En histoire naturelle, à mesure que les observations se multiplient, nous voyons de prétendues vérités longtemps regardées comme incontestables, passer au rang des chimères ; et des faits que leur antiquité ou leur rareté avait fait regarder comme des fables , reprendre parmi les vérités la place qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Il n’y a pas cinquante ans qu’on se refusait à croire aux aérolites ; et la licorne, regardée comme un animal fabuleux, vient d’être retrouvée dans les déserts de l’Afrique. En sera-t-il de même des tritons et des sirènes ? Des observations bien faites nous forceront-elles un jour d’admettre l’existence de ces animaux, tout en dégageant d’une foule de circonstances merveilleuses ce que les anciens en ont dit ? Nous l’ignorons ; mais, en attendant, le doute est permis , et nous avons pensé que nos lecteurs nous sauraient gré de mettre sous leurs yeux ce que la Monthly Review vient de publier sur les sirènes
Nous ne traduirons point les traits que le journaliste anglais a empruntés de nos anciens Mercures, de l’histoire d’Angleterre, par Larry, et de quelques autres auteurs français ; nous nous arrêterons seulement aux faits qui du moins nous ont offert le mérite de la nouveauté.
Le premier est extrait d’un livre de voyages, par le capitaine Richard Whitebourne.
« Je ne puis m’empêcher, dit le voyageur, de faire ici mention d’une créature étrange, qui s’offrit un matin à ma vue, lorsqu’en 1619, j’étais au havre St.-Jean, dans le Newfoundland. Quand je l’aperçus, elle nageait vivement vers moi, et me regardait de l’air le plus amical. Ses yeux, son nez, sa bouche, son front, tous ses traits ressemblaient à ceux d’une femme : elle me parut belle et bien proportionnée. Autour de sa tête, je distinguai des raies bleuâtres qui ressemblaient à des cheveux. Je la considérais attentivement ; mais, à mesure qu’elle approchait, je reculais, craignant qu’elle ne voulût s’élancer et ne cherchât à me nuire. Comme je m’éloignais toujours de plus en plus, elle se retourna et se dirigea en sens opposé, mais en continuant d’attacher ses regards sur moi. Ses épaules, que je pus alors distinguer, étaient d’une grande blancheur, et leur forme m’offrit un trait de ressemblance de plus entre cette créature et la femme. Je ne pus juger de son corps au-dessous de la poitrine, parce qu’elle se tenait constamment dans l’eau ; seulement il me parut que la partie postérieure était arquée , et se terminait en fer de flèche. En me quittant, elle se dirigea vers un bateau où se trouvait mon mousse William Hawkridge, depuis capitaine de navire aux Indes ; elle chercha à pénétrer dans l’embarcation, en s’appuyant des deux mains sur le bord ; ce qui effraya tellement l’équipage qu’un matelot lui asséna un coup terrible sur la tête. Elle lâcha prise ; mais ce fut pour aller faire la même tentative sur d’autres bateaux. Ceux-là étaient près de terre, les matelots qui les montaient eurent le temps de débarquer. Enfin, elle plongea et disparut.
Je pense que cet animal était ou un triton ou une sirène Comme plusieurs personnes ont déjà écrit sur ce sujet, j’ai cru devoir publier ce que j’ai vu, et ce que j’affirme être de la plus grande vérité. »
Une sirène fut montrée publiquement à Exeter, en 1787 ; elle est décrite dans le tome 15 du Gentleman’s Magazine, pag. 516.
Le même recueil, année 1749, mois de septembre, contient les détails suivants :
« À Nycoping, dans le Jutland, on a pris une sirène dont la partie supérieure, de la ceinture au sommet de la tête, a la forme humaine ; le reste de son corps ressemble à celui d’un poisson. Elle a une queue recourbée ; les doigts de ses mains sont réunis par une membrane. Cet animal singulier s’est débattu longtemps et s’est tué dans les filets. »
Gontopidau, dans son Histoire naturelle de la Norvège, parle aussi de l’existence des sirènes comme d’une chose avérée.
En 1775, on montra publiquement à Londres un de ces animaux, qu’un vaisseau marchand avait pris dans la mer Égée, au golfe de Stanchio. Voici des faits plus récents :
Une lettre de Douglas, île de Man, contient une description curieuse de deux jeunes sirènes découvertes dernièrement par trois habitants de cette ville, pendant une de leur excursion au calf of man, où ils allaient chercher du gibier de mer.
« Attiré par un cri semblable à celui d’un jeune chat, ils trouvèrent, en cherchant au milieu des rochers, deux petits animaux marins parfaitement semblables à cette espèce d’êtres nommés sirènes ou hommes de mer. L’un d’eux était mort, et tout couvert de contusions, la mer l’ayant jeté sans doute avec force contre les rochers, dans une tempête qui avait eu lieu la veille. L’autre fut amené à Douglas où il est encore vivant. Il a 1 pied 11 pouces 3/4 de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu’à l’extrémité de la queue. Sa peau est d’une couleur brun pâle ; les écailles de sa queue sont légèrement teintes de violet ; ses cheveux, si on peut les appeler ainsi, sont verdâtres, tombant sur la figure, glutineux au toucher, et se rapprochant beaucoup du jonc marin. Il a la bouche petite et dégarnie de dents ; son plaisir est de nager dans l’eau de mer ; il se nourrit de petits poissons et de coquillages, qu’il dévore avec avidité : il prend aussi par intervalles du lait et de l’eau qu’on lui donne au moyen d’un tuyau de plume. »
L’Écosse nous fournit des renseignements encore plus curieux et pourtant plus certains sur l’existence des sirènes La fille du respectable ministre de Reay, miss Elisabeth Mackay, dans une lettre qu’elle écrit à lady Hine Dowager, habitant le Sandside, mande à cette dame, sous la date du 26 mai 1809, que, se promenant avec miss G. Mackenzie sa cousine au bord de la mer, elles ont vu toutes deux une sirène ayant la figure petite, ronde et pleine, les yeux gris, le nez mince, et la bouche grande. Le front, le nez, le menton sont d’un teint très blanc, et le reste de la figure, cramoisi. Sa tête très ronde est fournie de cheveux longs, huileux et verdâtres, qui paraissaient la gêner beaucoup. Elle était sans cesse occupée à rejeter en arrière cette épaisse chevelure qui, à chaque vague, venait lui couvrir le visage. Elle a le cou mince, uni et blanc ; les bras longs et menus, ainsi que les mains et les doigts : ceux-ci ne sont point unis par une membrane. L’un de ses bras se portait fréquemment au-dessus de sa tête, comme pour écarter un oiseau qui semblait se jouer avec elle et la fatiguer. Quelquefois, elle posait une main sous sa joue, et flottait ainsi sur les eaux, se laissant aller au mouvement de la lame. Miss Mackay et sa cousine n’étaient qu’à quelques pas de cette singulière créature, trois autres personnes se trouvaient présentes sur les lieux ; toutes demeurèrent convaincues de l’existence des sirènes sur les côtes d’Écosse, existence qu’elles avaient jusqu’alors regardée comme une fable.
Ces détails nous sont confirmés par la publication d’une lettre de M. William Munro, maître d’école à Thuiso.
« Il y a environ douze ans, dit-il dans cette lettre, en date du 9 juin 1809, qu’étant maître d’école à Reay, et me promenant au bord de la baie de Sandside , je vis très distinctement une figure semblable à celle d’une femme nue, assise sur un rocher avancé dans la mer.
La ressemblance était si parfaite qu’elle m’aurait trompé, si le rocher, sur lequel cette créature se trouvait placée n’avait pas été tout à fait hors de la portée des plus hardis baigneurs. Sa tête était fournie de cheveux d’un brun clair ; elle semblait occupée à les peigner, quand je l’aperçus. Elle avait le front rond, la face pleine, les yeux bleus, la bouche et les lèvres d’une forme naturelle. Je ne distinguai point ses dents, sa bouche étant fermée. Le cou, la gorge, l’abdomen, les bras, les doigts, qui ne me parurent unis par aucune membrane, étaient parfaitement semblables aux nôtres. Elle resta quelque temps dans l’attitude où je l’avais surprise, peignant toujours sa chevelure, action qui me permettait de mieux reconnaître ses doigts. Enfin elle plongea et je ne la vis plus que jusqu’à la ceinture. J’ai pu d’autant mieux l’examiner et reconnaître ses formes que j’étais assez près d’elle, sur un rocher qui dominait le sien ; le soleil éclairait d’ailleurs fortement tous les objets. Je savais déjà que des personnes très véridiques prétendaient avoir été témoin de pareils phénomènes sur nos côtes, mais, pour croire à l’existence des sirènes, j’avais besoin d’en voir une. »
Nous terminerons nos citations par deux dépositions extraordinaires sur l’apparition d’une sirène à la côte de Kyntize en Écosse, dans le mois d’octobre 1811.
« Catherine Loynachan, fille de Lachlun Loynachan, vacher à Ballinatunie, âgé de 81 ans, après serment, a été interrogée, et a déclaré que, dans l’après-midi du dimanche, il y a environ trois semaines, pendant qu’elle gardait les vaches de son père sur le bord de la mer, ayant auprès d’elle son jeune frère, et au moment de ramener le troupeau à la ferme, étant alors très près de la mer, elle aperçut un animal se glissant sur son ventre et se jetant à l’eau du haut d’un rocher très près d’elle. Elle remarqua que cet être avait de très longs cheveux bruns, les épaules et le dos blancs, le reste du corps brillant comme un poisson, et d’une couleur brun foncé. Il disparut sous l’eau, mais il revint à la surface immédiatement après, à environ six toises de distance, et ayant la figure tournée vers la terre. La comparante aperçut parfaitement l’animal qui, élevant une main semblable à celle d’un enfant, l’appuya sur des rochers et se rapprocha de la terre, où la déposante fut à portée de le distinguer se frottant le cou et le visage, qui lui parurent semblables à ceux d’un enfant. Bientôt après, l’animal disparut sous l’eau pour reparaître de nouveau à quelque distance ; il se dirigea ensuite vers le sud. Ses mouvements ressemblaient à ceux d’un enfant qui se baigne. D’abord la déposante crut que ce pouvait être le mousse d’un navire qui naviguait dans le voisinage ; mais le grand éloignement de l’animal vers le sud la détrompa. Quand Catherine Loynachan l’eut perdue de vue, elle alla aussitôt raconter cet événement à sa mère. Elle nous a déclaré ne savoir pas écrire. Signé D. CAMPBELL, substitut shérif »
Un jeune homme, nommé John Mc Isaac de Corphine, en Kyntise, a déclaré sous serment, lors de son interrogatoire à Campbell-Town, devant le substitut du shérif de Kyntise, qu’il a vu, dans la soirée du 13 octobre, sur un rocher au bord de la mer, un animal sur lequel il donne des détails longs et curieux, répondant parfaitement à ce que l’on rapporte généralement de ces espèces d’êtres amphibies connus sous le nom de Sirènes ou de Nymphes de la mer. Suivant sa déclaration, la partie supérieure du corps est blanche et semblable au corps de l’homme ; le reste ressemble aux extrémités d’un poisson, et paraît couvert d’écailles ; la tête est couronnée de longs cheveux qu’il séparait souvent sur les deux côtés de sa figure, avec des mains garnies de doigts très rapprochés, mais dont le déclarant n’a pu distinguer la forme. L’animal déployait souvent sa queue en forme d’éventail ; et lorsqu’il la ramenait à sa position naturelle, elle semblait trembler. Cette queue peut avoir 12 à 14 pouces de large ; le corps entier a de 4 à 5 pieds de long. Sa tête, ses bras, tout, jusqu’à la ceinture, ressemble aux formes humaines ; mais les bras lui ont paru trop courts et de la grosseur de ceux d’un enfant ; le corps diminue par degrés jusqu’à l’extrémité de la queue. Le déclarant vit l’animal pendant pendant plus de deux heures sur le rocher d’où la mer s’était retirée, et d’où il se plongea de la hauteur d’environ 5 pieds ; il revint bientôt au-dessus de l’eau, et le déclarant le vit encore très distinctement. Ses yeux sont enfoncés et son cou assez court ; l’animal était sans cesse occupé à le frotter et à le laver. Le déclarant ne vit pas d’autres nageoires que celles de la queue. Cette singulière créature resta plusieurs minutes sur l’eau et disparut enfin. Plusieurs enfants du voisinage ont vu le même objet dans la même journée. Le ministre de Campbell-Town et le chambellan de Mull ont assisté à la déclaration précédente, et assurent qu’ils n’ont aucune raison de douter de la vérité de cette déposition. »
S. C…..T.
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(in Le Musée d’Aquitaine, journal uniquement consacré aux Sciences, à la Littérature et aux Arts, tome Ier, Bordeaux : 1823)