TROISIÈME PARTIE

 

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CHAPITRE Ier

L’ULTIMATUM

 
 

Après sa défaite de 1918, l’Allemagne n’avait cessé d’éluder par tous les moyens les stipulations du traité de Versailles. Ce traité, conçu non par des réalistes mais par des idéologues, et qui était différent de celui, qu’en supposant les rôles renversés, nous eût imposé l’Allemagne victorieuse, lui fournissait surabondamment des échappatoires, des moyens dilatoires, des voies de recours et de discussion. On eût obvié à ces regrettables conséquences si les Alliés s’étaient trouvés d’accord pour faire peser sur l’Allemagne une main de fer. Mais il n’en était rien. L’Angleterre, craignant que la France ne prenne à la suite de sa victoire une place prépondérante en Europe, ménageait l’Allemagne et, par suite, l’autorisait sournoisement à garder une organisation militaire secrète. En cette année 1925, le gouvernement français éprouvait les plus graves inquiétudes en face du redressement militaire et économique de l’Allemagne qui, profitant de la désorganisation de la Russie par le bolchevisme, avait colonisé une partie de ce pays et menaçait de jeter sur l’Occident des masses de moujiks enrégimentés et caporalisés.

Et voici que l’Allemagne se croyait en effet assez forte pour ne pas hésiter à tenter sur le territoire même de notre pays, et au mépris de la souveraineté française, un coup de main qui pouvait être considéré à juste titre comme un casus belli. La participation officielle du gouvernement allemand au vol des dossiers de Glaber n’était pas niable. Le document saisi par Barrel ne laissait aucun doute à cet égard. Il révélait même qu’un grand État-major boche s’était réorganisé et fonctionnait à Berlin. Barrel l’avait remis en mains propres au maréchal Foch, alors ministre de la guerre, et le maréchal n’avait pas considéré sans émotion ce bout de papier d’où pouvait sortir une nouvelle conflagration européenne. Sa grande âme ne voyait pas sans horreur les affres des nouvelles batailles : il était celui qui, le 11 novembre 1918, avait renoncé à la gloire d’abattre et de capturer d’un seul coup toute l’armée allemande pour éviter la mort de milliers d’hommes sacrifiés dans une dernière offensive. Cependant, il ne pouvait se dissimuler la gravité du document que lui transmettait Barrel.

Le conseil des ministres se réunit d’urgence. On ne pouvait laisser l’Allemagne détentrice du prodigieux secret. Mise en sa possession, elle ravissait à la France sa primauté mondiale et, avec le génie infernal qui était le sien, elle ne manquerait pas de l’utiliser en vue de nouvelles conquêtes et d’une nouvelle poursuite de l’hégémonie mondiale.

L’émotion fut intense dans le public dès qu’y fut connue cette grave nouvelle. Les éléments révolutionnaires s’agitèrent. Socialistes, extrémistes, communistes de toute nuance avaient toujours eu pour le Boche une mystérieuse sympathie. Dans leur haine contre la Patrie, ils en venaient à haïr celle même qui leur avait donné le jour, pour porter à l’ennemi le tribut de leur cœur et l’hommage de leurs sentiments : d’ailleurs, l’or de Berlin, et celui de la juiverie internationale attentive à une révolution universelle qui lui permettrait de tripoter à son aise, n’était pas étranger à leurs ardeurs révolutionnaires. Tout une pouillerie crasseuse, venue des ghettos d’Orient en France grâce à la faiblesse du gouvernement, les appuyait dans leur œuvre agitatrice. Ils déclarèrent que la découverte de Frédéric Glaber devait appartenir au monde entier, qu’elle était très bien entre les mains de l’Allemagne et qu’il serait fou de mobiliser un seul homme pour l’y aller reprendre. Il fallut sévir. Dans la Drôme, on arrêta l’agitateur Jules Blanc, dont le ventre célèbre et la barbe historique allèrent continuer de fructifier à l’ombre d’une prison d’État. Il y était fort bien nourri – chose que ne dédaignait pas son estomac bolchevik – et y goûtait un doux farniente. Ce qui n’empêchait pas ses amis de le déclarer martyr et de publier des images où l’on voyait Jules Blanc coupé en petits morceaux sur un banc de torture de l’Inquisition !!!

Dans son immense majorité, le pays se dressa centre l’Allemagne. Tous, au surplus, n’étaient pas animés par le seul et pur patriotisme. Ils voyaient le bonheur leur échapper et ils n’admettaient point que l’étranger le leur ravisse. Cramponnés à la vie, ils songeaient avec terreur que, le secret de Glaber ayant disparu, il leur faudrait sans doute se remettre sous le joug de la mort. Les masses n’avaient pas assez de philosophie pour s’y résigner. C’est pourquoi elles hurlaient que l’on mobilisât pour aller reprendre à Berlin le secret de ne jamais mourir.

Appuyé sur ce formidable courant d’opinion publique, le gouvernement se sentit fort. Cependant, la situation était complexe. S’il allait au-devant d’une rupture avec l’Allemagne, n’était-il pas à redouter que l’Angleterre, continuant à tenir le rôle louche qu’elle avait commencé de jouer dès l’élaboration du traité de Versailles, ne vînt au secours de l’Allemagne ? On pouvait le craindre, lorsque se produisit un événement qui, tout en étant lourd des plus tragiques conséquences, allait singulièrement modifier le cours des événements politiques.

Le conflit qui, depuis quelques années, couvait entre les États-Unis et le Japon venait de passer de l’état latent à l’état aigu. Les deux grandes puissances qui, depuis longtemps, se disputaient l’hégémonie du Pacifique – Oh ! ironie des choses qui avait appelé « pacifique » l’océan qui allait servir de champ clos à ce formidable duel – ne voyaient plus que le canon pour régler une situation où avortaient les moyens diplomatiques. Car la guerre, dont Léon Daudet a dit si justement « que l’humanité la maudit avec raison tout en s’y livrant avec fureur, » est une loi innée de la vie. La volonté des hommes, même des chefs d’état, ne pèse que peu de chose dans la terrible balance. La guerre a ses causes profondes intimement liées au déroulement de la vie. On se bat pour manger, on se bat pour caser un excédent de population, on se bat pour tenir des débouchés commerciaux et industriel, on se bat pour posséder des mines d’or ou des puits de pétrole, en un mot pour mille causes sociales ou économiques, tant il est vrai que la découverte même de Glaber n’était rien en présence de la vie qui mène à la guerre et à la mort, et que, même après la découverte qui permettait de ne plus mourir, les hommes se jetaient avec frénésie vers la guerre, vers l’hécatombe, vers la mort.

En mai 1925, sans que la guerre fût encore déclarée, les États-Unis et le Japon mobilisaient sur terre et sur mer.

Or, l’Angleterre ne pouvait rester indifférente à ce grand drame. Elle avait pour cela de trop grands intérêts en Asie et en Orient. L’avenir de ses possessions du Siam et de l’Inde était trop directement engagé dans le problème pour qu’elle pût s’en désintéresser. Elle commença donc à préparer ses armements, prête à intervenir dans le choc asiatique et à appuyer celui des belligérants dont le triomphe lui paraîtrait le plus conforme à ses intérêts.

Mais par là même, et du même coup, elle était détournée des affaires européennes. Quoi qu’il advienne entre la France et l’Allemagne, elle était dans l’impossibilité matérielle d’y jouer un rôle. C’est pourquoi la France, toujours sûre de l’appui loyal de la Belgique, se dressa sans hésiter devant l’Allemagne. Le gouvernement formula un ultimatum au terme duquel le Reich devait, dans un délai de 72 heures, restituer, dans leur intégralité, les dossiers de Frédéric Glaber.

Les heures passèrent dans une grande attente nerveuse. Au matin du 3e jour, on apprit que non seulement l’Allemagne ne répondrait pas à l’ultimatum, mais qu’elle venait de mobiliser secrètement. Toute une organisation militaire, jusque-là soigneusement grimée et camouflée, venait de surgir du sol. En quelques heures, des nouvelles formidables se multipliaient. Les troupes allemandes se massaient sur la frontière suisse et il se confirmait que l’Allemagne allait violer la neutralité suisse, comme elle avait piétiné en 1914 l’indépendance de la Belgique. N’espérant plus surprendre à nouveau ce pays qui se tenait sur ses gardes depuis que l’ère des complications était ouverte, songeant d’ailleurs que la manœuvre tournante à grande envergure par la Belgique avait, en 1914, révélé diverses difficultés assez graves pour en entraver le succès, l’Allemagne avait préparé un nouveau plan qui comportait une marche brusquée à travers la Suisse.

L’offensive allemande, en effet, ne pouvait guère attaquer de front notre frontière de l’Est. La Rhénanie et la ligne du Rhin étaient trop solidement gardées. Ce barrage fût-il forcé que l’adversaire se fût heurté à la ligne des Vosges et à celle des Hauts-de-Meuse, contre laquelle il s’était déjà brisé en 1914. Il fallait donc tourner notre ligne défensive de l’Est, ce qui impliquait le passage ou par la Belgique ou par la Suisse. À travers celle-ci, on pouvait concevoir deux offensives : un mouvement tournant au Sud de Bâle, permettant de déboucher dans la Haute-Alsace et le Doubs – une offensive par la vallée de l’Aar : en ligne générale, Brugg, Soleure, lac de Morat, rive ouest du lac Léman. Arrivée là, elle pouvait diriger trois tentacules vers la Haute-Savoie, vers l’Ain, vers le Jura.

En présence de ces conjonctures, le gouvernement français se vit acculé aux résolutions extrêmes. Un décret ordonna la mobilisation de 25 classes de réserve. Devant l’éventualité d’une invasion par la Suisse, les armées reçurent la formation suivante. Elles furent groupées sur tout le cours du Rhône et la frontière Suisse : le Doubs, le Jura, l’Ain, la Haute-Savoie, l’Isère et le Rhône reçurent respectivement les 1, 2, 3, 4, 5 et 6e armées. Deux armées de réserve : la 7e avec son centre à Valence, la 8e avec son centre à Montélimar, furent massées dans la Drôme.
 
 

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(Henry Guenser, in Journal de Montélimar et de la Drôme, soixante-quatrième année, n° 36, samedi 3 septembre 1921 ; « La Panacée universelle, » illustration de Carlo Farneti pour la collection artistique des laboratoires Somnothyril, c. 1931-32)