C’étaient quatorze petits garçons aux yeux tristes et aux joues blanches, dont les mères étaient mortes le même jour. Maintenant, ils étaient sortis du cimetière. Ils ne savaient pas trop bien ce qu’ils avaient été faire là, entre les murs, parmi les croix. Et ils grelottaient, car décembre régnait sur la terre ; il y avait des glaçons comme des crocs de bêtes aux bords des toits ; et la lumière, à travers le brouillard, semblait venir de très loin.
Or, les quatorze petits enfants pâles, vêtus de noir, se prirent la main. N’étaient-ils pas tous des frères, puisque venant du même pas de la mort vers la vie ? Pendant quelque temps, ils marchèrent sur la route dont les arbres n’avaient plus d’âme. Enfin ils arrivèrent à la ville, et quand ils voulurent regarder l’heure aux beffrois et aux clochers, ils virent que les horloges étaient arrêtées.
Alors, ils sentirent qu’un silence tombait qui vêtait de plomb les maisons fermées ; les rues étaient toutes vides, sans doute le monde devait être bien vieux : les carillons ne jouaient plus leurs airs, une infinité de cadavres de corbeaux couvrait la neige, au loin, sur la montagne.
Cependant, ils pénétrèrent dans une rue dont les demeures avaient de longues mines de vieilles femmes ; cela leur parut être des sourires. Il y avait du sommeil sur les choses, beaucoup d’années, tant de poussière, tant de poussière, et, planant sur tout cela, la tristesse des hommes défunts avec leurs rêves.
Les petits enfants erraient en silence, quand ils rencontrèrent un soldat de bois qui les salua ; car si les hommes étaient morts, c’était maintenant le tour des choses, et d’abord des choses taillées à l’image des hommes, de commencer à vivre. Et le soldat parla aussi et il dit :
« Petits enfants tristes, ne sonnez pas aux portes, mais entrez à l’asile. »
Il fit un signe de la main près du képi, puis s’éloigna tout raide. On entendit ses talons de bois claquer sur le pavé, et il allait sans penser entre les grimaces des maisons.
Les petits enfants marchèrent vers l’asile. Cependant, deux d’entre eux tout à coup se mirent à rire sans fin comme des crécelles ; et les autres étaient pris d’un étonnement qui leur faisait mal ; mais les premiers riaient toujours et se montraient entre eux leur compagnon qui penchait la tête et n’entendait pas. Alors, les autres virent qu’une longue barbe blanche tout à coup lui était poussée et qu’il était devenu un petit vieillard. Et comme ils passaient précisément devant les glaces ternies d’une ancienne boutique, ils allèrent s’y mirer tour à tour, mais aucun d’eux ne s’y reconnut.
Ils continuèrent à marcher, ils ne se donnaient plus la main, ils ne riaient plus, ils songeaient. Presque tous maintenant avaient des barbes et claudiquaient comme de petits vieux.
Dix pas plus loin, c’était l’asile où, pensaient-ils, on recueillait les enfants ; le plus courbé lut sur la porte : Hospice, ferma les yeux et s’étendit près de la grille.
Et les autres, ayant pénétré dans la maison vide, se couchèrent sur les lits abandonnés. Puis, tout de suite, à mesure que naissaient les premiers frissons du grand soir, les treize petits vieillards, comme des chandelles toutes brûlées, s’éteignirent et moururent…
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(Désiré-Joseph Debouck, « Contes étranges, » in Les Rubriques nouvelles, revue mensuelle, cinquième année, nouvelle série, n° 7, novembre 1912 ; illustrations d’Edward Lear pour A Book of Nonsense, 1846)
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