MON CREDO1
 
 

Je crois en Dieu qui n’est point matière et qui a créé en six jours ce qu’on appelle assez improprement le ciel et la terre ; car autant vaudrait comparer un grain de sable ou un atome à l’infini, à l’immensité.
 

Je crois en Dieu qui a créé l’homme et les bêtes, et qui a fabriqué l’homme et la femme, de manière qu’ils devaient nécessairement l’offenser et le mettre en colère.
 

Je crois en Dieu qui a créé les lions, les serpents, les puces, les loups, les crocodiles, etc., etc., pour être nuisibles à l’homme, à cause de la désobéissance du premier père.
 

Je crois qu’une pomme est la source funeste de tous les maux du genre humain, de la peste, de la guerre, de la famine, des deux véroles, de la fièvre, de la pierre et de la gravelle, etc., etc. Je crois en Dieu qui a inspiré Moïse, et qui l’a rendu plus grand sorcier que les sorciers de Pharaon.
 

Je crois en Dieu qui a envoyé une armée de sauterelles en Égypte, et qui a fait tuer en une nuit tous les premiers-nés de ce beau pays. Je crois en Dieu qui a commandé à la mer rouge de s’ouvrir pour laisser passer son petit peuple dans un désert où il devait mourir.
 

Je crois en Dieu qui a inspiré à la belle Judith de massacrer le vaillant Holopherne, tandis qu’il dormait, mort ivre et hors d’état de se défendre, après en avoir été traitée avec la plus grande courtoisie.
 

Je crois en Dieu qui a commandé, qui a autorisé tous les assassinats, toutes les guerres, les trahisons et les horreurs qui fourmillent dans la bible ou l’ancien testament.
 

Je crois en Dieu qui a créé Samson le fort, digne image de son très-cher fils Jésus. Je crois de plus au St.-Esprit qui a dicté tant de belles choses (1). Je crois très fort que les petits peuples des Juifs sont nos pères, nos ennemis et nos législateurs.
 

Je crois en Jésus, né d’une vierge qui l’a conçu sans opération charnelle. Je crois de tout mon cœur que le bon St.-Joseph, cet honnête charpentier, était le père putatif de Jésus, et qu’il n’avait jamais couché avec la Ste.-Vierge.
 

Je crois que Jésus, le roi des rois, est né entre un âne et un bœuf, et que trois puissants monarques ont quitté leur pays à propos de bottes, pour aller adorer cette sainte famille, et insulter par la pompe de leurs vêtements à l’indigence extrême du sans-culotte Jésus. Je crois fermement qu’Hérode a fait massacrer un grand nombre d’enfants, pour se défaire d’un enfant qu’il ne connaissait pas. Je crois ce fait, quoique ce roi fût très humain, et qu’aucun auteur digne de foi ne fasse mention d’une action aussi abominable.
 

Je crois que Jésus a changé de l’eau en vin dans une noce où tout le monde était ivre. Je crois que Jésus a enseigné des docteurs, quoiqu’il ne sût ni lire ni écrire. Je crois que Jésus s’est choisi douze compagnons dans le peuple, quoiqu’il n’eût pas le moyen de les nourrir.
 

Je crois que Jésus était Dieu et fils de Dieu, quoiqu’il payât la capitation. Je crois que Jésus était le roi des Juifs, quoiqu’il fût pauvre. Je crois tout cela par la raison que c’est incroyable, comme l’a dit un père de l’église. Je crois que Jésus s’est fait crucifier pour l’amour de nous, et qu’il est enfin ressuscité au bout de trois jours, malgré les soldats qui le gardaient. Je crois qu’il est monté au ciel, et qu’il y retient des places pour moi et mes amis.
 

Au surplus, je crois au jugement dernier, à l’apocalypse, à l’éclipse universelle qui duré trois heures ; j’y crois volontiers, quoiqu’il soit certain et démontré qu’une éclipse ne peut être générale, et quoique les Romains, les Chinois, et le reste de la terre éclipsée, n’aient jamais fait mention de ce grand phénomène.
 

Je crois à la grâce efficace, à la grâce suffisante et à tout ce que l’on voudra. Je crois en un mot qu’il est jour quand il est nuit, et je damne tous ceux qui ne sont pas de ma religion et de mon avis.
 

Par le citoyen V…..

 

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(1) L’auteur pouvait ajouter : qui a dicté à Mahomet son Coran, et qui a apporté à un fanatique de Reims une bouteille d’huile rance, qui servait à graisser un tyran imbécile pour le malheur de plusieurs milliards d’hommes.

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(Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne, Les Nuits d’hiver : variétés philosophiques et sentimentales, contes et nouvelles en vers et en prose, Paris : Mercier, Imprimeur-Libraire, an III, 1794)