HERTZ1

   Le désenchantement de Jules Laforgue – celui de l’atroce monotonie des jours, – Henri Hertz l’a connu, mais avec une nuance personnelle dont le tout premier poème des Apartés : Levers de tous les jours, accuse le caractère tragique. La vie ? – Un duel brutal de l’âme folle d’espoirs avec le temps, fatal vainqueur, depuis « l’aube ennemie, » lourde comme le soir, jusqu’à la chute dans la mort du sommeil :

 

Ah, mon âme, en quoi es-tu,

Que tout ce qui est réel te tue ?

 

La seule consolation, elle est dans les vaines contrées des rêves ou des cauchemars. Car c’en est fini des « légendes fortunées », et

 

Quand la cheminée aura rendu ses cendres,

La dernière dupe de Barbe-Bleue s’ira pendre.

 

Henri Hertz a beau intituler l’un des livres des Apartés : Les légendes survivantes, c’est par un « De Profundis des Légendes » qu’il l’inaugure. Ne sait-il pas nous dire ?

 

Les mendiants féeriques, s’ils frappent à ta porte,

Ne leur ouvre pas.

Car si tu ouvres, tu ne verras

Que la grande nuit vivante qui est morte.

 

Au poète de créer de nouvelles légendes, celles que le romancier – encore et toujours poète – suscitera en enveloppant d’une atmosphère irréelle les faits-divers de la plus banale réalité, nous emportant avec lui « vers un monde volage » ou inventant, à l’usage des mornes humains quelque « jeu du Paradis » ! La foi est à jamais évanouie :

 

Dieu n’est plus à la maison.

Où est l’Eldorado du Dieu perdu : à quelle station ?

 

Il faut s’étonner que l’on n’ait guère été sensible jusqu’ici au tourment profond du divin chez le poète des Apartés :

 

Versets désespérés par lesquels s’acquitte

Ton âme, et la dérive de sa foi…

 

et que l’on reste dupe des simples apparences que sont l’ironie parfois cynique, l’humour des boutades, l’imprévu des coq-à-l’âne et le jeu fantaisiste des rimes. Les sons qui se font écho sont un divertissement, une nasarde au destin, pour qui sait vaine la recherche d’un dieu qui s’évade :

 

Nous rentrerons bredouilles au vieux foyer,

Et tu riras, Seigneur, de nos mines noyées.

 

Car la Promenade avec Dieu ne sera qu’une illusion de plus. Il s’agit de cautériser son cœur. Mais « avec quoi ? avec quoi ? Oh, si vous la savez, dites-le moi. » Les images peuvent varier, la préoccupation reste la même : se délasser de ses travaux forcés, découvrir n’importe quoi pour nous halluciner ! Femmes embrassées, rêveries, un mât… L’ordre des remèdes n’est pas simple hasard. Car si la femme peut dispenser l’oubli, durant quelques heures, l’amour est chose fugace et « moi, j’use – mon lot – de Ninon de Lenclos ». Plus que de corps charmants, de falbalas et de doux poisons vénériens – Adam et Eve, ah ! quel vieux rêve ! – c’est de la mer que le poète attend à la fois la pleine conscience de son mal de vivre et, sinon la guérison, du moins l’espoir d’une évasion hors du « cycle » dont il est prisonnier sur la terre. La mer n’aura été pour Henri Hertz une merveilleuse pourvoyeuse d’images que parce qu’elle est, plus encore que pour Heine, l’élément propre de son âme :

 

Une vocation hâve

Me saisit : je humais le ciel des baves 

Qui moutonnaient dans le plaisir,

Et je voulais partir.

 

Il se voit mousse, capitaine de navire, matelot en bordée, agonisant au fond d’un navire. Sa vie intérieure se transpose naturellement en scènes maritimes. Tout poète a sans doute un lieu idéal d’où il découvre le monde : le sien, c’est la hune de la vigie, ballottée par les vagues, fouettée par les vents, et d’où il peut s’écrier « dompteur : L’univers, c’est moi… Avec ma pique, je tâte l’eau et le firmament. Je suis le pêcheur des continents… » et ceci, encore :

 

Le secret de la mort,

Peut-être qu’à un tournant

Je le découvrirai aussi avec Dieu dedans. 

 

Christian Sénéchal

 

 

Œuvres. – 1) Poèmes : Quelques Vers (Messein, 1906) ; Les Apartés (La Phalange, 1912) ; Lieux communs (Éditions des Cahiers de l’Artisan, 1921) ; Le Guignol horizontal (Éd. de la Galerie Simon, 1923). – 2) Romans : Sorties (Rieder, 1921) ; Vers un monde volage (Rieder, 1924) ; Le Jeu du Paradis (N. R. F., 1927). – 3) Critique : Henri Barbusse (Éditions du Carnet critique, 1919) ; Degas (Alcan, 1920). – 4) Théâtre : Les Mécréants, mystère civil en 4 actes (Bernard Grasset, 1909).

 

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(in Poésie, cahiers mensuels illustrés, 11ème année, n°3, mars 1932)