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Il s’appelle Cherel et tient commerce, à l’enseigne de « La Lanterne Magique, » 11, r. Coëtlogon ; une rue où l’on pénètre, au sortir de Saint-Germain-des-Prés, comme dans une flaque de silence provincial.

Chez lui, le temps s’est arrêté ou, du moins, a pris des libertés vis-à-vis des horloges et des calendriers. En passant le seuil, vous abordez un petit monde qui n’est plus coté à la bourse des valeurs nucléaires et des interlocuteurs à part plus ou moins prépondérante.

Entrez : machines pour usines de Lilliput, dames galantes format 1900, affiches d’autrefois, papillons défunts, jouets, brimborions, livres précieux ; sans compter diverses photographies abominables soustraites (par quels hasards ?) aux archives de la P. J. On y voit, par exemple, Liabeuf, l’homme aux bracelets, ou un employé de la morgue essayant de rassembler, tant bien que mal, les éléments premiers d’un philatéliste sectionné par des peaux-rouges inconnus. Les Mystères de Paris sont là, à portée de vos yeux et de votre main.

Lorsque vous vous pointez, le premier mouvement de Cherel est de se diriger vers le placard où il entrepose ses poisons : « Qu’est-ce que tu bois ? » Je ne vous conseille pas de refuser, car il vous insulterait. Il parle lentement, les yeux mi-clos, d’une voix qui traîne ses savates (les savates d’une voix !) sur les faubourgs et les fortifications d’une ville où nul n’a plus accès que par l’imaginaire. S’il est de bon poil, il vous dira à quoi Paris ressemblait quand Bonnot et Garnier tenaient tête aux zouaves et aux foules avides d’exécutions : « La première victoire de l’armée française depuis Sedan. »

Un client se manifeste-t-il, il vous oublie. Tant mieux : la caverne vous appartient ; vous pouvez toucher, regarder, rêver à loisir. La boutique devient un de ces saloons fantômes que certains États des U. S. A. conservent intacts, prêts à tomber en cendre au moindre faux pas. Il vous suffit d’un peu de bonne volonté pour ne pas casser le fil.

Le Chourineur, Corentin, Madame Arthur, Wyatt Earp, Bat Masterson vont revenir prendre possession du lieu et aussi ces filles aux corselets pailletés d’or, donnant le bras au type qui chante : « J’suis l’homme qui a fait sauter la banque à Monte-Carlo. »

Si, un jour, vous n’avez rien de mieux comme loisir, allez donc rendre visite de ma part au lanternier magique.
 

André HARDELLET

 
 

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(André Hardellet, in Le Collectionneur français, le journal de tous les collectionneurs et de toutes les collections, première année, n° 1, mars 1965)