La comète de M. Flammarion, pour laquelle le télégraphe nous semble avoir une préférence marquée, car il nous tient jour par jour au courant de ses faits et gestes, nous a rappelé l’article plein d’humour que voici, publié dans le New-York Herald en 1864 [sic, pour 1874], au moment où les Américains étaient, eux aussi, en proie à une comète qui faisait beaucoup parler d’elle.
 

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Nous avons reçu l’avis suivant, mais, comme son objet est d’un intérêt profond et général, nous nous sentons pleinement justifiés de son insertion dans le corps du journal. Nous sommes certains que notre conduite à cet égard ne mérite qu’une explication, non une apologie. – (La rédaction du New-York Herald).
 

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AVIS

 
 

J’ai l’honneur d’informer le public que, conjointement avec M. Barnum, j’ai loué la Comète pour un nombre d’années ; je désire également solliciter le patronage du public pour une entreprise avantageuse que nous avons en vue.

Nous vous proposons d’établir dans la Comète des aménagements confortables et même luxueux pour toutes les personnes qui voudront bien nous honorer de leur patronage et faire aux corps célestes une excursion étendue.

Nous préparons un million de belles chambres dans la queue de la Comète (chacune sera pourvue d’eau, froide et chaude, de gaz, de glaces, de parachute, de parapluie, etc.) Nous en construirons davantage si nous rencontrons un encouragement suffisamment généreux. Nous aurons des salles de billard, des salles de jeu, des salles de musique, des allées pour jeux de balle, plusieurs théâtres spacieux et des salons de lecture publics ; sur le pont tout entier, nous nous proposons d’avoir un parc de promenade, avec une route de plus de 10,000 milles. Nous publierons aussi des journaux quotidiens.
 

Départ de la Comète

 

La Comète quittera New-York à dix heures du matin, le 20 courant ; il serait donc à désirer que les passagers soient à bord à huit heures, au plus tard, pour éviter toute confusion en se mettant en marche. Nous ne savons pas si les passeports seront nécessaires ou non, mais nous pensons qu’il vaut mieux que les passagers s’en munissent et se mettent ainsi en garde contre toute éventualité. Les chiens ne seront pas admis à bord.

On veillera en tous points, avec un soin jaloux, à la sécurité des passagers. Une forte balustrade en fer sera établie tout autour de la Comète, et il ne sera permis à personne de s’approcher du bord pour regarder au-delà sans être accompagné de moi-même ou de mon associé.
 

Le Service postal

 

aura le caractère le plus complet. Naturellement le télégraphe, et le télégraphe seul, sera employé de telle sorte que des amis, occupant des chambres éloignées de 20,000,000 et même 30,000,000 de milles, pourront envoyer un message et recevoir une réponse en moins de onze jours. Les messages de nuit ne supporteront que demi-taxe. L’ensemble de ce vaste système postal sera sous la direction personnelle de M. Hale, du Maine. Repas servis à toute heure. Les repas servis dans les appartements seront comptés à part.

Nous n’appréhendons d’hostilité d’aucune grande planète, mais nous avons pensé qu’il valait mieux exagérer les précautions ; nous nous sommes donc pourvus d’un nombre suffisant de mortiers, de canons de siège et de piques d’abordage. L’histoire montre que les petites communautés isolées, telles que les peuples des îles éloignées, sont portées à être hostiles aux étrangers, et il peut en être de même des
 

Habitants des Étoiles

 

de dixième ou vingtième grandeur. Dans aucun cas, nous n’attaquerons inutilement le peuple d’une Étoile, mais nous les traiterons toutes avec une égale urbanité et une égale bienveillance, ne nous conduisant jamais envers un Astéroïde d’une façon que nous n’oserions pas prendre vis-à-vis de Jupiter ou de Saturne. Je le répète, nous n’attaquerons inutilement aucune Étoile ; mais, en même temps, nous ressentirons promptement toute injure qui pourra nous être faite, et toute insolence tentée contre nous par les partis ou les gouvernements résidant dans quelque Étoile du Firmament que ce soit. Bien que répugnant à verser le sang, nous observerons cette conduite rigoureusement et sans crainte, non seulement avec les Étoiles isolées, mais aussi avec les Constellations. Nous espérons laisser derrière nous une bonne impression de l’Amérique chez toutes les nations que nous visiterons de Vénus à Uranus. Mais, en tous cas, si nous ne pouvons inspirer l’amour, nous imposerons du moins le respect de notre pays partout où nous irons. Nous prendrons avec nous, gratis,
 

Une grande quantité de Missionnaires

 

pour répandre la vraie lumière sur tous les corps célestes qui, éclairés physiquement, sont encore moralement dans l’obscurité. Des écoles du dimanche seront établies partout où il sera possible. L’éducation obligatoire sera également introduite.

La Comète visitera d’abord Mars, puis ira à Mercure, à Jupiter, à Vénus et à Saturne. Les personnes en rapport avec le gouvernement du district de Colombie ou avec le gouvernement primitif de la ville de New-York, qui désireraient inspecter les anneaux, auraient tout loisir et toute facilité. On visitera toutes les étoiles de première grandeur ; on donnera du temps pour les excursions intéressantes dans l’intérieur.
 

L’Étoile du Chien

 

a été rayée du programme. Nous consacrerons beaucoup de temps à la Grande Ourse et à toutes les constellations d’importance. Il en sera de même pour le Soleil, la Lune et la Voie Lactée, ce Gulf-Stream des cieux. On se pourvoira de vêtements bons à user dans le Soleil. Notre programme est combiné de telle sorte que nous ferons rarement plus de 100,000,000 de milles d’une traite et sans nous arrêter à quelque étoile. Il en résultera que les arrêts seront forcément fréquents, et l’intérêt constant pour le touriste. On dépose les bagages sur tous les points de la route. Les personnes qui, par économie, désireraient ne faire qu’une partie du tour projeté, pourront s’arrêter à l’étoile qu’elles choisiront et attendre le voyage de retour.

Après avoir visité toutes les étoiles et les constellations les plus connues de notre système, et avoir examiné personnellement les étoiles les plus éloignées que les télescopes les plus puissants ont actuellement découvertes dans notre firmament, nous entreprendrons de bon cœur
 

Un Prodigieux Voyage

 

de découverte dans les tourbillons des mondes sans nombre qui troublent de leur vacarme les vastes déserts qui déploient leurs solitudes solennelles et leur inimaginable étendue à des billions et des billions de milles au-delà de la limite la plus éloignée de la vision télescopique. Nous irons jusqu’à ce que la petite voûte étincelante, que nous contemplions de la Terre, nous apparaisse comme une lueur phosphorescente de paillettes. Les enfants occupant des sièges à la première table paieront place entière.
 

Le Tarif de 1ère classe

 

de la Terre à Uranus, avec visites au Soleil, à la Lune et à toutes les planètes principales de la route, ne sera que de 2 dollars par 50,000,000 de milles de marche. On fera une grande réduction aux personnes qui voudront faire l’excursion entière. Cette comète est neuve, en excellent état et en est à son premier voyage. Elle fait 20,000,000 milles par jour ; mais, avec un équipage américain choisi et le beau temps, nous sommes certains de pouvoir en tirer 40,000,000 de milles. Toutefois, nous ne la lancerons jamais à une vitesse dangereuse et nous défendrons absolument toute course avec les autres comètes. Partout où les voyageurs voudront prendre une autre direction ou revenir, on les transbordera sur d’autres comètes. À tous les points principaux, nous sommes intimement unis avec toutes les compagnies sérieuses. La sécurité en dépend. Car on ne saurait nier que les cieux sont infestés de
 

Vieilles carcasses de comètes

 

qui n’ont été ni inspectées ni examinées depuis dix mille ans et qui depuis longtemps doivent être détruites ou devenues de mauvaises barques ; mais nous n’avons avec elles aucune relation. Il est défendu aux voyageurs d’arrière de dépasser la grande écoutille.

Des billets de faveur pour l’excursion entière ont été offerts au général Butler, à MM. Sheperd et Richardson et à d’autres hommes éminents qui, par leurs services publics, ont droit au repos et à la récréation d’un tel voyage. Les personnes qui désirent faire l’excursion complète auront des commodités exceptionnelles. Le voyage entier sera achevé et les voyageurs débarqués à New-York le 14 décembre 1991. La plupart des employés du trésor comptent faire tout le voyage si leurs commettants leur accordent un congé. Tout amusement inoffensif sera permis à bord, mais les poules sur la marche de la comète seront défendues, ainsi que le jeu sous toutes ses formes. Nous respecterons toutes les étoiles fixes, mais nous fixerons toutes les étoiles qui sembleront avoir besoin d’être fixées. Si cela cause du trouble, nous en serons fâchés, mais nous resterons fermes.

M. Coggia nous ayant loué sa comète, elle ne portera plus son nom, mais celui de mon associé.
 

N.-B. – En payant place double, les passagers auront droit à une part de toutes les nouvelles étoiles, soleils, lunes, comètes, météores et magasins de tonnerres et d’éclairs que nous pourrons découvrir. Les médecins spécialistes voulant faire de la réclame remarqueront que
 

Nous emportons des tableaux d’affiches

 

et des pinceaux et de la peinture pour l’employer dans les constellations. On rappelle aux partisans de la crémation que nous allons tout droit, – à certains endroits très chauds ; – ils peuvent déjà passer des traités. Pour les autres personnes, notre entreprise n’est qu’un voyage d’agrément, mais pour nous c’est une affaire. Nous jugeons notre comète à sa valeur.
 

Pour plus amples renseignements

 

Pour le chargement et pour les places, s’adresser à bord ou à mon associé, mais non à moi, car je ne me chargerai de la comète que quand elle aura levé l’ancre. Il est nécessaire, en un temps comme celui-ci, que mon esprit ne soit pas surchargé de petits détails d’affaires.
 
 

 

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(Mark Twain, « A Curious Pleasure Excursion » [New York Herald Tribune, 6 juillet 1874], traduction anonyme, in Le Figaro, supplément littéraire, huitième année, n° 39, samedi 30 septembre 1882. Cartes postales de la série « Souvenir de la Fin du monde, » éditées à l’occasion du passage de la comète de Halley, le 19 mai 1910)