PAR IMAGE2
 

_____

 
 

Ami d’André Breton et du groupe surréaliste qu’il rejoint dès 1934, Henri Parisot, traducteur consacré de Lewis Carroll, de Coleridge, de John Keats, a créé il y a de cela près de trente ans, à travers « L’Âge d’or, » plus qu’une collection : une « Arche de l’imaginaire » selon une formule de Breton, une bibliothèque idéale consacrée à la littérature et la poésie fantastiques.

La première collection « L’Âge d’or » voit le jour en 1945, aux éditions de la revue Fontaine ; paraissant sous une couverture de Mario Prassinos, c’est là que sont publiés entre autres : Thalassa dans le désert, de Francis Picabia ; Le Campanile, d’Herman Melville, dans une traduction de Pierre Leyris ; Au pays des Tarahumaras, d’Antonin Artaud ; Premières Alluvions, de René Char ; Liberté d’action, d’Henri Michaux.

Vers 1948, « L’Âge d’or » se poursuit aux éditions Robert Marin, avec, entre autres, La Lampe dans l’horloge, d’André Breton et Lettres aux enfants, de Carroll.

En 1950, « L’Âge d’or » regroupe une série d’ouvrages qui paraissent sous une couverture de Max Ernst, aux éditions Premières cette fois : Psyché, d’Alberto Savinio, Tranches de savoir, d’Henri Michaux, La Chasse au Snark, de Lewis Carroll, pour ne citer qu’eux.

Vers 1960, Henri Parisot propose à Flammarion de reprendre sa collection.

Après Hebdomeros, de Giorgio de Chirico, les Contes fantastiques complets d’E. T. A. Hoffmann, Villiers de L’Isle-Adam, les ouvrages paraissent sous une couverture originale de Max Ernst et parmi ceux-ci : Vie des fantômes, d’Alberto Savinio ; les Aventures d’Alice au pays des Merveilles, de Carroll ; Les Poèmes d’Edgar Allan Poe ; La Fille de Rapaccini, de Nathaniel Hawthorne.

De la féérie à l’humour noir, pour Henri Parisot il s’agit avant tout de publier pour le plaisir, pour se faire plaisir et faire plaisir : le rêve d’un seul homme.
 

Henri Parisot, il y a entre vous et la collection « L’Âge d’or » une longue histoire. Pourquoi ce titre ? Est-ce une allusion à un âge mythique, disparu ?
 

Je crois que ce titre a un peu le sens que vous lui prêtez. Il s’agit en tout cas de publier des ouvrages qui selon mon goût représentent une certaine qualité.
 

Dans la collection « L’Âge d’or, » j’entends dans sa forme actuelle chez Flammarion, à part quelques titres comme Vie des fantômes, de Savinio, Le Cornet acoustique, de Léonora Carrington et Hebdomeros, de Chirico, l’essentiel de la production fait appel à des ouvrages du XIXe siècle.
 

Il faudrait peut-être d’abord un peu éclaircir les choses. Le propos de ma collection est avant tout de réunir certains textes, un certain nombre d’œuvres inconnues ou insuffisamment connues dont les auteurs se sont efforcés non pas de refléter les seules apparences mais d’aller au-delà de celles-ci. Le fantastique est selon moi l’une des manifestations de cette réalité intérieure dont la quête seule à mon sens justifie que l’on prenne la peine de lire. Mais le merveilleux, l’humour, ont eux aussi leur place dans une collection comme celle-ci qui entend explorer les domaines les plus divers de la poésie et de l’imagination. À vrai dire, les auteurs qui m’intéressent le plus sont les précurseurs du surréalisme, ceux dont Breton avait parlé dans sa fameuse liste : Lisez, ne lisez pas. Breton conseillait de lire Swift plutôt que Molière, Huysmans plutôt que Daudet. J’ai repris l’idée de Breton et j’ai voulu réunir dans cette collection des œuvres à la fois surréalistes et fantastiques, ou présurréalistes. Dans le terme surréaliste, j’inclus le fantastique, l’humour, l’humour noir, le « nonsense, » le merveilleux, tout ce qui m’est personnellement agréable.

La seule littérature qui me parle vraiment est la littérature fantastique. Carroll est un conteur fantastique. Breton adorait Carroll. Je me suis intéressé au surréalisme à partir de 1934. Cette collection reflète une grande partie de mes goûts, de mes croyances. Les précurseurs du surréalisme : Lewis Carroll, Coleridge, Edgar Poe méritent plus sûrement le nom de surréalistes que certains surréalistes eux-mêmes.
 

Au moment de la création de la collection chez Flammarion, vers 1960, quelle a été la réaction du public ?
 

Assez tiède, il faut l’avouer. Vous savez, le public que je touche, et je le regrette, est un petit public, je ne dirais pas non plus un public d’initiés, mais un public d’amateurs.

J’ai longtemps, naïvement sans doute essayé de faire connaître ce que j’aimais, de faire partager mes goûts. Je crois qu’il faut que je m’arme de patience.
 

Pensez-vous que votre collection, qui touche, comme vous l’avez dit vous-même, un petit public, soit une collection « difficile » ?
 

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une collection difficile. Ce n’est pas là vraiment que se situe le problème. Ma collection fait appel en grande partie à des ouvrages traduits. Je crois que c’est la conception même de la traduction qui est à revoir en France. Lorsque l’on touche au domaine de la traduction, on se trouve face à deux grands problèmes : d’une part, le fait que certaines grandes œuvres ne soient pas traduites, et, d’autre part, et cela est lié, que nombre de traductions existantes soient très médiocres. Effectivement, la traduction est très mal payée. Le travail d’un traducteur, pour être rentable, devrait être fait en un minimum de temps. J’ajouterai toutefois que je ne pourrais jamais vivre de mes traductions. J’ai toujours gagné ma vie autrement. J’ai toujours traduit pour mon plaisir.

Un livre de Henry James par exemple, doit être aussi bien écrit en français qu’il l’est en anglais.

À chaque réédition, mes propres traductions sont revues et corrigées.

Je crois qu’il faudrait avant tout que le public prenne conscience qu’une traduction n’est pas un sous-produit de la littérature. En outre, le public, en partie le jeune public, a découvert la science-fiction au détriment du fantastique. Il y a d’ailleurs une confusion qui s’est établie ; on parle souvent de fantastique, alors que l’on pense à la science-fiction.

Pour moi, le fantastique s’arrête à Lovecraft. Si ma collection pouvait un peu remettre les choses en place, cela ne me déplairait pas tout à fait.
 

Il y a dans les ouvrages de votre collection, à travers l’absence d’images un certain parti pris d’austérité. Vous avez publié les Contes d’Hoffmann, Lewis Carroll : Hoffmann avait Callot, Lewis Carroll avait Tenniel…
 

C’est vrai. Mais, dès qu’il s’agit d’images, on se heurte à toutes sortes de difficultés avec les éditeurs. Il y a eu chez Aubier-Flammarion une publication de l’ouvrage de Carroll illustré par lui-même et celle de La Chasse au Snark, à la revue Fontaine, en 1946 qui comprenait des illustrations de Max Ernst.

C’est dommage, bien sûr. Je pense que l’image, surtout lorsqu’il s’agit de très belles gravures, est un support au texte, une référence en quelque sorte.

La première publication que j’avais faite de La Chasse au Snark, à la revue Fontaine, en 1946, était accompagnée d’illustrations de Max Ernst.
 

Depuis que cette collection existe chez Flammarion, à part les trois premiers ouvrages, la couverture dessinée par Max Ernst a toujours été un point de repère. En janvier 1976, un changement notable vient d’y être apporté : La Porte de pierre de Léonora Carrington paraît sous une couverture plus classique, plus anonyme, qu’est-ce que cela a provoqué en vous ?
 

La couverture de Max Ernst a de tout temps été un fétiche pour moi. Max Ernst avait eu la générosité de me l’offrir. J’ai tout d’abord déploré ce changement. Puis la réaction d’amis comme André Pieyre de Mandiargues m’a rassuré. Il est vrai que le dessin d’Ernst ne permettait pas de donner suffisamment de place au titre, au nom de l’auteur, etc.
 

Passer de Max Ernst à une couverture de type plus classique veut-il dire que dans le choix de vos œuvres, vous allez céder la place à une forme plus traditionnelle de littérature ?
 

Non, certainement pas. Sinon, je crois que je ne poursuivrai pas cette collection. Mes projets actuels vont en tout cas dans le sens de la collection. Il y a d’abord un second volume de Lettres aux petites filles, suivi de Fantasmagories de Lewis Carroll, un poème presque intraduisible, et, dans le même volume consacré à Carroll, Alice à la scène, un commentaire que Carroll a écrit sur Alice.

Puis, je souhaiterais inclure l’ouvrage de Gisèle Prassinos, Trouver sans chercher, un recueil de ses premiers textes : ceux qu’elle a écrit entre treize et dix-sept ans, qui sont des textes surréalistes, très singuliers, très étranges. C’était le moment où Breton l’appelait l’enfant prodige.

C’est moi qui ai fait connaître Gisèle à André Breton. Je lui ai apporté ses textes au café de la place Blanche où nous avions l’habitude de nous rencontrer avec Paul Eluard, René Char, Benjamin Péret. Breton a été émerveillé.
 
 
PAR IMAGE1
 

Ensuite, paraîtra sans doute un recueil d’Histoires courtes, de Léonora Carrington. Léonora, je l’avais rencontrée chez Max Ernst, un matin, en 1937, rue Jacob.

J’avais publié en 1938 son tout premier texte, Un Divertissement, qu’elle avait lu en présence de Max Ernst.

En 1946, je publiais dans ma revue des Quatre vents l’une de ses pièces, Pénélope.

Puis il y a eu un court texte intitulé La Débutante, dans L’Anthologie de l’humour noir de Breton. Avec le dernier paru : La Porte de pierre et les Histoires courtes, je ferai en quelque sorte une boucle.

Enfin, parmi les prévisions il y a aussi des Contes fantastiques, de Hawthorne, une suite à La Fille de Rappaccini. Vous voyez, ce ne sont pas des projets tout à fait conventionnels…
 

En tant que directeur de collection, êtes-vous pleinement responsable des ouvrages que vous proposez ?
 

En un sens oui, c’est moi qui établis le texte, qui m’intéresse à la fabrication du volume que j’ai choisi, proposé, jusqu’à sa vente. Je suis un « editor » avec certaines limites.

Je dois me mettre d’accord avec la direction pour le choix des titres, avec la fabrication pour la mise en pages. Par contre, j’ai obtenu que les textes soient imprimés en gros caractères. Pour moi, pour qu’un texte ait son importance, il faut qu’il ne fatigue pas les yeux, une écriture microscopique ne me permet pas de jouir pleinement d’un texte. Je crois que c’est une question de « contact » presque matériel avec le texte.
 

Est-il important pour vous que ces textes soient centrés autour d’une collection ?
 

Pour moi, une collection est une façon de faire valoir un point de vue littéraire. Ou, si vous voulez, une manière de s’exprimer. Je propose donc ce que j’entends personnellement par littérature. L’idéal même pour moi, ce serait de faire une revue, et d’extraire de cette revue des textes que l’on publierait en plaquettes. Un peu ce que je faisais dans la revue des Quatre vents, où avaient paru trois numéros spéciaux sur le surréalisme, un numéro consacré au merveilleux et à la poésie romantique, etc.
 

Quel est le tirage de départ des ouvrages de votre collection ?
 

Quatre mille exemplaires de départ environ, je pense. Mais certains ouvrages comme Alice ont fait l’objet de nombreuses rééditions. Le rythme de parution est d’environ un ouvrage tous les six mois. Ce sont des textes difficiles, il faut les découvrir, les traduire, les mettre en place. Je pense au Diable amoureux, de Cazotte. C’était un texte ancien (il remonte au XVIIIe siècle). Je l’ai republié intégralement en y ajoutant un fragment d’Olivier, texte aussi remarquable que Le Diable amoureux.
 

Comment expliquez-vous qu’à un certain moment on « découvre » un auteur ?
 

Prenons le cas d’Artaud. Artaud était tout à fait méconnu avant la guerre, puis il y a eu son internement, les fameuses lettres de Rodez qu’il m’a écrites et que j’ai publiées. Un commencement de scandale, une série d’articles publiés dans la revue « K » que je dirigeais avec Alain Gheerbrandt, ont fait connaître Artaud.

On l’a découvert à ce moment-là. Le cas d’Artaud est sans doute peu courant, mais il montre à quel point la Presse peut créer un mouvement d’opinion, peut influencer le public.
 

Que pensez-vous de la littérature aujourd’hui ?
 

La littérature de poètes et d’écrivains est plus ou moins remplacée aujourd’hui par une littérature de journalistes. Cinq écrivains sur dix publiés sont des journalistes ou des essayistes. Ce que je dis n’est pas péjoratif. Mais, par rapport à la littérature, cela me semble fâcheux. Bien sûr, il y a des exceptions, des collections de recherche comme celle de Lambrichs. Mais, malgré cela, la vraie littérature est remplacée par une littérature d’actualité, où l’écriture n’a plus vraiment sa place. Plus que jamais, il me semblerait souhaitable de réagir un peu. Je ne crois pas à la manière dont on s’y prend actuellement pour défendre la littérature, je pense en particulier au battage des prix littéraires. Réglementer la réussite, c’est d’une certaine manière tuer la littérature.
 
 

_____

 
 

(in Bibliographie de la France, journal officiel de la librairie, « Chronique, » cent soixante-cinquième année, sixième série, n° 10, 10 mars 1976)