À MON AMI EMMANUEL BRIARD
Il dort son grand sommeil, le prolétaire immonde,
Son cadavre roidi, foulé par tout le monde,
Étale en plein soleil sa maigre nudité
Que la vermine ronge avec avidité.
La tête est pourfendue, et la bouche entrouverte
Laisse au travers des dents passer la langue verte.
Mais nul ne semble ému du spectacle odieux :
« Il vivait en voleur : on l’assomma. Tant mieux. »
Il vivait pauvre aussi !… Pour toi c’est un grand crime,
Égoïsme hideux !… Encore une victime
Que tu heurtes du pied sans honte ni remords.
Moi, je viens saluer cette grande infortune,
S’ils te laissent pourrir dans la fosse commune,
Vidangeur de l’égout immense, ô vieux rat mort !
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(Honoré Charrier, Juvenilia, Paris : E. Dentu, 1875)