Ce cadavre raidi que les cierges blafards
De jaunâtres reflets éclairent sur sa couche,
Vivant, sut illustrer la critique et les arts
D’un nom qu’avec amour prononce chaque bouche.
Plus d’un pauvre vivait du gain de son pinceau,
Et l’esprit aiguisait le bec d’or de sa plume,
D’où la prose et les vers coulaient comme un ruisseau
Frais et fortifiant, sans un flot d’amertume.
Un poète, à travers les larmes de ses yeux
Á peine distinguant les lignes qu’il crayonne,
A veillé, s’efforçant dans un sonnet pieux
D’enfermer le parfum de cette âme si bonne.
Et l’on ne peut ouïr sans attendrissement
D’autres amis tout bas se demander quel arbre
Ombragera le mieux l’auguste monument
Où sa figure au moins revivra dans le marbre.
Tout Paris au convoi demain se foulera ;
Pendant un mois entier graveurs et journalistes
Reproduiront son deuil, où le grand Opéra
Doit pour le requiem envoyer ses artistes !
Mais, tandis que l’on brode à l’envi son linceul,
Dans son coin, un bonnet de coton sur la tête,
De tant d’honneurs promis ignorant lui tout seul,
Le pauvre mort glacé pue et rit d’un air bête.
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(Alfred Ruffin, Poésies variées et Nouveaux chats, Paris : Librairie des bibliophiles, 1890)