LA FEMME MÉCANIQUE

 

_____

 
 

Cette fois, l’Amérique est enfoncée ! Un savant hyérois, toujours à l’affût de quelque découverte nouvelle, et qui, tout récemment encore, se faisait connaître par sa poudre pour la multiplication des truffes, M. S…, du Bon-Puits, nous informe qu’il se propose d’envoyer à l’Exposition de 1889 « un objet qui fera quelque sensation dans le monde. »

M. S… est trop modeste en disant : quelque sensation. Or on jugera, d’ailleurs, par cet extrait de sa lettre :

« Mon invention ne tend à rien moins qu’à supprimer ce que, par une incroyable aberration de jugement, on appelle encore le plus belle moitié du genre humain. Après m’être dit que les femmes sont en général des objets coûteux, rendant peu de services et faisant passer à l’homme de fort vilains quarts d’heure, je me suis demandé s’il ne serait pas possible à la science de les remplacer par des machines ingénieuses, capables de travailler, d’accompagner à la promenade ou au bal, et de servir, quand elles seraient au repos, à l’ornement d’une chambre ou d’un salon. Je me suis mis aussitôt à l’œuvre, et, sans vouloir me glorifier plus qu’il ne convient, je puis dire que le succès a dépassé mon espérance. Grâce à un mécanisme beaucoup plus simple qu’on ne serait peut-être tenté de le croire, la femme confectionnée par moi exécute une série de mouvements prodigieusement variés. Elle sert à table, lave la vaisselle, valse à ravir, tricote, coud, joue du piano, – ce qui est une mauvaise qualité, j’en conviens, – fait la toilette de son maître, lui repasse ses chemises, lui met les boutons de manchettes et lui passe la main dans les cheveux. L’enveloppe extérieure, modelée par un artiste de grand talent, est en caoutchouc peint et orné des plus délicieux contours. Les cheveux sont empruntés à des têtes véritables ; les yeux d’émail sont mobiles et simulent la vie à s’y méprendre.

On voit les immenses avantages que mon invention offre aux pauvres hommes tenus jusqu’à ce jour par les femmes sous le joug d’un despotisme intolérable. J’en citerai seulement quatre :

1° Économie. – Pas de frais de table, toilettes se conservant presque indéfiniment, frais d’enterrement évités.

2° Tranquillité. – La femme mécanique est muette.

3° Beauté éternelle. – Dès que la fraîcheur du teint passera, un coup de pinceau et tout sera dit.

4° Fidélité conjugale. – Plus de maris trompés, plus de drames à la Brisebard. »

Très avantageux, en effet, mais que vont devenir les médecins et les sages-femmes ?
 
 

_____

 
 

(in Journal de Fourmies et des arrondissements d’Avesnes et de Vervins, neuvième année, n° 709, dimanche 16 août 1885 ; « Chez le marchand de femmes mécaniques, » illustration de Robert Carrizey pour La Vie parisienne, 1935)

 
 
 

 
 

CAUSERIE

 

_____

 

Les Femmes en Caoutchouc

 
 

Voici une invention fort intéressante au point de vue social et hygiénique :

Il s’agit de femmes en caoutchouc douées de toutes les facultés physiques et morales qu’une femme fidèle et… naturelle apporte quelquefois en mariage.

On ne dit pas si elles font la cuisine, mais on assure qu’elles peuvent faire autre chose…
 

*

 

L’inventeur expose les immenses avantages que son invention offre aux pauvres hommes tenus sous le joug d’un despotisme conjugal intolérable.

Il en cite quatre essentiels :

« 1° Économie. – Pas de frais de table, toilettes se conservant presque indéfiniment, frais d’enterrement évités ;

2° Tranquillité. – La femme mécanique est muette ;

3° Beauté éternelle. – Dès que la fraîcheur du teint passera, un coup de pinceau et tout sera dit ;

4° Fidélité conjugale. – Plus de maris trompés, plus de drames à la Brisebard. »
 

*

 

On devrait décorer cet homme-là !

On devrait lui couler une statue – j’allais dire en caoutchouc – non, en bronze !

Grâce à sa merveilleuse découverte, nous pourrons enfin, pour notre bonheur, nous payer un beau-père en gutta-percha et une belle-mère en baudruche.

Au moindre reproche, à la plus petite observation, nous aurons la ressource de mettre ces bons parents dans un tiroir, avec un fer à repasser sur le ventre pour les empêcher de gonfler.

Quand on en aura assez de sa femme, on l’accrochera à un clou, et on l’y laissera huit jours pour lui faire prendre l’air.
 

*

 

Cette manie du caoutchouc me remet en mémoire une bien jolie anecdote.

On la trouvera peut-être un peu piquante, mais, par ces chaleurs, les aliments demandent à être relevés.
 

*

 

Un médecin ayant eu besoin de se livrer à certaines expériences sur l’élasticité des muscles, commanda, à une grande maison de Paris, un mannequin mâle, en caoutchouc.

Ce mannequin était muni de six boutons à ressort dont chacun correspondait à un mouvement différent du corps.

Le docteur avait recommandé ce précieux colis au chef de gare de la ville qu’il habitait, et devait venir le prendre lui-même dès son arrivée.
 

*

 

Le colis arriva.

C’était une caisse dont la forme bizarre ressortait au milieu des malles et des bagages ordinaires.

Le chef de gare, pour suivre les instructions précises qu’il avait reçues, fit monter la longue caisse chez lui, et ne s’en occupa plus.

Curieuse comme toutes les filles d’Ève, sa femme, dès qu’elle fut seule, fit sauter le couvercle de la boite mystérieuse, et demeura stupéfaite devant un bonhomme en caoutchouc vulcanisé, admirablement bien conditionné…

Mais, ô surprise, sous l’effort, le ressort n° 4 se détendit et le bonhomme, ouvrant ses bras, les renferma tout à coup sur la pauvre femme et l’enlaça convulsivement…
 

*

 

On accourut.

On employa tous les moyens pour séparer les combattants, mais sans résultat.

Alors, on télégraphia à la maison de Paris qui avait fourni l’automate.

On reçut la réponse suivante :

« Impossible arrêter ressort n° 4, remonté pour 8 jours. »

Neuf mois plus tard, la femme du chef de gare mettait au monde… une gomme élastique !…
 
 

 

_____

 
 

(in L’Indépendant de Mascara, radical autonomiste, deuxième année, n° 124, jeudi 27 août 1885)