Je vis très bien tomber l’aérolithe et s’enflammer la petite maison de la montagne.

Le docteur et Mme Tourneil m’avaient invité, pour la première fois, à passer quelques jours auprès d’eux, dans leur villa savoyarde. J’étais arrivé de Paris à l’heure du dîner, et, la nuit venue, nous devisions encore sur la terrasse, goûtant le charme d’une admirable soirée.

Je n’avais jamais vu le firmament vivre d’une vie plus merveilleuse. Le mois d’août commençait. Devant nous, dans les ombres bleues et brunes, la vallée fuyait vers les hauteurs ; tout près, sur la gauche, la masse énorme d’une montagne s’élevait, comme à toucher les astres ; et le ciel, fiévreux, fourmillant de scintillations éperdues, était sillonné d’étoiles filantes qui traçaient de-ci de-là, sans cesse, la courbe de leur trait fulgurant. Parfois, l’une d’elles, plus lente, faisait une clarté dont le panorama recevait la lueur et s’illuminait d’une façon troublante.

Quelques secondes avant la chute du bolide, je n’avais pu retenir une exclamation, en suivant des yeux une traînée particulièrement resplendissante.

« Faites un souhait, vite ! me dit dans un rire Mme Tourneil. Vous connaissez la croyance : un vœu, formulé pendant l’apparition d’une étoile filante, se réalise toujours.

– Des vœux, remarquai-je, on pourrait, ce soir, en faire constamment ! »

C’est alors que l’événement se produisit tout à coup.

Un jet de feu, accompagné d’un sifflement d’obus, traversa l’espace, du haut en bas, un peu comme un éclair, un peu comme une fusée qui, au lieu de monter, eût descendu. Cela vint buter en plein milieu de la montagne, au sommet d’une croupe, et, à l’instant même où le bruit de l’explosion nous parvenait retardé par la distance, un flamboiement nous apprit que cette explosion venait d’allumer un incendie. Les bois, sans doute, avaient pris feu.

Mme Tourneil s’effrayait, Son mari l’apaisa, lui certifiant que le phénomène était exceptionnel et qu’on ne devait pas en craindre la répétition. Il était bien rare qu’une étoile filante pénétrât dans l’atmosphère terrestre, assez droit pour tomber sur la terre. Il était plus rare encore de l’observer dans ces régions.

Calmée, Mme Tourneil lui demanda :

« N’est-ce pas la maison de Couteau qui brûle ?

– On le dirait. Ce serait vraiment un curieux hasard : l’aérolithe atteignant cette bicoque isolée ! »

Une minute plus tard, il braquait une jumelle sur l’incendie lointain.

« Aucun doute, dit-il. C’est la maison de Couteau. Je vois la charpente se silhouetter sur les flammes… Ce Couteau n’est guère sympathique ; pourtant, il faut aller à son secours.

– Je vous accompagne, lui dis-je.

– Savez-vous qu’il s’agit de marcher toute la nuit ? Nous ne serons là-haut qu’à l’aurore. Aussi ne peut-il être question de réduire le sinistre ; quand nous arriverons, il ne restera rien du bâtiment. Mais Couteau peut être blessé…

– S’il était mort, petite perte, dit Mme Tourneil.

– Je te l’accorde. N’empêche qu’il me faut partir sans plus tarder.

– Je vous accompagne, » redis-je.

Vers minuit, l’automobile de Tourneil nous déposa tous deux dans la montagne, à l’endroit où cessait tout chemin carrossable. Et, solidement chaussés, nous entreprîmes de gravir les pentes, par les zigzags des sentiers.

Quelques montagnards s’étaient joints à nous. Tout en allant, ils parlaient de ce Couteau dont l’habitation flambait. Leur entretien confirmait les dires de mon hôte. Couteau était un solitaire assez indésirable, dont l’orgueil, la cruauté, les vices avaient causé la ruine. Il vivait maintenant, à l’écart, haineux, sordide, dans une ancienne grange au milieu d’une prairie, derniers vestiges de tous ses biens perdus.

Tourneil me dit plaisamment :

« Si j’étais superstitieux, je croirais que les étoiles filantes se sont vengées.

– Pourquoi donc ?

– Parce que Couteau est superstitieux, lui. Ce triste sire m’intéresse, figurez-vous. Toutes les fois que je passe aux environs de sa retraite, je ne manque pas d’aller le voir. C’est une sombre figure, le blasphème incarné, le mal qui s’est fait homme, en vérité. Mais il est superstitieux. Oui. Et, l’autre soir, m’étant attardé par là et me reposant sous son misérable toit, par un temps semblable à celui-ci, je l’entendais qui, debout sur le seuil, saluait chaque étoile filante d’un souhait, toujours le même, proféré rageusement : « Richesse ! Richesse ! » Ne dirait-on pas que le ciel a mal pris la chose ?… « Richesse ! Richesse ! »

Le docteur s’était mis à rire, ce qui éveilla, dans l’obscurité de la gorge que nous contournions, un écho fantastique :

« Richesse ! Richesse ! »

Comme l’avait prévu le docteur, ce fut à l’aube que nous arrivâmes au sommet de la croupe. Le petit jour éclairait les débris fumants de la maisonnette : un amoncellement de poutres noircies, mêlées de gravats. Autour des décombres, le sol de la prairie était jonché des morceaux de l’aérolithe, qui avait éclaté.

Sur ces entrefaites, un gémissement se fit entendre, et Couteau nous apparut, couvert de sang, hagard, les vêtements en lambeaux, la face affreusement ravagée par l’explosion.

« À moi ! pleurait-il. Je suis aveugle ! Mes yeux !… Ah ! mes yeux !… Par ici ! Au secours ! Je n’y vois plus !… »

Le docteur s’approcha de lui. Ses blessures étaient si horribles que j’en détournai mon regard.

Alors, le soleil se levant dans sa gloire, les éclats du bolide jetèrent des feux étrangement vermeils. Je fis quelques pas et ramassai l’un d’eux à peine refroidi.

« Docteur ! fis-je, émerveillé. De l’or !… C’est de l’or !…

– Entendez-vous ? dit Tourneil à l’oreille de Couteau. Bonne nouvelle ! Voilà pour vous donner du courage. Comprenez-vous ? L’aérolithe était en or. Votre champ est plein d’or, à présent ! Vous êtes riche !

– Je vous dis que je suis aveugle ! hurla l’homme ensanglanté. Mes yeux ! Oh ! Voir ! Voir ! C’est ça que je veux ! »

Nous nous regardions, Tourneil et moi, tandis que les paysans, stupéfaits et pourtant incrédules, parcouraient lentement le champ d’or. Et je croyais entendre le rire sarcastique du ravin et les mots que ses ténèbres avaient rejetés avec tant d’ironie :

« Richesse ! Richesse ! »
 
 

 

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(Maurice Renard, « Les Mille et un matins, » in Le Matin, quarante-huitième année, n° 17426, samedi 5 décembre 1931)