Comme je m’en revenais titubant
du cabaret des cent paroles,
– mélanges sans nom, toxiques violents, –
comme je m’en revenais, les jambes molles
du carnaval des postulats,
après maintes stations aux morales publiques
et maints horions avec ces dames les éthiques…
ayant goûté de tous les plats ;
ayant rongé les livres jusqu’aux os ;
ayant sucé les os jusqu’aux mœlles…
Comme je m’en revenais, si pauvre bateau !
de toutes parts prenant l’eau,
et la guerre civile en ma cervelle,
j’ai entendu vivre derrière mon dos.
Il faisait noir
à n’y pas voir,
malgré tant de raison et tant de foi,
à trois pas devant soi.
Comme je m’en revenais haletant,
hardes collées à mon dos glacé,
du concile des trépassés,
méditant la leçon du temps,
j’ai senti la mort derrière mon dos,
goulûment déjà, vivre à mes dépens.
Brusquement me retournant,
je l’ai assommée à grands coups de mes vingt ans
et je l’ai chargée sur mon dos.
Comme je m’en revenais avec mon fardeau,
triste chasse sur mon dos,
j’ai rencontré en chemin,
géant pesant du front, le berger du destin
que suivait dans son ombre immense, les présages,
et j’ai reconnu là tous mes mauvais visages !
Je suis passé en courant…
Des cailloux ont coupé le vent.
Je suis descendu avec mon fardeau,
des heures durant jusqu’au noir caveau
creusé tout en bas de « mon » escalier…
de mon escalier que je connais bien..
de mon escalier, depuis mon matin,
diminué déjà de quelques paliers !
J’ai enfoui le monstre au fond de « ma terre »
dans le bois, le fer, le plomb et la pierre.
J’ai raillé très haut
sur son « à bientôt, »
et suis remonté léger vers la joie
chantant l’aube levante à pleine voix.
*
Comme je m’en revenais un soir, ressorts brisés,
avec du « lourd » à mes souliers,
ivre de gris broyé
à m’en crever les yeux en face du soleil,
j’ai buté ! j’ai roulé ! ah j’ai roulé !
jusqu’au bas de mon escalier !
Or, allongé dans l’huile douce du sommeil,
je fus des jours durant plus « rien » que le zéro
et bien souvent j’ai cru, la lueur d’un éclair,
que c’était moi déjà l’amande du caveau,
l’amande pourrie et le ver.
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(René Arcos, in Dernier Cahier de Mécislas Golberg, Reims : Jean-René Aubert, 1908)
Illustration de Jean Gourmelin.