Je fais partie d’une Société d’excursionnistes suburbains, les Champêtres du XVIIIe, laquelle est uniquement composée de gens qui se figurent que les dieux ne sont pas morts, – ni les faunes, ni les satyres, ni les dryades…
L’été venu, nous nous réunissons, chaque dimanche, dans un café du boulevard extérieur, et, comme d’autres vont herboriser, nous partons, nous, la canne au poing et les charcuteries en sautoir, à la recherche des nymphes bocagères.
En ma qualité de vice-sous-secrétaire adjoint de ladite compagnie, il m’arrive parfois de devancer l’époque officielle des promenades et de faire quelques reconnaissances préliminaires dans les environs.
C’est ainsi que, l’autre matin, je me suis rendu à Ville-d’Avray – localité qui m’avait été signalée comme devant être le séjour des dernières nymphes du Parisis.
Après avoir côtoyé le parc d’Alphonse Lemerre et salué en passant le bon Corot, je suis allé, pipe fumant, rôder autour du vieil étang peuplé de grenouilles.
« Ici, pensai-je, en m’embusquant derrière ce rideau de roseaux, je serai merveilleusement bien pour épier les naïades, si toutefois il leur plaît de venir folâtrer parmi les gazons neufs et les violettes nouvellement parues. »
Or, au moment précis où je me livrais à ces réflexions, j’entendis du bruit à main gauche.
Un homme jeune encore parut, vêtu d’un complet de drap bleu marine. Il avait aux jambes des guêtres de cuir fauve, et, chose bien faite pour me stupéfier et me réjouir, – il portait en bandoulière une énorme flûte de Pan.
Oui, oui, une flûte de Pan, vous avez bien lu. Non pas un de ces joujoux misérables comme en ont les chevriers basques de nos trottoirs, mais un vaste instrument dont les tuyaux étaient pour le moins aussi gros que le doigt.
Il n’y avait pas à tortiller, j’étais en présence d’un faune. Habillé au Petit Matelot, c’est possible, mais faune néanmoins.
Lorsqu’il fut arrivé au bord de l’eau, le faune huma le vent avec inquiétude. Il eut même un regard méfiant pour le frêle esquif amarré au tronc d’un larmoyant vieux saule.
Mais comme l’esquif était sans nautonier et qu’aucune intrusion vraiment ne paraissait imminente, il se rassura peu à peu, décrocha son instrument et se mit en devoir d’éveiller les échos d’alentour, lesquels avaient suffisamment dormi comme cela, du reste, vu qu’il était onze heures et demie du matin.
Sans doute, il voulait charmer quelque divinité riveraine, et, cette beauté dépourvue de voiles vains, j’allais, moi, simple mortel de deuxième classe, la voir indubitablement yssir de l’eau, la chevelure ruisselante de perles…
Je n’allais pas m’embêter !
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Mais, le faune s’étant assis sur l’herbe, voici qu’à mon grand dam et complet étonnement, il entreprit de démonter sa flûte.
Un à un, il enleva les ligaments qui reliaient entre eux les roseaux, et, minutieusement, il rangea les roseaux sur le gazon, dans un ordre voulu.
Puis, les ayant emmanchés l’un dans l’autre, il adapta, au bout de l’étrange perche ainsi obtenue, un long fil…
… Et tranquillement se mit à pêcher à la ligne.
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(George Auriol, « Sur le pouce, » in Le Journal quotidien, littéraire, artistique et politique, quatrième année, n° 927, vendredi 12 avril 1895 ; gravure d’après un tableau d’A. Schwartz, pour illustrer le poème « Der Faun » d’A. von Hardenstein, c. 1900)