Ce matin-là, la section « B » apprit qu’elle allait avoir à faire une démonstration de parachutage.
Il en avait été question à la cantine depuis un bon bout de temps, aussi personne ne fut surpris de le voir, noir sur blanc. Johnny ne s’en préoccupa nullement, car il avait déjà à son actif un nombre respectable de sauts. Un de plus n’était pas pour lui faire peur.
Cela se passait avant qu’il ne vît le chat noir.
La veille, Johnny était allé faire un petit somme après l’appel.
Le chat se glissa furtivement dans la baraque-chambrée, hésita un instant comme indécis, puis se dirigea droit vers le lit de Johnny.
Le premier sentiment que Johnny eût de sa présence fut quand le chat se frotta contre sa main. Johnny fit un bond, comme s’il avait été piqué.
Il sut tout de suite que quelque chose allait lui arriver. Il en était toujours ainsi. La combinaison de Johnny et d’un chat noir avait toujours provoqué des troubles.
Tout le monde savait que Johnny était superstitieux. Être le troisième à prendre du feu ou mettre les couteaux en croix annonçaient à Johnny la malchance, et il la trouvait invariablement.
Mais un chat noir était le signe d’une calamité majeure. Sa mère, convalescente d’une maladie grave, était morte après qu’un chat noir se fût assis sur le seuil de sa chambre.
Le docteur prétendit qu’elle avait eu une rechute. Johnny garda son opinion pour lui.
Un soir, son frère avait ramené à la maison un petit chat perdu, une cocasse petite boule de duvet noir. Mais quand il était devenu grand, il s’était révélé un diable à quatre pattes, un ouragan de perfidie et de griffes.
Johnny songea au saut du lendemain… Un saut en parachute coïncidant avec la rencontre d’un chat noir, il savait à quoi s’attendre.
Le lendemain matin, la section « B » fut passée en revue et s’avança vers le hangar de magasinage pour « toucher » les parachutes. Pour le sergent, tout était routine. Il avait l’habitude.
« Voilà pour vous, fiston, dit-il à Johnny, avec une grimace. Un spécial. Un blanc linceul. »
Johnny ne goûta pas la plaisanterie.
« Le chat noir, le chat noir… » Ses pas rythmaient l’avertissement tout le long du chemin vers l’avion qui attendait. Johnny était baigné de sueur, tandis que le Dakota grondait en montant. Le chat se moquait de Johnny. Il voyait sa tête partout ; le chat lui clignait de l’œil. Il se dessinait dans les reflets de sa boucle qui l’accrochait à l’avion.
« Position de départ ! »
Johnhy s’approcha de la trappe, guettant le moment où le signal rouge allait devenir vert. La voix du chef retentit : « Numéro un, départ !… deux !… trois !… quatre !… » Et Johnny se lança par la trappe ouverte.
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Le courant d’air le happa, le projeta dans le sillage de l’appareil. Une légère secousse… le parachute s’ouvrit en une ombrelle de soie blanche et gonflée. Puis il se balança mollement jusqu’au sol.
Il n’aurait pas dû en être ainsi. Johnny le savait. Tout avait été trop facile.
Sa chance lui semblait invraisemblable et préoccupait son esprit superstitieux.
Et c’est pourquoi, de plus en plus intrigué par cette entorse à sa superstition, plongé dans des méditation sur « la veine, » ce jour-là, quelques heures plus tard, il descendit du trottoir sur la chaussée sans remarquer l’autobus qui l’écrasa.
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(D.-H. Rose, traduit de l’anglais par J. Birge, in Paris-presse, troisième année, n° 564, samedi 7 septembre 1946 ; illustration de Gyula Zilzer pour « Le Chat noir » d’Edgar Allan Poe, Paris : Picart, 1927)