un vol ?

R. Parce qu’elle est le résultat du travail et de l’économie d’aristocrates qui passent leur vie à peiner comme des chevaux et à suer comme des bœufs, tandis que les vrais citoyens emploient leur temps à faire des livres et des journaux que les réactionnaires ne lisent pas.

D. Pourquoi dites-vous que le vol est légitimé ?

R. Parce que le code et les lois, qui sont l’œuvre des aristocrates, tolèrent ce vol, et lui prêtent même aide et assistance au besoin, comme de vrais gendarmes.

D. N’y aurait-il pas un moyen de sanctifier ce vol ?

R. Oui, un excellent.

D. Lequel ?

R. Ce serait de voler les voleurs et de restituer en gros à la société communiste, ce que les brigands lui ont enlevé en détail. Par ce moyen, on arriverait à une juste et loyale répartition des biens mal acquis des riches, entre tous les citoyens qui n’ont jamais rien voulu acquérir au prix du labeur, des privations et autres moyens aussi méprisables que criminels.

D. Et quand pensez-vous que cette répartition puisse s’opérer ?

R. Dès que dix ou douze millions de propriétaires ou de voleurs existant en France consentiront à se laisser enlever le fruit de leurs rapines par dix ou douze mille honnêtes communistes, au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Amen !
 
 

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(Ce pamphlet, initialement paru dans les colonnes du Corsaire, a été repris dans la Gazette du Languedoc, dix-huitième année, n° 3843, mardi 12 septembre 1848, puis dans le Journal de St.-Quentin et du département de l’Aisne, trentième année, n° 1537, dimanche 15 octobre 1848 ; caricatures de Cham extraites de Proudhoniana, album dédié aux propriétaires, Paris : Au Bureau du journal Le Charivari, [1848])