CONO0
 

LE CONOMÈTRE

 

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En 1913, quelques Parisiens connus reçurent cet étonnant prospectus, qui fit la joie de Charles Muller, de Paul Reboux et plusieurs autres bons humoristes :
 
 

Le dernier cri de la science moderne : Le Conomètre.

 

Merveilleux appareil pour déterminer instantanément sur tout être humain le degré plus ou moins élevé de son intelligence.

 

Une invention géniale qui va bouleverser le monde entier plus profondément que la télégraphie sans fil, l’aéroplane et le briquet automatique.

 
 

Un enregistreur cérébral. – Tout le monde a entendu parler du sismographe, ce curieux appareil qui enregistre les battements du cœur, tout comme le phonographe enregistre le son. Le Conomètre, du grec konos (cône) et metron (mesure), enregistre les vibrations du cerveau ou plus exactement les modifications qu’apporte la pensée dans les pulsations des artères cérébrales.
 

La personnalité de l’inventeur. – Comment il a trouvé le Conomètre. – Cet appareil, d’une ingéniosité remarquable, a été conçu par M. Henri B…, ancien élève de l’École Polytechnique, ancien capitaine du génie à Montpellier – et nous pouvons le dire, au risque de blesser sa modestie, capitaine de génie.

Rien de plus curieux que la genèse de cette invention.

« Elle est due en grande partie au hasard, nous a déclaré le jeune savant.

… Je faisais, à cette époque, des recherches sur la transmission de la pensée. Ces recherches nécessitaient l’emploi d’appareils de mesure ultra-sensibles. Un jour, j’expérimentais, avec le concours de deux sapeurs de ma compagnie, dont l’un, brave Breton à peine dégourdi, me paraissait tout à fait apte à servir de récepteur à la pensée de son camarade, un Parisien déluré. Je dus m’absenter quelques minutes. En rentrant, je vis que mon Breton s’était, par plaisanterie, enfoncé dans chaque oreille l’extrémité d’un des deux fils reliés aux bornes d’un ampère-mètre de haute précision. Lorsqu’il quitta ses deux électrodes, je constatai, à mon grand étonnement, une déviation de l’aiguille de l’ampère-mètre. Or, ce Breton n’était sous la suggestion d’aucune pensée extérieure. Je me trouvais en présence d’un phénomène purement intérieur ; et c’est ainsi que je fus mis sur la trace de mon appareil que je dénommai ensuite Conomètre à cause de sa forme conique.

(Suit une description scientifique et détaillée de l’appareil, qui affecte, en effet, la forme d’un bonnet pointu.)
 

Mode d’emploi du Conomètre :

Le sujet introduit le transmetteur dans l’oreille. Sous l’influence des pulsations cérébrales, il se produit un courant que le solénoïde amplifie dans des proportions énormes, et qui est enregistré par un index qui s’arrête devant un numéro correspondant à l’intelligence du sujet. La graduation des numéros est établie de 0 à 20. Le 0 correspondant au degré pathologique de l’imbécillité. Pour le 20, M. Henri B… a adopté la position de l’index correspondant à son propre cerveau.
 

Usages multiples du Conomètre :

On voit tout de suite les multiples usages que comporte cet appareil.

Désormais, tout commerçant, tout industriel pourra recruter le personnel qui lui convient exactement : un simple petit essai le fixera mieux que n’importe quels diplômes, références ou certificats. Dans les établissements d’instruction publique, on pourra suivre exactement les progrès des élèves. Il n’est pas jusqu’au sein des familles où cet appareil ne trouvera son emploi, quand il s’agira de faire choix d’un mari pour la fille de la maison.

Désireux de le mettre à la portée de tous, M. Henri B… a fixé le prix de son ingénieux appareil à 1 fr. 95. L’univers entier y passera.
 
 

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(Curnonsky et L. W. Bienstock, Le Livre de chevet, in Paris-Soir, cinquième année, n° 1479, lundi 24 octobre 1927 ; publié en volume chez Georges Crès et Cie, la même année)

 
 
 
 

COMPTES DU LUNDI

 

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POUR MESURER

LA BÊTISE

 

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J’ai reçu un petit prospectus. Il a au moins le mérite de l’à-propos. Il annonce un appareil destiné à déterminer la quantité de bêtise que possède un individu ou son degré d’intelligence.

Au moment où l’on instruit l’affaire Valensi, c’est un instrument qui pourrait rendre d’appréciables services à la Justice. Son inventeur lui a donné le nom de « Conomètre, » que d’aucuns trouveront fort approprié. Je me hâte toutefois d’en donner l’explication pour que les esprits ne s’égarent point en des étymologies trop simplistes.

« Conomètre » vient du grec « Konos » (cône) et « Metron » (mesure). L’appareil est ainsi nommé parce qu’il est en forme de petit chapeau pointu, sans doute en souvenir de celui de Pierrot, patron des nigauds.
 
 

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Le prospectus du « Conomètre » nous présente l’invention sublime de la façon suivante : « Le plus grand succès de toutes les expositions… futures ! Par le « Conomètre, » l’humanité va gagner une douzaine de siècles ! »

Il est incontestable que les récompenses… futures qui ne manqueront pas d’être attribuées, au cours des expositions… à venir, à cette découverte ultra-scientifique ne seront pas volées. Nous faire gagner une douzaine de siècles, – je suppose même qu’on nous donnera le treizième par-dessus le marché, – c’est ce qu’on appelle une belle économie de temps !

Nous allons donc pouvoir passer, sans secousse, du XXème siècle au XXXIIème ou au XXXIII ème siècle en un clin d’œil.

Le méridien de Greenwich appliqué à la France nous avait déjà valu un bénéfice net de près de dix minutes. M. H. Benoît nous offre une douzaine de siècles à titre de présent, et il faut avouer que cela vaut mieux et que c’est un beau cadeau à faire à un enfant.

M. H. Benoît, c’est l’inventeur. Le prospectus nous le décrit ainsi : « ancien élève de l’École Polytechnique, ancien capitaine « du » Génie, à Montpellier, et nous pouvons le dire, au risque de blesser sa modestie, « de » génie. »

Mais ne nous attardons pas aux bagatelles de la porte !

Décrivons le « Conomètre. » C’est un chapeau pointu qu’on pose sur la tête du sujet dont on veut mesurer les capacités intellectuelles. On enfonce dans l’oreille du « patient » le bout d’un fil qui vient rejoindre sur le chapeau un petit solénoïde amplificateur de vibrations, qui communique lui-même avec un cadran gradué, – toujours sur le chapeau, – où une aiguille se déplace sur des degrés de 0 à 20.

Je laisse la parole au prospectus pour vous dévoiler le secret du fonctionnement du « Conomètre » :
 

« Le sujet introduit dans l’oreille le fil transmetteur qui est disposé de façon à obstruer complètement l’orifice auriculaire. Sous l’influence des pulsations cérébrales et par suite d’un phénomène encore peu expliqué, il se produit un courant que le solénoïde amplifie dans des proportions énormes et qui se traduit par un déplacement de l’index, lequel s’arrête devant un numéro de la graduation. C’est ce numéro qui correspond à l’intelligence du sujet.

La graduation a été établie de 0 à 20, (le n° 0 correspond au degré pathologique de l’imbécillité). Pour le n° 20, M. Henri Benoît a adopté la position de l’index correspondant à son propre cerveau. »
 

Il est tout à fait naturel, n’est-ce pas, que l’inventeur d’une si splendide merveille se soit donné 20 du premier coup et qu’il ait fixé là le terme du génie !

Vous rayonnez de joie déjà à la pensée des multiples applications du « Conomètre. » Le prospectus obligeant veut bien nous en indiquer quelques-unes :
 

« Désormais, tout commerçant, tout industriel pourra recruter le personnel qui lui convient exactement ; un simple petit essai du Conomètre le fixera mieux que n’importe quels diplômes, certificats ou références. Dans les établissements d’instruction publique, on pourra suivre exactement les progrès intellectuels des élèves.

Il n’est pas jusqu’au sein des familles où cet appareil ne trouve son emploi, quand il s’agit de faire choix d’un mari pour la fille de la maison. Dans ces cas plus délicats, on y mettra quelques formes. Et M. Henri Benoît a imaginé une variante de son appareil ; c’est en apparence un simple phonographe dont on applique les récepteurs dans l’oreille, mais, en même temps que le phonographe charme l’auditeur, un petit Conomètre, dissimulé dans la table de l’appareil, indique le degré intellectuel. »
 

Je vois d’ici ce tableau touchant de la demande en mariage.
 

PAPA. – Voyons, mon cher ami, vous me demandez la main de ma fille. Est-ce que vous ne voudriez pas tout d’abord entendre un petit air de musique ?

LE FUTUR FIANCÉ. – Mais… je vous assure que non. Ça va très bien comme ça !

PAPA et MAMAN. – Si, si. Ne vous gênez pas ! Faites comme chez vous ! Vous mourez d’envie d’entendre la « Valse bleue » ou bien la « Marche nuptiale »… Eh ! eh ! sacré gaillard ! Fifille, apporte un peu le phonographe pour monsieur !

FIFILLE. – Mon dieu ! pourvu qu’il « fasse » au moins 18 ou même 15 !
 

Attendrissant spectacle que celui de papa, futur beau-père, introduisant de force le fil révélateur dans l’oreille du prétendant, pendant que maman, future belle-mère, remonte, en souriant, le phonographe qui serine : « la Mâaaarche Nupti-ti-ti-ti-âle… de la maison Badé frères… Orchestre… » et que Fifille, secourable, donne un petit coup de pouce furtif à l’aiguille du « Conomètre » !

Que d’adaptations encore de cette invention sensationnelle : pour les électeurs choisissant un bon député, pour les lanceurs d’affaires cherchant des gogos de tout repos, pour les curés en quête de fervents paroissiens, etc., etc.

Mais M. H. Benoît, qui connaît les hommes, s’il n’a pas éprouvé le besoin de chercher une graduation au-dessus de 20, – point maximum de l’intelligence humaine qu’il a si modestement déterminé d’après son intellect, – a voulu apporter au « Conomètre » un perfectionnement nouveau !

Et voici comment l’explique le prospectus :
 

« De même que, dans tous appareils de transmission électrique, on interpose un parafoudre, l’inventeur a reconnu la nécessité de placer un coupe-circuit automatique dans le cas où, en présence de sujets exceptionnels, l’index aurait tendance à descendre au-dessous de 0 (degré de l’imbécillité). C’est à cela que travaille en ce moment M. Benoît. »
 

Quelle géniale prudence ! Comme ce « coupe-circuit » a bien sa raison d’être et quelle consommation effrénée on va en faire, n’est-ce pas, M. l’inventeur, qui racontez tout cela, sans rire, au public ?

On lit encore sur le prospectus :
 

« Désireux de se mettre à la portée des bourses de tout le monde, M. Henri Benoît a fixé le prix de son petit appareil à 1 fr. 95. L’univers entier y passera ! »
 

Que de coupe-circuits ! Que de coupe-circuits il va falloir !
 
 

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Il y a une Société à créer pour l’exploitation du « Conomètre. » On est prié d’adresser les offres sans retard. On ne dit pas si les aspirants-actionnaires vont subir l’épreuve admirable du « Conomètre » renforcé de coupe-circuit.

Nul doute que les offres n’affluent en masse ! Le prospectus n’annonce-t-il pas que le « Conomètre » est une « invention géniale qui va bouleverser le monde entier plus profondément que le télégraphe sans fil, l’aéroplane et… le briquet automatique » ?

Il était temps, grand temps, qu’on pût enfin mesurer le degré de la Bêtise humaine !
 
 

WILL

 
 

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(in L’Égalité de Roubaix Tourcoing, lundi 1er mai 1911)

 
 
 
 

Mercredi, 3 mai. – Un bien drôle de prospectus dans mon courrier ! Connaissez-vous le Conomètre ? Oui, oui, le Conomètre ! Je n’invente rien et je suis prêt à déposer, pour les incrédules, le susdit prospectus dans les bureaux du Supplément.

Pourtant, ce n’est peut-être pas ce que vous pensez ! Non là ; mais tout simplement un instrument qui enregistre l’intensité des pensées et de l’intelligence humaines d’après les pulsations des artères cérébrales.

En un mot, cet instrument est à la pensée ce que le phonographe est aux sons, et le sismographe aux battements cardiaques.
C’est un casque conique (d’où son nom « Konos, » du grec, cône, et « metron, » mesure ; une aiguille aimantée dont il est muni se déplace automatiquement selon l’amplitude du battement des artères encéphaliques, et se meut autour d’un cadran gradué de 0 à 20.

Quand on l’a coiffé, les fortes et belles pensées s’accompagnent, on le devine, de battements artériels très accentués ; l’aiguille peut marquer jusqu’à 20, qui est le maximum d’intellect dont peut être doué un être humain ; il a été pris par l’inventeur sur son propre cerveau. Les artères d’un crétin, dans le genre, par exemple, de… non ! ne fâchons personne ! laissent l’aiguille à zéro.

Vous voyez d’ici les services que peut rendre à l’humanité une aussi géniale découverte. Voilà un grand industriel, un important commerçant occupant toute une légion d’employés et d’ouvriers ; quel tracas ! quelle perte de temps leur occasionne le recrutement de ce personnel ! Certificats à examiner, examen des aptitudes professionnelles, etc. : avec le Conomètre, le patron peut être fixé, en un clin d’œil, sur l’intelligence du candidat.

Dans son prospectus, l’auteur, M. Benoît, (ma foi, tant pis ! il mérite bien cette réclame) énumère logiquement les emplois qu’on peut faire de son appareil. Un des plus subtils, à mon avis, est ce qu’il appelle l’emploi matrimonial. Et ici, un dispositif ingénieux enlève à l’usage de l’appareil tout ce qu’il pourrait avoir d’humiliant. Jugez plutôt :

Voici la jeune fille à marier et son prétendant. Le père, au cours d’une petite soirée, invite son futur gendre à se coiffer du Conomètre, et, en même temps qu’il lui fait introduire dans l’oreille un tube acoustique qu’on y a adapté (c’est le dispositif ingénieux), il lui dit avec son plus ineffable sourire : « Écoutez bien : voici le plus beau morceau de Carmen ! »

Et, en effet, dès que le Conomètre a pris contact sur le crâne du futur, en même temps que l’aiguille aimantée marque son degré d’intelligence, un phonographe dissimulé dans l’appareil entonne Toréador ! prends ga â â â rde.
C’est tout simplement merveilleux, vous dis-je, et l’auteur a sa place marquée à l’Institut. En attendant, je prends 10 actions de la Société qu’il fonde en vue de l’exploitation de son brevet.
 
 

*

 
 

Jeudi, 4 mai. – Comme je montrais, ce matin, cet extraordinaire prospectus à l’un de mes amis qui, par profession, fréquente assidûment la Bourse, il eut, après l’avoir lu, un sourire presque dédaigneux.

« Nous avons mieux que ça, » fit-il.

Et comme j’avais l’air d’en douter :

« Oui, nous avons eu Simonnet, qui, il y a quelques années à peine, lança la Chaise percée, mécanique, inodore. Les actions étaient de 25 francs. Cette chaise, d’après le prospectus, fonctionnait par elle-même ; la simple pression de l’acteur en scène la faisait ouvrir et, la pression cessant, l’appareil se refermait instantanément et hermétiquement. Non seulement il n’y avait pas de mauvaise odeur, mais il se dégageait, à l’instant même, avant, pendant et après, le parfum choisi par l’usager.

« Je puis assurer, déclarait Simonnet, aux messieurs et aux dames qu’une des plus ennuyeuses infirmités humaines va complètement disparaître avec mon appareil ; que là où les princesses elles-mêmes ne pouvaient se soustraire aux exhalations du gaz hydrogène sulfuré, le beau sexe, avant, pendant et après, s’enivrera des parfums de la menthe, de la lavande ou de la rose. Mais comme nous ne sommes pas à Tunis et que l’essence de rose coûte un peu cher, nous pourrons nous contenter des parfums les plus communs, et risquer quatre ou cinq centimes pour neutraliser les gaz et les convertir en parfums du sérail. C’est déjà bien assez d’opérer une pareille conversion qui m’a coûté de longues études pratiques ; c’est bien assez de donner à un parfum l’ordre de couper les ailes à un gaz méphitique, précurseur d’orages gazeux, et de lui dire : « Tu n’iras pas plus loin ; il faut que tu meures en naissant, sans laisser trace de ton passage. Tu vas céder immédiatement ta place aux parfums du thym, de la lavande, de l’aspic ou du jasmin ; tu es mort-né comme les œuvres d’un académicien. »

C’est que je parle sérieusement. Ma découverte est peut-être la plus surprenante du monde : c’est un acte de volupté substitué aux incommodités qui attaquaient tout le monde, et dont la garde qui veille aux portières de leurs palais ne défend pas les rois.

La belle invention pour les jeunes époux auxquels il ne faut que des parfums et des illusions pour que la lune de miel promène sans tache sur eux, son disque argenté ! »

– Enfoncé, le Conomètre ! ne puis-je m’empêcher de clamer, après avoir écouté mon ami. Et l’affaire réussit-elle ? lui demandais-je.

– Simonnet plaça pour 650000 francs d’actions, mais les acheteurs de sa chaise furent plutôt rares, et la Société s’évapora comme un simple gaz méphitique… »
 
 

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(Paul Vigné d’Octon, « Au fil des jours, » in Le Supplément, grand journal littéraire illustré, vingt-huitième année, n° 3401, mardi 16 mai 1911)

 
 
 
 
CONO1
 
CONO2
 
 

Le plus grand Succès

de toutes

les Expositions futures

 

Par le CONOMÈTRE

l’Humanité va gagner

une douzaine de siècles

 
 

LE DERNIER CRI

DE LA

SCIENCE MODERNE

 

LE CONOMÈTRE

 
 

Merveilleux Appareil pour déterminer instantanément

sur tout être humain le degré plus ou moins

élevé de son intelligence.

 
 

Une invention géniale qui va bouleverser le Monde entier plus profondément que la Télégraphie sans fil, l’Aéroplane et le Briquet Automatique

 
 

Il était écrit que notre siècle qui a vu naître l’Aéroplane et la Télégraphie sans Fil, donnerait le jour à des inventions plus surprenantes les unes que les autres. Cette fois, c’est dans le domaine physiologique que nous allons transporter nos lecteurs.
 
 

Un Enregistreur Cérébral.

 
 

Tout le monde a entendu parler du sysmographe (sic), ce curieux appareil qui enregistre les battements du cœur, tout comme le phonographe enregistre le son. Le Conomètre, « du grec Konos (cône) et Metron (mesure), » enregistre les vibrations du cerveau ou plus exactement les modifications qu’apporte la pensée dans les pulsations des artères cérébrales.

Le cerveau est, on le sait, le siège de la pensée. Et la pensée elle-même constitue un travail qui, comme tel, absorbe de l’énergie. Or, cette énergie qui, dans tout notre organisme, est fourni par la combustion du sang, par l’oxydation des globules rouges, se traduit dans le cerveau par des modifications des pulsations des artères cérébrales. Si donc on imagine qu’un appareil puisse enregistrer ces modifications, on concevra tout de suite qu’il soit susceptible de fournir une mesure de l’activité cérébrale et, par conséquent, de l’acuité de la pensée.

D’autre part, les travaux des plus grands physiologues ont démontré que la puissance intellectuelle était en raison directe du volume occupé, chez chaque sujet, par le cerveau dans la boîte crânienne. Chez les sujets intelligents, le cerveau remplit presque complètement son logement ; chez les individus atteints d’idiotie, l’espace libre est considérable, toutes proportions gardées, bien entendu. Or, la présence de cet espace libre joue un rôle imprévu dans la transmission des pulsations cérébrales, il les amplifie d’une façon étonnante, et c’est là le principe de l’appareil dénommé Conomètre.
 
 

La personnalité de l’Inventeur.

 
 

Cet appareil d’une ingéniosité remarquable a été conçu par M. Henri Benoît, ancien élève de l’École Polytechnique, ancien capitaine du Génie à Montpellier, et, nous pouvons le dire au risque de blesser sa modestie, de génie.

M. Henri Benoît est depuis quelques mois, bien connu dans les milieux financiers parisiens où il a su conquérir dans la haute banque une situation enviable autant qu’enviée. Malgré le labeur incessant que lui impose la direction de la colossale maison de banque, qu’il administré avec tant d’autorité dans ses vastes bureaux de l’immeuble du numéro 12 de la rue de Port-Mahon, M. Henri Benoît a su distraire de ses occupations habituelles le temps nécessaire pour mettre au point l’invention dont il avait conçu l’idée première alors qu’étant au chef-lieu de l’Hérault il y fréquentait quotidiennement, entre ses heures de repas, le fameux Musée Dupuytren.
 
 

Comment M. Henri Benoît trouva le Conomètre.

 
 

Rien de plus curieux que la genèse de cette invention. Et nous ne croyons pouvoir mieux faire que de rapporter ici les termes d’une interview que M. Henri Benoît avait accordée au rédacteur scientifique d’un grand journal politique :

« L’invention du Conomètre, a déclaré le sympathique et jeune savant, est due en grande partie au Hasard, le grand maître de tous les inventeurs futurs, présents ou passés. Son principe m’a été extemporanément révélé dans des conditions extrêmement curieuses. Je faisais à cette époque des recherches sur l’assimilation des phénomènes de transmission de la pensée, tels que les ont si bien étudiés Charcot, Pickmann, Donato et leurs élèves, avec les phénomènes de transmission des ondes électriques tels qu’ils sont fixés par la télégraphie sans fil.

Ces recherches extrêmement délicates nécessitaient l’emploi d’appareils de mesure d’une très grande sensibilité. Un jour, j’expérimentais avec le concours de deux sapeurs de ma Compagnie, dont l’un, brave Breton, à peine dégourdi, me paraissait tout à fait susceptible de servir d’organe récepteur de la pensée de son antagoniste, un Parisien déluré. Je dus m’absenter, appelé par mon sergent-major pour passer une revue de petit « installage. » Étant rentré dans le local où se trouvaient mes deux sujets, je vis que mon Breton s’était, par manière de plaisanterie, enfoncé dans chaque oreille l’extrémité d’un des deux fils reliés aux bornes d’un Ampèremètre de haute précision. Tout occupé par son « expérience » et ayant d’ailleurs les deux oreilles bouchées, mon gaillard ne m’avait pas entendu revenir et, lorsqu’il quitta ses deux électrodes, j’aperçus, à mon grand étonnement, une légère déviation de l’aiguille de l’Ampèremètre. Très intrigué, je lui fis recommencer l’expérience : résultat identique Or, ce Breton n’était sous la suggestion d’aucune pensée extérieure. Je me trouvais en présence d’un phénomène purement intérieur et c’est ainsi que je fus mis ce jour-là sur la trace de l’appareil que je dénommai ensuite Conomètre, à cause de sa forme. »
 
 

Description de l’appareil le Conomètre.

 
 

Voici en quoi consiste essentiellement cet appareil : il comprend deux parties, un transmetteur et un récepteur. Le transmetteur A est constitué par une sorte de bouchon en fibre traversé par deux fils conducteurs qui sont reliés par un câble souple au récepteur B. Ce récepteur est essentiellement constitué par un solénoïde dont les spires comportent un enroulement progressif, c’est-à-dire que, du sommet vers la base, le nombre de tours des fils croît à chaque spire, suivant une progression arithmétique dont la raison est 2 (1 tour, 1 + 2 = 3 tours, 2 + 3 = 5 tours, etc., etc.).

Dans l’intérieur du solénoïde se trouve un barreau de fer doux D qui, sous l’influence des variations du courant qui traverse le solénoïde, s’aimante plus ou moins. Le degré d’aimantation du barreau D a pour effet de déplacer un petit index C le long d’une glissière ménagée dans l’enveloppe de l’appareil et cet index se meut sur une graduation.

L’appareil a reçu une forme conique, d’où son nom, formé des mots grecs Konos (cône) et Metron (mesure), littéralement, appareil de mesure en forme de cône.
 
 

Mode d’emploi du Conomètre.

 
 

Voici maintenant comment on utilise cet appareil :

Le sujet introduit dans l’oreille le transmetteur A qui est disposé de façon à obstruer complètement l’orifice auriculaire. Sous l’influence des pulsations cérébrales et par suite d’un phénomène encore peu expliqué, il se produit un courant que le solénoïde amplifie dans des proportions énormes et qui se traduit par un déplacement de l’index, lequel s’arrête devant un numéro de la graduation. C’est ce numéro qui correspond à l’intelligence du sujet.

La graduation a été établie de 0 à 20, (le n° 0 correspond au degré pathologique de l’imbécillité). Pour le n° 20, M. Henri Benoît a adopté la position de l’index correspondant à son propre cerveau.
 
 

Usages multiples du Conomètre.

 
 

On voit tout de suite les usages multiples que comporte cet appareil que l’on peut vraiment qualifier de génial.

Désormais, tout commerçant, tout industriel pourra recruter le personnel qui lui convient exactement ; un simple petit essai du Conomètre le fixera mieux que n’importe quels diplômes, certificats ou références. Dans les établissements d’instruction publique, on pourra suivre exactement les progrès intellectuels des élèves.

Il n’est pas jusqu’au sein des familles où cet appareil ne trouve son emploi, quand il s’agit de faire choix d’un mari pour la fille de la maison. Dans ces cas plus délicats, on y mettra quelques formes. Et M. Henri Benoît a imaginé une variante de son appareil ; c’est en apparence un simple phonographe dont on applique les récepteurs dans l’oreille, mais, en même temps que le phonographe charme l’auditeur, un petit Conomètre, dissimulé dans la table de l’appareil, indique le degré intellectuel.
 
 

Légitime triomphe de l’Inventeur.

 
 

M. Henri Benoît veut apporter au Conomètre un perfectionnement nouveau. De même que dans tous appareils de transmission électrique, on interpose un parafoudre, l’inventeur a reconnu la nécessité de placer un coupe-circuit automatique dans le cas où, en présence de sujets exceptionnels, l’index aurait tendance à descendre au-dessous de 0 (degré de l’imbécillité). C’est à cela que travaille en ce moment M. Benoît.

Nous avons la conviction qu’une fois complètement au point le Conomètre sera mis en vente dans tous les pays ; on discute même déjà dans les milieux d’un nouvel impôt que cet appareil qui est en somme un « appareil de mesure » et l’on parle de lui imposer une estampille comme au briquet pyrogène.

Désireux de se mettre à la portée des bourses de tout le monde, M. Henri Benoît a fixé le prix de son petit appareil à 1 fr. 95.

L’univers entier y passera !
 
 

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Les propositions concernant la Société à créer et les offres de publicité doivent être adressées sans retard.

 
 

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Nous signalerons au passage que la création du « conomètre » est peut-être plus ancienne, puisque nous avons trouvé trace d’un opuscule intitulé La Déclaration et usage de l’instrument nommé conomètre, Paris : 1571, in-8°, attribué à Guillaume Desbordes, natif de Bordeaux et traducteur du Traité de la Sphère de Jean de Sacrobosco. Quant à « la Chaise percée mécanique inodore » citée par Paul Vigné d’Octon, le Bulletin des lois du Royaume de France mentionne qu’une demande de brevet de 15 ans avait déjà été déposée pour cette invention le 8 avril 1847 au secrétariat de la préfecture du département du Nord par le sieur Deckmyn (Jean-Louis).
 

MONSIEUR N